Louisa Hanoune «Des bombes à retardement guettent le pays»

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Une femme qui dit ce qu’elle pense et fait ce qu’elle dit

La secrétaire générale du PT estime que les prochaines élections seront un véritable examen pour rompre avec l’ancien système. Elle appelle le président de la République à user de ses prérogatives pour prendre des mesures qui constituent, en réalité, des gages de transparence de ce scrutin. Pour elle, si toutes les conditions sont réunies pour assurer la transparence, le FLN et le RND ne seront pas majoritaires. Elle revient dans cet entretien sur plusieurs sujets.

L’Expression: L’actuelle législature arrive à son terme. Quel bilan en faites-vous?

Louisa Hanoune: Nous considérons que c’est la pire des législatures, elle est vraiment calamiteuse. Nous avions appelé le président de la République à des élections anticipées depuis 2009. Pourquoi? D’abord, celles de 2007 étaient complètement truquées. Cette Assemblée a été le produit d’une abstention massive; 65% de la population si ce n’est pas plus.

Et que, l’argent sale a investi avec force l’opération électorale. Le monde des affaires et des lobbies se trouve représenté à l’intérieur de l’Assemblée. Du point de vue des lois adoptées, cette Assemblée, par le comportement de la majorité en particulier, a été un obstacle à toute proposition visant à faire progresser les choses que ce soit sur le plan politique, économique ou social. C’est une majorité qui a tourné le dos aux intérêts de la Nation. Je citerai l’exemple du vote contre notre proposition d’interdire l’importation des médicaments fabriqués en Algérie qui a été rejetée. Heureusement que le gouvernement a pris des mesures dans ce sens. L’interdiction de l’importation de la friperie sans compter le nombre de propositions qui ont été faites pour améliorer le sort des larges couches, pour renforcer l’économie nationale. C’est une Assemblée qui est le produit du système ancien et c’est la raison pour laquelle les projets portant réformes politiques ont été avortés par les députés du FLN soutenus par ceux du RND et des députés représentant des intérêts «privés».

Pouvez-vous nous expliciter votre incessante remise en cause du processus des réformes?

C’est notre devoir de clarifier et d’expliquer en quoi les projets de lois déposés à l’APN ont été vidés de leur sens et en quoi ce processus a été avorté par les députés de la majorité. Ces derniers ont fait bloc pour empêcher toute amélioration et vider ces textes des mesures audacieuses visant à assainir le climat politique, restituer la confiance et à asseoir des règles démocratiques. Il aurait fallu commencer par la révision de la Constitution, puis le renouvellement des institutions qui passe, soit par la convocation d’une Assemblée constituante, soit par des élections anticipées, pour se pencher, par la suite, sur la révision des différents aspects de la vie politique avec de vrais représentants.

Vous avez appelé à une deuxième lecture des lois adoptées par le Parlement. Pourquoi?

Non. C’est le président de la République qui en a parlé. Lorsque je l’ai saisi de ce qui se tramait à l’intérieur de l’Assemblée, à l’occasion de la cérémonie du Premier Novembre, il a dit qu’il pourrait s’orienter vers une deuxième lecture des réformes précisant qu’il avait soumis les projets à l’APN pour enrichissement et non l’inverse. Des sénateurs dont Mme Zohra Drif-Bitat se sont adressés à lui pour demander une deuxième lecture afin de rattraper et combler le déficit. Pourquoi cela ne s’est pas fait? Ce n’est pas à moi de donner des explications.

Je prends l’exemple de la loi sur la présence des femmes dans les assemblées élues. C’est faux de parler de la représentation des femmes. Une femme ne représente pas une femme, ça serait du sexisme. Pour encourager sa présence au niveau des assemblées, le gouvernement a proposé un tiers des sièges, les députés du FLN soutenus par ceux du RND ont remplacé ce taux par une démarche graduelle qui non seulement porte atteinte à l’unité de la République mais c’est une escroquerie politique! Si vous prenez les 14 wilayas où il y a 4 sièges et pour lesquels ils proposent 20%, ça fait 0% siège pour la femme. L’émigration, ils proposent 50% alors qu’en dehors de la France où il y a deux listes de deux sièges chacune, pour le reste des circonscriptions dans le monde il y a un seul siège à chaque fois. On ne peut pas couper un siège en deux. Donc, ils se moquent de l’intelligence des Algériens. L’interdiction du nomadisme politique et l’obligation faite aux ministres candidats de démissionner ont été rejetées ainsi que toutes les propositions visant à garantir la transparence du scrutin, à consacrer des avancées démocratiques. Il y a une volonté claire d’empêcher toute amélioration. Faire le constat que ce processus a été avorté ne signifie pas que la situation est désespérée ou que l’on doit baisser les bras. Ces lois ne sont pas sacrées.

Vous avez appelé à une solution pour rattraper le déficit sur le plan politique. Qu’entendez-vous par là?

Que le président de la République use de ses prérogatives pour prendre, par décret présidentiel, les mesures qui constituent, en réalité, des gages de transparence de ce scrutin. Le chef de l’Etat a donné des garanties lors de son discours à l’ouverture de l’année judiciaire, mais il faut les traduire par des actes. Il n’y a que lui qui peut le faire. Pour nous, les prochaines élections seront un examen. Celui qui fraudera, exposera le pays à des pressions étrangères. Ce ne sont pas les observateurs étrangers qui vont assurer la transparence du scrutin. C’est au gouvernement algérien de réunir les conditions et d’assurer la transparence des élections. Le climat social tel qu’il se présente aujourd’hui n’est pas serein. Le problème du logement est une bombe à retardement. Le gouvernement peut accorder une aide au loyer comme solution transitoire. Il y a aussi le chômage des jeunes, il faut arrêter avec cette politique de bricolage qui ne donne pas de résultats. Il faut assainir la situation sociale et politique.

Vous plaidez pour un gouvernement neutre. Pensez-vous que cela va garantir la transparence des élections?

En tout cas, ça va rassurer les citoyens. Voyez-vous quand un Premier ministre annonce la composition de la future Alliance présidentielle, c’est très grave, c’est plus qu’une maladresse. De plus, quand un ministre, représentant personnel du président de la République, ose donner des résultats précis pour son parti et pour les islamistes, là ça devient très problématique. On nous annonce, en quelque sorte, une politique de quotas. Le président de la République s’engage à ce qu’il y ait le respect du choix des citoyens, mais les dirigeants des partis politiques, qui sont au niveau du gouvernement avancent des résultats. C’est pourquoi nous avons exigé un changement même partiel du gouvernement. L’opération électorale doit être confiée à des responsables qui ne soient pas marqués politiquement et surtout par la question de la fraude. Mais cela n’est pas suffisant. Il faudrait que le Président ordonne que les représentants des listes électorales soient présents au niveau des commissions électorales administratives. C’est là où tout se joue. Et pour qu’il n’y ait pas de confusion entre les listes, nous proposons que figurent sur les bulletins de vote les photos des chefs de partis. En effet, en plus des listes des partis agréés, la nouvelle loi a encouragé malheureusement la décomposition politique en facilitant la constitution des listes indépendantes dans le même temps. Le commerce avec les listes des petits partis, qui apparaissent à chaque scrutin puis disparaissent, a déjà commencé. La prochaine Assemblée constituera un danger pour la nation dans le cas où il y a un nombre important d’hommes d’affaires qui arrivent à se faire élire après avoir acheté des listes.

Il y a la loi sur le cas d’incompatibilité avec le statut de député…

Oui, mais il n’y a pas le contrôle a priori. Il n’y a que le contrôle a posteriori, c’est insuffisant et c’est là le problème. Nous avons proposé l’instauration du contrôle a priori, cela a été rejeté. Preuve, il y a eu, par le passé, des députés qui ont commis des actes criminels mais ils n’ont pas été déchus de leur mandat.

L’abstention semble poser un sérieux problème. Craignez-vous un fort taux d’abstention?

D’abord, la question de la participation ou pas aux élections procède du libre arbitre du citoyen. Chacun est libre d’adopter une attitude. L’abstention est une position politique. Elle est toujours motivée par des raisons politiques. Le terrain des élections est très mouvant: un rien peut provoquer une abstention et le contraire est vrai. Nous en sommes convaincus, si les Algériens avaient des garanties et des gages suffisants que leurs voix ne seront pas détournées et qu’ils pourront influer sur les événements et contrôler leurs représentants, alors ils iront voter pour certainement chasser ceux qui sont à l’origine de leur souffrance et sanctionner les partis de l’ordre ancien qui ont gouverné par la fraude. Il faut également assainir la situation sociale, lorsque les citoyens sont à l’aise, ils ont davantage envie de faire de la politique. Certes, il y a eu des augmentations de salaires dans différents secteurs, ce qui peut encourager le taux de participation, mais plusieurs secteurs n’en ont pas encore bénéficié et il y a des émeutes. Le gouvernement doit assécher le vivier de la colère et du désespoir.

En cas de forte abstention, comme cela a été le cas en 2007, allez- vous réclamer la dissolution pure et simple de l’Assemblée?

On ne peut pas anticiper sur ce sujet à quatre mois des élections. Nous nous battons pour réunir les conditions pour rompre avec les méthodes du système ancien qui est à l’origine de l’abstention massive. Il est encore temps pour donner des garanties et protéger ce scrutin. Il faut que s’opèrent la décantation et la clarification politique.

Plusieurs partis politiques prendront part à la compétition électorale. Ne pensez-vous pas que la prochaine APN sera émiettée?

La prochaine Assemblée nationale aura un caractère constituant puisqu’elle aura à réviser la Constitution. D’où l’importance du déroulement du scrutin. C’est aussi sur cet aspect que peut s’exercer l’ingérence étrangère. Cette Assemblée aura à définir le régime politique à mettre en place. C’est d’une extrême importance. Elle est censée être une assemblée de recomposition politique. Il faut que toutes les parties prennent conscience que nous sommes dans une période charnière. Si les élections se déroulent dans des conditions normales, quel que soit le résultat, il traduira la volonté des Algériens et confortera la souveraineté nationale. Il est certain que si les conditions sont réunies, le FLN et le RND ne seront plus majoritaires. Contrairement aux pays voisins, nous avons eu l’expérience du courant islamiste, y compris dans le gouvernement. Aujourd’hui, le peuple algérien aspire à une véritable démocratie. Maintenant, il veut opérer la rupture avec l’ancien système. Les institutions actuelles sont incapables de répondre à ses aspirations. Nous pensons que nous représentons en tant que parti l’alternative politique. Nous sommes un parti qui combat pour la démocratie véritable avec son contenu politique et social, il n’y a pas d’équivalent malheureusement à notre parti en Tunisie ou au Maroc. C’est la raison pour laquelle, il y a eu un vote par défaut.

La révision de la Constitution sera entamée dès l’installation de la nouvelle Assemblée. A votre avis, faut-il procéder d’abord à l’ouverture d’un débat national?

Si! En réalité, c’est au peuple algérien que revient la prérogative de trancher cette question. Nous pensons qu’il faut ouvrir un débat pour l’associer pleinement dans la révision de la Constitution pour que s’exerce la souveraineté populaire. Le peuple algérien a été exclu du débat sur les réformes politiques alors que le président de la République avait déclaré, dans la réunion du Conseil des ministres du 2 mai dernier, qu’il reviendra au peuple de définir le contenu des réformes. Ce débat va permettre de combler le déficit et d’apporter les rectifications nécessaires aux lois votées pour consacrer le renouveau, c’est-à-dire la rupture avec l’ordre ancien.

Des milliards ont été injectés sans donner de résultat probant. Des émeutes se poursuivent dans le pays. Quelle solution préconisez-vous?

Il faut en finir avec la précarité sociale. Quand l’Etat injecte des milliards dans l’Ansej, ce n’est pas la vraie solution et cela produit des dérives. Il faut rouvrir les entreprises fermées et les zones industrielles, accroître l’aide publique pour relancer la production nationale dans l’industrie et l’agriculture, donc la protéger de manière effective, et, jeter les bases d’une économie viable, créatrice de richesses. C’est ainsi que nous pourrons, avec l’ouverture aussi de postes dans la Fonction publique, résorber le déficit dont elle souffre, régler le problème du chômage durablement et réduire la dépendance de l’étranger.

Qu’est-ce qui vous tracasse actuellement?

C’est l’opacité qui règne. Ce sont les déclarations très contradictoires et les provocations de la part de certains responsables qui semblent ne pas saisir l’importance des enjeux du moment.