Un tabou semble peu à peu se briser sur la Syrie. Longtemps exclue, tant par l’opposition que par l’Occident, la possibilité d’une intervention étrangère paraît de plus en plus d’actualité.
Opération militaire désormais publiquement réclamée, tant par le Conseil national syrien que par l’Armée syrienne libre, face au drame qui se joue sur le terrain, ce scénario fait son chemin chez les « Amis de la Syrie ». Mercredi, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a marqué un tournant en suggérant pour la première fois la possibilité d’un recours à la force.
Les hostilités ont tout d’abord été lancées par Hillary Clinton. La semaine dernière, la secrétaire d’État américaine a en effet évoqué le recours au chapitre 7 de l’ONU. « Les deux seules résolutions adoptées par l’ONU sur l’envoi de 30, puis de 300 observateurs en Syrie, ont été prises sous le chapitre 6 de la Charte des Nations unies, qui implique un règlement pacifique avec le consentement de l’État ciblé », explique au Point.fr Jean-Baptiste Jeangène Vilmer*, chercheur à l’université anglophone McGill de Montréal. « Ce n’est pas le cas du chapitre 7, qui permet de violer la souveraineté de l’État en question », ajoute-t-il.
Échec du plan de paix
Ce chapitre permet d’imposer à un pays un panel de mesures coercitives, telles de nouvelles sanctions économiques, un blocus, ou encore la fin des relations diplomatiques. En dernier lieu, le texte autorise le recours à la force, « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », dit le texte. « Pour l’heure, nous devons donner toutes ses chances au plan de Kofi Annan », répète néanmoins une source diplomatique française. Qualifié de « plan de la dernière chance », le projet en six points de l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe, en vigueur depuis le 12 avril, préconise notamment la cessation de toutes les violences sous supervision des observateurs non armés, ainsi que la libération des prisonniers politiques.
Or, sur le terrain, la tuerie continue. Selon Amnesty International, au moins 362 personnes ont péri depuis le début de la mission onusienne, dont six encore vendredi. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de Syriens ont manifesté à travers le pays contre Bachar el-Assad. Cette présence militaire a d’ailleurs « profondément troublé » le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pour qui Damas n’a pas respecté sa promesse. « Dans les faits, le plan Annan n’est pas appliqué », note une source diplomatique française. « De nombreux morts sont à déplorer, tandis que des armes lourdes sont toujours employées. »
Indéfectible Russie ?
Tous les regards sont déjà tournés vers le 5 mai prochain, date à laquelle Kofi Annan doit rendre les conclusions de son rapport. Et celles-ci ne laissent que peu de place au doute. « Si la mission de l’ONU ne fonctionne pas, on ne peut pas continuer à se laisser défier par le régime », avait prévenu mercredi Alain Juppé, avant de lancer : « Il faudra passer à autre chose pour arrêter la tragédie. » Problème, toute résolution se basant sur le fameux chapitre 7 risque d’être de nouveau bloquée par la Russie, fidèle alliée de Damas, qui n’hésitera pas à user du veto dont elle dispose au Conseil de sécurité.
Moscou a d’ailleurs dévoilé jeudi sa propre version du plan Annan. D’après le ministère russe des Affaires étrangères, l’opposition à Bachar el-Assad recourt à une « tactique du terrorisme » et demeure responsable de la majorité des violations du cessez-le-feu. « Le plus souvent, cela arrive en raison des actions de l’opposition armée qui poussent les forces de sécurité syriennes à riposter », précise Moscou. Des propos en tous points semblables aux sempiternelles accusations de Damas.
Une guerre non souhaitée ?
Le sort d’une hypothétique résolution se référant au chapitre 7 n’est-il donc pas scellé d’avance, Moscou ayant déjà usé de son veto pour des textes bien moins contraignants ? Ce n’est pas l’avis de l’ancien diplomate français Ignace Leverrier, qui juge au contraire « très utile » l’actuel scénario onusien afin d’engager Moscou dans un « cycle de sanctions ». « En signant les deux premières résolutions pour l’envoi d’observateurs, la Russie a franchi un premier pas capital », souligne-t-il. « Le chapitre 6 s’étant révélé inopérant par rapport à la réalité du terrain, la référence au chapitre 7 en est une suite logique. »
Pourtant, selon Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « cette menace d’intervention sous chapitre 7 serait avant tout une manoeuvre diplomatique visant à faire pression sur la Syrie, et à lui faire croire que l’option militaire est sur la table ». Ainsi, d’après le chercheur français, personne en Occident n’aurait vraiment intérêt à s’engager dans un conflit avec la Syrie. « La faiblesse de l’opposition, la force de l’armée syrienne et le fait que le pays soit au coeur d’une poudrière géopolitique rendent l’équation bien différente de ce qu’elle était en Libye : une intervention militaire pourrait cette fois être un remède pire que le mal. »
Par ARMIN AREFI