Lutte anticorruption : des magistrats jugent le cadre juridique ambigu

Lutte anticorruption : des magistrats jugent le cadre juridique ambigu
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Attendu l’ampleur prise par ce fléau, notamment ces dernières années à la faveur de l’embellie financière dont jouit notre pays, nul n’est à même de contester les effets dévastateurs de la corruption au plan politico-économico-social dans notre pays.

Sévissant à tous les niveaux et touchant l’ensemble des strates du pouvoir, la corruption a fini par amener de profonds changements dans le système politique. En effet, elle a facilité l’émergence d’une classe de politiciens véreux qui se livrent à des activités illégales non pas pour subvenir à leur existence mais pour se réserver une place au sein du système.

La situation générée par ce fléau, qui s’est généralisée au fil des ans, constitue, aujourd’hui, une menace à la stabilité et à la sécurité de notre société, dans la mesure où elle ébranle la cohésion sociale. Incontestablement, elle a miné le développement économique, grevé les entreprises, sapé la légitimité du gouvernement et réduit la confiance du peuple. Autant dire que le haut niveau de la corruption qui a achevé de pervertir la conduite et les résultats des élections a consolidé le pouvoir politique en place et diminué la concurrence politique saine, dans la mesure où il a permis d’encourager les activités politiques fondées sur le favoritisme et le clientélisme, et ce, tout en diminuant la transparence du processus décisionnel.

Tacitement institutionnalisé, ce fléau ravageur a conduit, en fin de compte, à l’échec des institutions et leur incapacité à fonctionner en tenant compte d’un système de contrôle.

LG Algérie

Le gouvernement, qui est aujourd’hui secoué par des scandales à répétition et sensiblement fragilisé par son échec sur tous les plans ou presque, patauge dans des ses approches plus démagogiques que pratiques ou efficientes. Une sorte de climat de méfiance caractérise la lutte contre la corruption que conforte l’émergence d’une tendance populiste et parfois lucrative dans le traitement des cas de corruption.

Selon l’avocat Me Miloud Brahimi, il existe trop de textes relatifs aux dispositions et au cadre de lutte contre le phénomène, mais il y a aussi des dispositions inutiles, floues, favorisant la confusion et, partant, formant un obstacle à la lutte contre la corruption.

Donnant l’exemple de l’article 26 de la loi 06 01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, lequel stipule que ‘’tout agent public qui passe, vise ou révise un contrat, une convention, un marché ou un avenant en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en vue de procurer à autrui un avantage injustifié, est puni de deux à dix ans de prison et d’une amende de 200 000 à 1 000 000 DA’’, Me Brahimi met l’accent sur le caractère à double tranchant du dit texte. «Prenez le cas d’un agent public qui signe un contrat et qui risque dix ans de prison uniquement pour avoir procuré un avantage à autrui», dira-t-il, mettant l’index sur un autre texte régissant les cas de favoritisme, vol, détournement, perte ou détérioration des deniers publics par la négligence manifeste.

Pour notre juriste, cette disposition est d’autant plus confuse qu’elle distingue entre celui qui commet l’acte de détournement et celui qui favorise le vol de par sa négligence.

Ce genre de dispositions juridiques concourt inéluctablement à la remise en cause du droit à l’erreur du gestionnaire, «c’est une ironie que de conférer à un magistrat le pouvoir de sanctionner le gestionnaire qui commet une erreur de gestion alors que, lui-même, a pourtant le droit à l’erreur, et c’est pour cela, d’ailleurs, qu’on peut faire appel de la décision», a-t-il expliqué.

Du point de vue de notre juriste, et dans le contexte du système actuel, il existe une volonté délibérée de conditionner les gestionnaires pour pouvoir les influencer et faire pression sur eux, ce qui les entraînent dans l’incapacité de prendre des initiatives.

La gravité réside, selon cet avocat, dans le fait, qu’au lieu de lutter contre les auteurs d’actes de corruption, ce sont les cadres gestionnaires qui sont poursuivis et harcelés sur la base de ces textes confus». Me Brahimi le souligne sans ambages : «L’incrimination de l’acte de gestion introduit la confusion et les pires excès contre les gens qui n’ont rien à se reprocher.»

C’est dire combien sont réels les problèmes auxquels se heurtent les magistrats travaillant sur des affaires de corruption, et ce, en raison des confusions contenues dans certaines dispositions juridiques.

Par ailleurs, nombre de sociologues estiment que la corruption tend à s’enraciner dans notre société, qu’il est difficile de l’éradiquer et qu’il faut une levée de bouclier pour faire échec à ses incidences sur notre système judiciaire, ultime institution qui influe sur les libertés, voire sur la vie tout court.

Zacharie S. Loutari