Le nouveau ministre saura-t-il donner le bon coup d’envoi ou bien se contentera-t-il du discours usuel? Le temps nous le dira.
C’est la question qui revient souvent lorsqu’on parle de l’enseignement supérieur. La majorité des enseignants et des chercheurs se sont bien posé, un jour ou l’autre, cette question inévitable et, quand bien même les réponses diffèrent, tout le monde demeure d’accord sur le fait que les dégâts sont si importants et si profondément ancrés que le redressement de notre université ne serait pas facile.
L’effort destructif avait commencé dans les années 1980 lorsque, sous le fallacieux prétexte de la «démocratisation», des pratiques des plus sournoises furent introduites par les responsables de l’époque dans la gestion des universités. Ensuite, entraînée par le malaise général du pays et touchée de plein fouet par la décennie de terrorisme, l’université n’a eu de cesse que de s’enfoncer dans la mare. Non pas qu’elle manque de personnes compétentes ou que les bonnes intentions avaient abandonné enseignants et étudiants, mais parce que le système sournois et hautement néfaste mis en place avait tout broyé sur son chemin.
Tout simplement. Au lieu d’essayer de remédier aux multiples problèmes qui commençaient à s’accumuler depuis les années 1980, les successeurs aux postes de commande du secteur avaient, par ignorance ou par incompétence, laissé pourrir les choses entraînant leur inévitable aggravation. Notre université est devenue un lieu qui reflète par excellence, et de manière concentrée, nos échecs, nos ratages, notre incompétence à gouverner, notre impossible redressement, notre satisfaction injustifiée et l’on en passe…
Les magistères ont disparu Comme dans les autres secteurs, le mot d’ordre de la gestion des universités a toujours été d’«éviter les problèmes» afin de donner l’impression que tout va bien ou, du moins, que la vie continue son chemin normalement. Cette philosophie qui consiste à «sauver les apparences» s’est révélée trop coûteuse pour le pays, car il y en a qui ont vite compris son importance pour les gouvernants et ils se sont mis alors à les défier en sortant dans la rue, en coupant les routes, en brûlant les pneus, en organisant des sit-in….et, à chaque fois, cela s’est avéré payant puisque pour «sauver les apparences» justement, les gouvernants ont toujours cédé aux revendications des manifestants, des coupeurs de routes, des brûleurs de pneus…
L’université aussi s’est mise de la partie. Précisément au niveau du LMD que le ministère avait introduit sans bien en préparer l’introduction, sans trop savoir comment il devait l’introduire et sans même prendre la peine de préparer des passerelles entre l’ancien système et le nouveau.
Les déperditions, Dieu seul en connaît l’ampleur. Les magistères ont disparu sans avoir pris le temps de donner correctement aux étudiants du système classique leur chance et bonjour le mastère. Il existe des textes qui régissent le passage au mastère ainsi qu’aux écoles doctorales. Sont-ils bien appliqués? Sont-ils correctement appliqués? Il paraît que la loi du nombre joue encore et toujours dans ce cas aussi.
Lorsqu’ils sont nombreux à revendiquer le droit de passer de la licence au mastère sans condition ou en contradiction des textes, il ne fait aucun doute qu’ils obtiennent gain de cause et si, demain, ils le feront pour entrer à l’école doctorale, ils auront aussi gain de cause. A quoi servent les textes lorsqu’ils ne sont pas appliqués? Le nombre de promotions qui sortent, mastère en main, est tellement grand que l’on aurait dû se poser la question dès le départ de ce que l’on pouvait bien faire avec. Oui, messieurs, à quoi servent des nuées de mastères dans un pays qui ne sait pas encore créer de l’emploi? A qui sert tout ce nombre de diplômés dans un pays qui n’arrive pas à voir la relation qui lie l’université au monde du travail?
A qui sert tout ce nombrede diplômés
Pourquoi forme-t-on tous ces bataillons pour, ensuite, les abandonner? Entre-temps, ceux qui ont eu la chance (ou le malheur) d’aller étudier à l’étranger, pour une raison ou pour une autre et qui reviennent, toujours pour une raison ou une autre, se trouvent, quant à eux, coincés dans les labyrinthes d’une bureaucratie incroyablement nuisible! Pour ceux qui ne le savent pas, tout diplôme étranger doit avoir une équivalence pour être reconnu par la Fonction publique. Ceci n’est pas propre à nous, mais est bel et bien une condition que l’on re-trouve partout et le problème n’est donc pas à ce niveau.
Le problème, car c’en est réellement un gros, c’est toute cette éternité que l’on doit attendre avant d’obtenir cette équivalence. Ailleurs, c’est généralement l’université qui reconnaît ou pas votre diplôme obtenu à l’étranger, chez nous, c’est un problème qui doit se résoudre au niveau du ministère. Ailleurs, l’équivalence est une affaire de jours ou de semaines alors que chez nous, c’est une affaire d’années. Vous voulez déposer? Mais pas de problème.
Déposez donc messieurs et… attendez. Trois, quatre, cinq ans, deux mille années, vingt-cinq mille ans… c’est selon votre chance! On ne fait pas une université de cette manière car ainsi on bloque les gens, on bloque l’université et l’on bloque le pays! Qu’est-ce qui empêche les responsables concernés au niveau du ministère de statuer plus rapidement? Est-ce une tradition qu’il faut préserver? Est-ce pour le besoin de mystifier une activité qui n’exige pourtant aucune haute compétence? Ou bien est-ce par inconscience?Il serait temps qu’au ministère on regarde enfin et sérieusement de ce côté pour, non seulement, débloquer la situation, mais aussi – et surtout – pour mettre en place des mécanismes qui empêcheraient les doigts de la détestable bureaucratie de se fermer sur la vie des gens.
Peut-on encore sauver l’Université algérienne? Très probablement, oui. Mais, seulement, à partir du moment où l’on se décide sérieusement à le faire et à abandonner les méthodes, les modèles et le discours utilisé jusqu’à présent. Il est nécessaire de changer totalement la perception que l’on a de cette Université et de n’en parler qu’en regardant devant, pas derrière. Le nouveau ministre saura-t-il donner le bon coup d’envoi ou bien se contentera-t-il du discours usuel? Le temps nous le dira.