Par El Yazid Dib.
Quand l’été fait monter de la chaleur dans la tête des uns et des autres, n’est-il pas sage de faire refroidir ces têtes par un élixir de logique, de lucidité et de bon sens ?
Toute chose doit connaitre une fin quel que soit le rempart, le pilier ou le poteau sur lequel elle s’adosse. Seule la raison peut avoir raison des choses, des personnes et des événements. L’on ne peut éternellement durer dans un poste de surcroit quand l’amour n’y est plus. L’on pourra certes faire forcer la main pour y demeurer, mais jusqu’à quand ?
Toutes nos villes semblent frémir sous la fièvre estivale pour s’ériger en des podiums dignes d’abriter des festivals. Certes ils ont tous leurs effets aléatoirement bénéfiques ; secouer un tant soi peu l’habitude, remplir une mission d’animation et créer du remous et du mouvement.
L’on a bien connu ce genre de manifestation, avec peu de moyens et de dérisoires subsistances. L’air était alors à un festival de militantisme et d’engagement. Le bon de commande ou l’exorbitant « cachet » n’était pas encore en mise. Ni d’ailleurs ces fameux commissariats, véritables sociétés de dépenses publiques. L’on se contentait de réussir par les moyens de bord. Loin d’Alger, loin de ces ordres mercantiles.
Un festival est censé être une expression festive, organisée à époque fixe (annuellement, le plus souvent) autour d’une activité purement culturelle et artistique. Mais chez nous, et depuis quelques années la trajectoire semble avoir tenu une autre tendance qui ne se faisait qu’à coup de milliards. Trouvez-vous utile et judicieux qu’un chanteur étranger, parfois à célébrité intramuros pour une heure d’agitation reçoive l’on ne sait plus combien de milliards mais que l’on devine ?
Si pour le commun des citoyens, la culture demeure une conduite sociale, l’art une recherche discontinue de la beauté et de l’émerveillement ; il en est autrement pour les serviteurs du secteur qui, par obligation devaient imaginer, sinon laisser faire et encourager, l’initiative, la parole et l’acte de culture. Il ne peut y avoir une exclusivité totale et dominante sur le secteur. La culture, sa gestion, son agencement, ses multiples organisations, ses résonnances, ses fébrilités, ses contours et ses périphéries n’appartiennent à personne et personne ne s’en trouve héritier pour les camisoler ou les mettre durant des décennies sous son joug.
Et si jamais l’on arrête de confier l’organisation de ces manifestations à cet organisme centralisé et verrouillé pour les remettre à leur origine, à l’autorité locale tout en attribuant la même manne financière ? La question a été posée par une députée de Batna ; il y a de cela des lustres. Dans le temps Timgad ne connut à sa naissance en 1967 que la hargne de ses enfants, de ses pionniers. Madoui Abdelaziz en est l’un des plus méritants. Mohamed Cherif Djabbari, l’avait réinventé en 1997 après dix ans de léthargie. Et Djemila ? ce n’était qu’un petit groupe d’amateurs d’entre musiciens, chanteurs, artistes, élus qui eut l’ardeur d’en faire un authentique podium où celui qui allait un jour devenir le roi du rai venait faire commettre ,sans tapage ses premières folies. L’argent ne coulait pas à flots. Mais la mélodie, l’ambiance, le bonheur et l’intégrité se partageaient à tout le monde dans une misère physique que seule l’opulence culturelle savait en découdre.
Parlant ainsi ; l’approche n’est pas celle de changer un nom par un autre, ou un organisateur par un autre. Sans cet essentiel fondamental qu’aurait exigé une nouvelle situation tendant à donner plus de punch, plus de clarté à la manifestation, tout changement n’est que voué à l’échec, au moins au maintien du statuquo que l’on voudrait tant corriger. En plus de l’immuabilité des personnes qui n’entraine en fait qu’une pérennité dans la méthode, l’essentiel aussi reste à rechercher dans ce combat contre l’inertie et la même cassette, contre l’esprit inadéquat que transporte cette personne que l’on voudrait retirer. Il se peut que ce soit la circonstance de la faiblesse de la ressource financière qui suggère cet impératif de réagencement des festivals. L’on n’a pas tous la même échelle d’appréciation d’un montant ou d’une somme à payer. Celui qui n’a pas « l’habitude » de fréquenter des chiffres à plusieurs décimales, prendra peur à les approcher et recomptera des milliers de fois le service fait avant de le certifier. L’expérience brandie et argumentée peut être une bonne chose, mais à force de se la faire et se la refaire ; elle court le risque, car banalisée et usualisée, de devenir un tempérament et une pernicieuse nature irrésistible à tout vent de changement.
L’on ne peut oublier de dire qu’un festival est obligatoirement et par ricochet un facteur économique pour la ville qui l’organise euh, pour laquelle on l’organise. L’impact induit par ce « chantier » de l’organisation implique le recours à des operateurs locaux. L’installation de chapiteaux, de siègerie, d’effets spéciaux scéniques, de traiteurs, de gardiennage, d’impression de billetteries, de supports médiatiques et autres éléments peuvent toutefois être contractés localement. C’est ce gain local qui justifie par ailleurs la domiciliation de la manifestation. Sinon, la localité ne sera qu’un site ouvert, un simple comptoir de vente ou de revente que l’activité économique n’en tire nul profit. La centralisation peut avoir cette vertu de la vue d’ensemble mais en finalité elle étrangle l’ensemble des autres vues. A défaut de décentralisation totale, une certaine déconcentration de pouvoir demeure perceptible et tendra à amenuiser les ardeurs, le tout au profit de la culture, de l’art, du bien-être social, de l’imprimeur du coin, de l’hôtelier de la ville, du badaud spectateur occasionnel, du p’tit vendeur de sandwich etc. il y a des chanteurs ramenés d’ailleurs qui ne passent même pas la nuit dans un hôtel local. Ni achètent des souvenirs, ni somme toute ne dépensent aucun sou dans le souk local. Un festival qui a tout le temps la tête à Alger et les pieds dans des sites romains ne peut continuellement fonctionner sans fièvre et ne saura qu’exacerber le ressentiment de la population locale. Il souffre d’une macro-céphalée. Un mal de tête.
L’on parle ici et là d’une bataille dans les coulisses de ces deux festivals. Timgad et Djemila. L’objet ne serait pas une question de canevas ou de menus lié à un programme en son et qualité. Cela semble prendre l’allure d’un bras « d’honneur » voire de fer entre une tutelle et un acteur. Entre Mihoubi et Bentorki. L’un est un ministre qui à moins de trois ans et un poète de toujours, l’autre est un fonctionnaire et un directeur général qui a plus d’un quart de siècle. Si la raison de la règle hiérarchique et du pouvoir discrétionnaire devait l’emporter, il ne pourrait y avoir dans cette relation nulle entremise, pression ou interférence extra-sectorielle. Appuyer l’un contre l’autre ne fera que troubler davantage le fonctionnement de l’Etat déjà mis à rude épreuve. D’où, d’emblée il faudrait se refuser à penser duel de personnes, autant qu’il faudrait tendre l’oreille attentivement à la substance de la brouille, voire de la vision.
Voir dans le dénouement de cette situation un vainqueur et un vaincu, c’est dire que la république n’est plus une institution réglementée, hiérarchisée, forte et juste mais une humeur, une opiniâtreté et une démonstration de force intuitu-personae. Nous ne dirons qu’hélas. Le problème, à nous n’est donc pas confiné dans qui va nous faire rire ou nous rendre heureux l’espace d’un moment, d’une soirée, d’un festival. Qu’il sache d’abord le faire en nous donnant ensuite l’impression qu’il l’avait fait dans le strict respect de l’art et de la manière.
Et si l’investissement privé, doué de coopératives culturelles, de société civile et de mécénat venait à faire des siennes dans l’organisation de ce genre de spectacle ?