«La France a mal évalué les besoins de l’économie algérienne»
«Prisonniers du passé en raison de nos liens historiques, nous n’avons pas su créer de relation économique directe avec l’Algérie. On paye donc le désintérêt de ces 15 dernières années.»
La France s’est éloignée de l’Algérie durant les années 1990, alors que le terrorisme ravageait le pays. Cet aveu vient du directeur de recherche au Centre d’études et de recherche international de Sciences Po, (Cerisp) Luis Martinez… «La France s’est éloignée de l’Algérie dans les années 1990, quand le terrorisme ravageait le pays. Et contrairement au Maroc et à la Tunisie, l’Algérie n’a pas fait partie du dispositif stratégique de l’Etat français pendant longtemps», a soutenu Luis Martinez dans un entretien paru hier, sur le journal électronique français La tribune. C’est ainsi que «progressivement, nous avons perdu notre lien d’expertise et nous n’avons pas offert à ce pays une visibilité assez forte», a-t-il dit, ajoutant que «le Canada, le Danemark y investissent de l’argent, pas nous!». Autant les liens culturels et historiques sont forts entre les deux pays, autant la méconnaissance entre l’Algérie est criarde.
Pour ce spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, «cette méconnaissance a un impact sur le plan économique, car lorsque les entreprises ou les investisseurs français veulent connaître ce marché, ils n’ont qu’une vision politique obsolète ou d’a priori». M.Martinez explique que cette situation est en partie dictée par une vision complexée de l’Histoire. «Prisonniers du passé en raison de nos liens historiques, nous n’avons pas su créer de relation économique directe avec l’Algérie. On paye donc le désintérêt de ces 15 dernières années», tranche-t-il avant de regretter: «Et pourtant, c’est un pays riche, qui a une croissance économique robuste et possède 179 milliards de réserves de changes.». Non seulement l’écueil de l’Histoire n’a pas été dépassé mais la France manque également de travail de lobbying en Algérie. «Il manque des instruments de lobbying, mais aussi un climat de confiance.»
Avatar de l’histoire, si la France s’est éloignée de l’Algérie durant les années 1990 à cause du terrorisme, c’est la situation sécuritaire notamment au Sahel qui rapproche aujourd’hui les deux pays. «Il y a bien une volonté de la part du président français, mais c’est surtout la situation au Sahel qui rend indispensable un tel renforcement», a-t-il affirmé rappelant que «L’Algérie, point d’entrée pour l’opération Serval en 2013, a assuré un relais logistique, dans la lutte contre le terrorisme. Cette collaboration militaire, renforcée par le fait qu’Alger a le même diagnostic que Paris sur la menace dans la région, va favoriser un rapprochement qui va aller au-delà.» M.Matinez a rappelé que sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les échanges ont reculé au profit d’autres pays d’Afrique du Nord comme le Maroc.
Là, il y a manifestement une volonté politique de rééquilibrer les relations pour rattraper le retard. «La France n’a pas été capable de profiter de l’euphorie financière qu’a connue l’Algérie au cours des 15 dernières années. Au niveau économique, ce n’est clairement pas Alger qui est demandeur!», fait remarquer le directeur du Cerisp désaprouvant que la France n’ait pas pu profiter des nombreux chantiers que l’Algérie a ouverts pour la remise à niveau importante de ses infrastructures: hôpitaux et routes.
Ce sont des pays comme la Chine ou la Turquie qui ont raflé une grande partie des contrats. «La France a mal évalué les besoins de l’économie algérienne: elle est restée sur l’exportation de produits de consommation comme l’automobile et n’a pas su prendre le tournant, en particulier sur les grands projets», a-t-il regretté souhaitant par ailleurs que le «gâchis diplomatique» soit réparé et la convergence diplomatique, en l’occurrence sur la question du Sahel, va permettre de nouer des relations stables. «Pour autant, est-ce la fin de la méfiance? On le dira le jour où la France obtiendra une commande d’armement», a-t-il noté.