L’Algérie profonde renoue avec les émeutes. Il a fallu mort d’homme à Nezla, du côté de Touggourt, pour braquer les projecteurs sur cette région.
Mais la contestation est un peu partout. Que ce soit à Béjaïa, à Hassi-R’mel ou ailleurs, les griefs sont les mêmes et ont trait à la gestion des affaires de la cité, à la non-prise en charge des préoccupations des citoyens et au cadre de vie en général. Ces mouvements de protestation cycliques, mais porteurs de dangers s’ils venaient à être généralisés ou exploités à d’autres fins, n’ont pas trouvé, jusque-là, les réponses idoines de la part d’un gouvernement de plus en plus acculé au rôle de pompier.
La contestation, qui a gagné ces dernières années les villes du sud du pays, a ceci de particulier : depuis les émeutes d’Ouargla, en 2004, à l’occasion de la visite du président Bouteflika, la donne a totalement changé et les populations du Sud parlent une langue que les autorités d’Alger ne semblent pas comprendre. Avec tout ce qui se passe dans les pays voisins et tout ce qui s’est passé lors de la spectaculaire attaque du complexe gazier de Tiguentourine, mais aussi la crise de Ghardaïa, et surtout l’essor connu par le mouvement des chômeurs du Sud, tous les ingrédients sont réunis pour faire du Sud algérien une véritable bombe à retardement.
Et il est fort à craindre que les événements de Touggourt fassent tache d’huile et gagnent d’autres localités du Sud, sachant que les problèmes du logement et du foncier existent partout. Le déplacement du ministre de l’Intérieur et du DGSN à Touggourt pour contenir la contestation et les annonces faites sur place rappellent l’attitude du gouvernement face à la crise qui a secoué Ghardaïa des mois durant : on essaye de calmer la colère, on fait du populisme, sans jamais s’attaquer aux problèmes de fond. Cette façon de faire du gouvernement a été perçue par les citoyens comme un encouragement à faire des émeutes pour se faire entendre. La tendance est devenue flagrante depuis l’éclatement des révoltes arabes.
Le gouvernement a cassé sa tirelire pour acheter la paix sociale et les citoyens l’ont bien compris. Faut-il leur en vouloir ? Non, puisque c’est le seul moyen de se faire entendre. Le gouvernement impute la responsabilité de ces émeutes récurrentes à l’absence de dialogue au niveau local. Mais, justement, c’est à ce niveau que le gouvernement a tout faux. Le code communal réduit les élus locaux à de simples figurants, concentrant la quasi-totalité des prérogatives entre les mains de l’administration (daïra et wilaya).
L’administration locale mais aussi les notables locaux imposent leur diktat, que ce soit pour la distribution du foncier urbain, des logements sociaux et même des projets économiques. Les doléances des citoyens, leurs cris d’alarme, ne sont jamais pris en compte, sauf en cas d’émeutes. Le gouvernement ferme les yeux sur les dépassements dénoncés par les citoyens et n’agit qu’en cas d’extrême urgence.
Pis encore, à chaque déplacement d’officiels dans le pays profond, on lui ramène une “société civile” triée sur le volet et qui représente beaucoup plus l’administration et les notables locaux pour lui dresser le tableau que l’on veut. Le gouvernement est, donc, complice de cette façon de faire de l’administration locale et des maffias locales. Le dialogue ou la démocratie participative prônés par le gouvernement en guise de solution aux problèmes locaux restent de simples voeux pieux.
Car un dialogue suppose qu’il y ait au moins deux parties. Jusque-là, on a droit à un monologue à travers tout le pays, sans exception. Même la capitale, censée être proche des centres de pouvoir, n’y a pas échappé, et l’on assiste à des émeutes ça et là notamment en raison de la question du logement social.
C’est dire que la prise en charge des doléances des citoyens, qu’ils soient à Alger ou à Adrar, constitue le cadet des soucis de l’administration qui continue à fonctionner avec les mêmes réflexes depuis des lustres. Des réflexes suicidaires qui ont démontré toutes leurs limites et qui constituent aujourd’hui le terreau de toutes les contestations.
Azzeddine Bensouiah