Louisa Dris-Aït Hamadouche, enseignante en sciences politiques : “Ce mouvement de contestation ne doit pas être une opportunité perdue”

Louisa Dris-Aït Hamadouche, enseignante en sciences politiques : “Ce mouvement de contestation ne doit pas être une opportunité perdue”

Par Karim Kebir

Liberté : Quelle lecture faites-vous de la mobilisation depuis vendredi dernier ? Était-elle prévisible, selon vous ?

Louisa Dris-Aït Hamadouche : Prévisible ? Tout dépend dans quelle échelle temporelle vous vous placez. Si la question avait été posée un mois avant le 22 février, je vous aurais dit non. La situation paraissait pliée et le cinquième mandat un fait accompli, malgré les remous suscités par l’apparition de candidats surprise. En revanche, si la temporalité était à l’échelle d’une semaine, je vous aurais dit que la contestation était effectivement prévisible. Il eût fallu être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que quelque chose se préparait. Ces manifestations confirment l’ampleur de la désaffection vis-à-vis des gouvernants, ce qui, là encore, n’est pas du tout une surprise. Les sondages faits au niveau africain et arabe montrent chaque année que l’indice de confiance et de satisfaction des Algériens vis-à-vis de ses gouvernants et des institutions politiques est faible. L’expression limpide du rejet total exprimé depuis plusieurs jours est donc logique.

Cette dynamique, au regard des appels qui se manifestent çà et là, peut-elle s’inscrire dans la durée ?

C’est une question difficile. Depuis l’annonce officielle de la candidature du chef de l’État, les mouvements de contestation n’ont pas cessé et sont même allés crescendo. Ils ont commencé hors d’Alger, et depuis le 22 février, la capitale fait partie intégrante de la contestation. C’est un cap très symbolique, car comme vous le savez, Alger jouit d’un statut juridico-sécuritaire particulier. La durée de cette contestation dépend, d’une part, des réponses que les autorités donneront et, d’autre part, de la façon dont les contestataires organiseront leur mouvement de contestation. Ces appels restent pour le moment anonymes. C’est ce qui fait leur force, mais en même temps leur faiblesse. En effet, déclencher la protestation est une chose, la structurer, l’encadrer, lui donner du sens en sont une autre. Dans ce deuxième cas de figure, nous ne sommes plus dans la même configuration. Et c’est précisément la phase la plus difficile.

Le pouvoir ne donne pas l’impression de vouloir répondre favorablement à la rue. Comment prévoyez-vous sa réaction ?

Je ne sais pas si réellement les pouvoirs publics ne donnent pas de réponses. J’ai plutôt tendance à penser qu’ils donnent des réponses contradictoires. Il y a, d’une part, les déclarations de certains responsables et figures de l’allégeance qui ont été considérées comme de véritables provocations à l’égard des protestataires. Dans le même ordre d’idées, il y a aussi la façon dont le rassemblement de dimanche (Alger-Centre) a été gérée par les forces de l’ordre. D’autre part, notons une gestion professionnelle et relativement sereine des manifestations de vendredi et également celles de mardi, menées par les étudiants. Notons, par ailleurs, l’ouverture timide mais remarquée des médias publics à ces événements. Ces réactions contradictoires peuvent être volontaires et visent à brouiller les pistes. Mais elles peuvent aussi être involontaires pour au moins deux raisons : la première serait due à un hypothétique effet de surprise, tandis que la seconde relève d’un désaccord profond au sein des cercles décisionnels.

Si la première explication est juste, nous devrions observer rapidement l’homogénéisation des réactions dans un sens plutôt que dans l’autre, car l’effet de surprise aura disparu. S’il s’agit d’un désaccord interne, les pouvoirs publics continueront à souffler le chaud et le froid avec les risques que cela comporte.

Le scénario d’un éventuel report est-il envisageable ?

Je crois que nous sommes à un carrefour : le processus enclenché peut soit maintenir l’Algérie sur le chemin qu’elle a pris depuis l’indépendance, soit changer de direction radicalement. Le report de l’élection, le retrait de la candidature du chef de l’État ou tout autre procédure pourraient être une façon de gagner du temps pour trouver le successeur du consensus. C’est ce qui pourrait arriver si ce mouvement de contestation n’était pas soutenu par des forces politiques, légitimes, crédibles et porteuses d’un projet alternatif.

Vous avez signé un appel avec d’autres universitaires invitant l’élite à s’impliquer. Comment, selon vous, donner un prolongement à la contestation pour éviter que les échecs passés ne se reproduisent (62, 88,…) ?

La règle veut que l’élite guide la société. Dans le cas qui nous concerne, force est de constater que la population qui se mobilise donne une belle leçon à l’élite. C’est le premier message de ce texte. Le second relève en partie de la réponse à la question précédente. Nous pensons que le mouvement de contestation actuel ne doit pas être une énième opportunité perdue. Nous ne sommes ni des politiciens ni des partisans.

Nous souhaitons alerter et essayer de mettre le doigt sur les vrais enjeux. L’Algérie, qui a été précurseur de l’ouverture politique dans le monde arabe, doit cesser d’être citée comme un mauvais exemple, et montrer qu’elle peut aller au-delà du changement de vitrine politique de façon pacifique et citoyenne.