Loi de finances complémentaire 2021 : analyse macroéconomique et propositions

Loi de finances complémentaire 2021 : analyse macroéconomique et propositions

La LFC 2021 permettra d’actualiser les objectifs macro-budgétaires.  La loi de finances initiale (LFI) pour 2021 (mise en place le 1 janvier 2021) a été préparée au cours du quatrième trimestre de l’année dernière dans le contexte domestique et international de l’époque et sur la base de données macroéconomiques incomplètes pour 2020. Cinq mois après sa mise en œuvre, les autorités disposent maintenant : (1) de données macroéconomiques complètes pour 2020 ; (2) d’un tableau des indicateurs de base au titre du premier trimestre 2021 qui donnent un certain aperçu sur les recettes, les dépenses et les grandes lignes de l’équilibre budgétaire en 2021; et (3) d’éléments d’information sur les développements au niveau de l’économie mondiale (inflation, taux d’intérêt, taux de change, tendances sur les marchés des produits de base, etc..), y compris les tendances à court et moyen terme du marché international du pétrole. La LFC 2021 devra donc capturer tous ces éléments et, si besoin est, valider ou adapter les objectifs macro budgétaire pour 2021 et réorienter le pilotage de l’économie. Examinons ces éléments.

Le contexte national est très contraignant. Reflétant deux vagues successives de la covid-19, des politiques publiques manquant d’ambition et un stimulus fiscal modeste intégré a la loi de finances complémentaire de 2020, l’économie algérienne est en récession et les perspectives pour 2021 et 2022-2006 sont défavorables : sur le trend actuel, il faudra s’attendre à un recul de 1% de la croissance en 2021 et une stagnation économique (entre 1,5-2%) entre 2022-2026 ; une accélération de l’inflation à 4,5% en 2021 et environ 6,5 % entre 2022-2026 ; une hausse significative du déficit budgétaire hors pétrole à environ 33,7 % du PIB hors pétrole en 2021 avant de chuter à près de 32,5 % pendant  2022-2026 ; un déficit du compte courant de la balance des paiements de l’ordre de 9% du PIB en 2021 qui devrait baisser légèrement à 7-8% du PIB entre 2022-2026 ; et une baisse continue des RIC avec $38,5 milliards à fin 2021 et $28,9 milliards en 2022, $18 milliards en 2023, $10 milliards en 2024 et des niveaux négatifs entre 2025-2026. De plus, la pandémie continue et la campagne de vaccination progresse avec beaucoup de lenteur. En effet, le pays a reçu 100,000 vaccins (pour une population adulte de 29 millions d’habitants) et a débuté la campagne à fin janvier 2021. A ce jour, plus de 80,000 doses de vaccin ont été inoculées soit 0,2 pour 100 (un taux de vaccination très faible).

Les éléments factuels de l’avant-projet de la LFC 2021. (1) Des hypothèses de travail globalement inchangées:  l’avant-projet de LFC 2021 maintient les hypothèses à la base de la LFI 2021 (y compris une dépréciation du dinar vis-à-vis du dollar de 12%), à l’exception du taux de croissance qui passe de 3,98% à 4,1%. Cette croissance sera tirée par les investissements publics d’après les rédacteurs du projet ; (2) Des mesures législatives sans grande portée: au nombre de 37, elles couvrent la politique fiscale (17), l’administration fiscale et douanière (7) et les avantages fiscaux (13) ; (3) Un avant-projet de budget révisé de court terme avec des : (i) recettes totales: (5331 milliards de DA) soit une augmentation de 3,6 milliards de DA par rapport au niveau inscrit dans la LFI, résultat net d’une chute des recettes fiscales (- 4,2 milliards de DA) et d’une hausse des recettes pétrolières (+7,8 milliards de DA) en raison d’une augmentation des volumes et des prix à l’exportation ; (ii) depenses courantes : (5664,5 milliards de DA) soit une hausse de 350 milliards destinées à appuyer la santé (79,25 milliards de DA), l’éducation (paiements de rappels pour 50 milliards de DA) et les ménages (50 milliards de DA en compensation d’une réforme des subventions), prendre en charge les subventions d’eau, du lait et du blé (89 milliards de DA) et financer les élections législatives et locales (30 milliards de DA) ; (iii) depenses en capital : (2978,2 milliards de DA), soit une augmentation de 179,7 milliards de DA au bénéfice des secteurs de l’éducation, de l’eau, des infrastructures de base et du développement régional ; et (iv) un déficit global du Trésor (4140 milliards de DA), soit un creusement complémentaire de 2,4 points de pourcentage pour passer de 17,6 % du PIB (LFI 2021) à 20 % du PIB. Avec des ressources propres limitées, le gap de financement est de 3954 milliards de DA. Le recours à la planche à billets sera donc inéluctable. Un déficit colossal et en perspective un alourdissement de la dette intérieure et une montée de l’inflation, couts de la prise en charge de la pandémie.

Les points forts de l’avant-projet de LFC2021. (1) l’accroissement des subventions aux produits stratégiques (lait, eau, blé dont les prix ont augmenté sur le marché international en raison de l’émergence d’un super cycle des produits de base agricoles) pour protéger les ménages les plus vulnérables; (2) l’augmentation des dépenses vitales : au titre du fonctionnement (1,7% du PIB) pour soutenir les ménages en difficulté et au titre des dépenses en capital (0,73 % du PIB) dans les secteurs prioritaires sociaux et économiques pour soutenir l’activité économique. Ces dépenses sont donc vitales en période de pandémie et de récession et permettront de protéger le tissu social et d’éviter des dommages à long terme à l’économie et aux populations vulnérables; et (3) un stimulus fiscal plus important : dont le montant est de 314 milliards de DA (1,5 % du PIB ou $26 milliards) par rapport à celui inclus dans la LFC 2020 (70 milliards de DA soit 0,4 % du PIB ou $5 milliards). Avec des multiplicateurs sur 12 mois de 0,6 pour les dépenses courantes et 0,3 % pour les dépenses d’investissement, cela devrait générer des dépenses complémentaires de 1,3 milliards de DA. Un premier pas dans la bonne direction mais insuffisant vu les marges de manœuvre existantes en termes de croissance (écart de $205 milliards entre le PIB actuel de $146 milliards en 2020 et un PIB potentiel d’environ $350 milliards) et d’emploi (environ 2 millions de chômeurs à fin 2020 ainsi que les nouveaux flux de demandeurs d’emploi en 2021 soit environ 200,000).

Les points faibles de l’avant-projet de LFC2021. (1) le cadre macro budgétaire (CMB) de la LFC 2021 table sur une sortie de la crise sous forme de V (sortie immédiate), ce qui reste à prouver. En effet, les hypothèses de croissance sont ambitieuses pour trois raisons : (i) un objectif de 4,1 % de croissance en 2021 (soit 1,2 points de pourcentage de plus par rapport à la LFI) qui n’est pas énorme en lui-même, mais qui implique un bond de 9,8 points de pourcentage en 2021 dans un contexte marqué par des rigidités structurelles, la montée du chômage et de la pauvreté et la faiblesse de la demande publique et privée ; (ii) un pari sur les investissements publics pour générer cette croissance alors que la chaine de gestion institutionnelle manque d’efficience (ratio production/capital supplémentaire élevé, faiblesse du multiplicateur de dépenses en capital et du  taux de qualité des infrastructures, retards dans l’achèvement les projets et surcoûts) et que les effets des investissements se font sentir sur le moyen terme; (2) le CMB recèle certaines incohérences : du fait de la difficulté d’établir trois niveaux de réconciliation entre : (i) la dépréciation du taux de change envisagé (12 % de glissement en 2021) avec les projections sur la fiscalité de porte (douanes) et les importations ; (ii) les projections de croissance et celles des recettes fiscales en général; et (iii) les projections de croissance et les importations. Enfin, la faiblesse inhérente de l’indice des prix à la consommation ajoute une complication supplémentaire et fausse en partie la programmation financière du pays ; (3) Absence d’une stratégie à moyen terme : L’avant-projet de LFC a une dimension annuelle, vu l’absence d’une stratégie ciblant des objectifs macroéconomiques à moyen terme précis et réalistes concrétisés dans un cadre budgétaire à moyen terme (CBMT). Une crise aussi profonde demande des solutions à moyen terme et il est surprenant que le CBMT mis en berne depuis juin 2017 n’ait pas été encore réactivé ; (4) La configuration de cet avant-projet ne repose pas sur les 3 piliers : soutien à la population, relance économique et modernisation de l’économie. Si les dimensions protection et relance sont présentes dans une certaine mesure, a contrario la dimension modernisation est totalement absente ; (5) le recours continuel aux avantages fiscaux, un levier désuet, inefficace et coûteux de soutien à l’investissement. Les vrais investisseurs demandent une stabilité fiscale et un environnement des affaires approprié ; (6) l’inclusion d’enveloppes budgétaires pour compenser des ménages qui seraient affectés par une réforme des subventions qui n’est pas articulée ; et (7) l’absence d’une amorce de rationalisation des finances publiques du côté des recettes (excluant la politiques fiscale) et des dépenses en prévision de la LFI 2022, dernière opportunité pour le pays de piloter lui-même ses propres réformes et de jeter les bases d’un retour à la viabilite à moyen terme du budget suivant son propre timing.

Que faut-il faire ? Sachant que tout retour à la croissance est intimement lié à un assainissement des finances publiques, il serait donc souhaitable de : (1) se doter d’une stratégie de croissance à moyen terme ; (2) mettre en place une panoplie d’outils de pilotage macroéconomique vitaux pour mesurer les performances et ajuster les objectifs au gré des développements internes et externes, dont un cadre macroéconomique à moyen terme, un cadre budgétaire à moyen terme et des données disponibles dans des marges de temps raisonnables (tableaux trimestriels portant indicateurs économiques et financiers de base, rapports périodiques, indicateurs sociaux, etc..) ; (3) créer des cadres institutionnels technique et politique : dont le rôle est de collecter les données de base, les traiter, produire des tableaux et rapports trimestriels pour aider les autorités politiques à piloter l’économie et également informer la population et tous les partenaires intérieurs et extérieurs qui souhaitent investir ; (4) développer une politique de communication avec des messages simples couvrant toutes les questions essentielles ; et (5) renforcer la transparence budgétaire en publiant des données de base et des rapports régulièrement. En période de crise notamment, plus la population est informée plus elle comprend les défis et mieux elle participe à leur solution.

Par Dr. Abdelrahmi Bessaha – ‎senior economist · ‎International Monetary Fund