La tension règne toujours au Val d’Hydra. Alors que certains propriétaires des locaux communaux ont emballé leurs marchandises dès l’arrivée des engins de démolition, les familles et les autres commerçants, inquiets, attendent leur tour. Virée au cœur d’une opération de relogement, unique dans les annales au vu du dispositif sécuritaire déployé.
Mardi, il est 10h30. Le Val d’Hydra bouillonne. Un impressionnant dispositif de sécurité est déployé depuis le rond-point mitoyen au ministère de l’Énergie jusqu’aux petites ruelles de ce quartier touché par l’opération de relogement engagée par la wilaya d’Alger. La route est fermée au trafic, car, nous dit-on, le déménagement est imminent. Mais à quelle heure ? Personne n’a l’information. Une chose est sûre, les 432 familles et 80 commerçants sont privés, depuis lundi soir, d’eau potable et, depuis hier à 6h du matin, d’électricité et de gaz. Les deux coupures, qui sont intervenues brusquement, annoncent un avant-goût des retombées d’une opération qui a irrité les habitants depuis son annonce, il y a six jours, par les autorités locales. Le Val d’Hydra est totalement barricadé par les unités antiémeutes, les sapeurs-pompiers, ainsi que par les bus et les camions mobilisés pour la circonstance. À 11h, le Val d’Hydra donne l’impression d’un quartier mort. À l’exception de deux restaurants, tous les autres commerces ont baissé rideau.
“Nous refusons les listes noires,
quitte à mourir !”
La colère est perceptible sur les visages des habitants. Notamment ceux qui font partie des 132 familles exclues par le relogement. Cela irrite un vieux commerçant, qui déclare : “Ce que les autorités locales nous ont fait est très grave. Elles excluent des familles, elles intègrent des bénéficiaires étrangers au quartier et elles veulent faire la même chose avec les commerçants. Nous refusons les listes noires, quitte à mourir !” Il est 11h30 quand un responsable arrive sur les lieux.
Alors qu’il s’apprête à remettre les arrêtés aux commerçants concernés par le déménagement, les habitants l’interceptent. “Nous voulons une liste complète pour que la chose soit transparente. Nous voulons savoir comment l’État va indemniser nos fonds de commerces et comment nous devons protéger nos marchandises, surtout les produits fragiles et onéreux”, clame un commerçant. La colère montera d’un cran quand un autre responsable, voulant calmer les esprits, lancera : “Nous vous donnerons vos arrêtés et nous nous entendrons sur le déménagement.” Cette déclaration allait embraser le Val d’Hydra. C’est ainsi que les commerçants se sont déchaînés sur lui pour lui signifier de quitter les lieux. “Ce bonhomme m’a viré de mon logement et mon recours traîne chez lui. Aujourd’hui il veut me virer de mon local commercial.” La fermeture des commerces depuis le chant du coq exaspérera davantage les habitants qui ne se sont pas approvisionnés en pain et en lait.
Du Val d’Hydra à Haouch Gazouz :
ce qui va changer
“Nous avons compris leur opération. Ils veulent nous évacuer pour occuper les lieux, alors que nous payons nos impôts et nous exerçons nos activités légalement avec des registres du commerce et des autorisations délivrées par le ministère des Affaires religieuses et des Waqfs. Ils veulent nous pousser aux violentes empoignades avec les policiers, mais nous refusons de les affronter car ils ne sont pour rien dans cette affaire”, déclare, énervé, un autre habitant. Celui-ci prendra la parole pour s’adresser à ses voisins : “Les familles seront relogées à Haouch Gazouz, situé entre Kheraïcia et Baba Ali, un quartier attenant à l’autoroute de Blida, et les commerçants aux environs de Birtouta, mais pas en ville !” Un sexagénaire sort de ses gonds : “Je suis né ici et j’ai deux enfants mariés. Ils veulent me reloger moi, mes enfants et leur progéniture dans un F3. Dites-moi, si vous avez encore un peu de logique, comment nous allons évoluer à 13 personnes dans un F3 ?”.
Fin du suspense, les engins de démolition arrivent
Le suspense va durer jusqu’à 14h30. Un porte-chars, transportant un engin de démolition, franchit la barrière de sécurité et se place devant les 20 locaux communaux, où la première opération de démolition est attendue à 20h. À 15h, les services de sécurité installent des projecteurs le long de la rue commerçante et au rond-point. L’ambiance est électrique. La tension monte d’un cran et un jeune commerçant, impuissant, lâche en sanglotant : “J’ai tout perdu.” Tout autour, les casques bleus et autres policiers munis de fusils à pompe sont déployés tous les dix mètres pour encadrer l’opération. Une quarantaine de fourgons arrivent et embarquent les cartons de marchandises emballés dans la précipitation. Les agents d’entretien et de la DTP d’Alger, présents sur les lieux, aident les commerçants à arracher leurs enseignes et les rideaux.
Par endroit, un silence de cathédrale règne. Dans ce décor qui nous rappelle les premiers déménagements douloureux du Grand-Alger, femmes et enfants guettent, depuis les balcons, le moindre geste ou la moindre action susceptible de faire dégénérer la situation.
À 16h, un responsable affirmera à demi-mot : “Ça va se passer à 20h, le reste nous ne savons pas.” Notre virée nous mènera vers les locaux d’un point de vente agréé Samsung, lui aussi concerné par la démolition alors que ses locaux de stockage sont loin de la route principale. “Ce n’est pas évident. J’ai investi toute ma vie ici. Mes deux habitations sont situées au-dessus des locaux. Je pense aussi au déménagement de la marchandise estimée, au bas mot, à des centaines de millions et les gens savent que je suis l’un des points les plus rentables de Samsung”, témoignera le propriétaire des lieux. D’autres enseignes sont aussi concernées.
Entre responsabilités et solutions
Mais qui est responsable de cette situation explosive, d’autant que des dizaines de baraques sont érigées sur un bien des waqfs dans ces ruelles qui, autrefois, constituaient le poumon des hauteurs d’Alger ? Pourquoi les autorités locales ont-elles fermé les yeux quand les citoyens construisaient ces bâtisses pour, enfin, décider de les démolir ? Là est le dilemme, car aucun habitant, interrogé par nos soins, n’a exhibé un acte de propriété et aucune autorité n’a brandi la moindre mise en demeure. Bien que certains habitants aient conscience de la chose, mais le mal est fait. Alors que l’État a décidé de récupérer ces espaces pour effectuer un dédoublement de la route, d’une part, et construire des biens d’utilité publique, de l’autre, familles et commerçants refusent de quitter les lieux. Du moins pour le moment.
Calme précaire et promesse
du wali d’Alger
Il est 18h. Plus de 15 commerçants, qui occupaient les locaux communaux, obtempèrent et quittent les lieux dans le calme. Les autres s’attellent également à emballer leurs marchandises. Les fourgons chargés de marchandises sont escortés et sécurisés par les policiers, nombreux, par ailleurs, à désengorger la voie publique pour éviter les infiltrations des délinquants. À 18h30, l’engin mobilisé pour la démolition de ces locaux est rapproché pour passer à l’action. Mais, aux dernières nouvelles, l’opération est ajournée. À 19h, la police lève les barricades et rouvre la voie au trafic routier. Il est 19h15, une quinzaine de bus de la DGSN pointent sur les lieux et évacuent les unités antiémeutes.
À 19h30, seulement une trentaine de policiers sont mobilisés pour maintenir l’ordre public et assurer la surveillance et le contrôle des lieux. Les habitants, eux, prennent leur mal en patience. Le calme est précaire. À l’heure où nous mettons sous presse, nous apprenons que le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, a déclaré que l’opération de relogement des familles et le déménagement des commerçants du Val d’Hydra pourraient s’inscrire dans un agenda flexible.
F. B.