L’offensive de charme du pouvoir algérien

L’offensive de charme du pouvoir algérien

Ahmed Gotari n’en revient toujours pas. Ce chômeur algérien de 28 ans s’était habitué à être traité par le dédain. Mais cette semaine, en se rendant une nouvelle fois au siège de l’administration locale, c’est le maire qui l’a accueilli et lui a promis de l’aider.

« C’était tellement super que je me suis demandé s’il allait m’apporter un café. Il y a trois mois à peine, nous étions traités comme des chiens, même le vigile ne nous jetait pas un regard« , raconte-t-il quelques jours plus tard à l’agence Reuters.

L’expérience vécue par Ahmed Gotari n’est pas un cas isolé. Déblocage de crédits aux entreprises, tolérance à l’égard des vendeurs clandestins et des automobilistes enfreignant le code de la route, facilités de paiement pour les contribuables en tort: traditionnellement inflexible, la bureaucratie algérienne montre un tout autre visage ces jours-ci.

Ce qui a changé ? Les soulèvements en Egypte, en Tunisie. Ce « printemps arabe » qui menace aujourd’hui les 41 années du règne de Mouammar Kadhafi en Libye voisine.

Redoutant que l’onde de choc les atteigne, les dirigeants algériens ont mis en oeuvre des mesures sans précédent pour tenter de s’assurer le soutien du peuple.

Mais les adversaires du président Abdelaziz Bouteflika jugent qu’en dépit de ses immenses réserves pétrolières et gazières, l’Algérie est confrontée à de profonds problèmes structurels: déficit de libertés démocratiques, chômage persistant et vétusté du logement.

Ces questions-là, ajoutent-ils, ne seront pas réglées si facilement. Quant aux mesures prises par le pouvoir, dit Mohamed Lagab, politologue et enseignant à l’université des sciences politiques d’Alger, « c’est comme une aspirine prescrite à un malade du cancer. Ça apaise la douleur un moment, mais ça ne règle pas le problème« .

Le gouvernement n’ignore pas ces problèmes.

Il a levé l’état d’urgence qui était en vigueur depuis février 1992 et l’annulation, entre les deux tours, des élections législatives que les islamistes du Fis étaient en passe de remporter. Il a ouvert les antennes de la télévision à l’opposition. Il investit aussi des milliards de dollars dans la modernisation de l’économie et la construction de logements neufs.

Ses mesures plus ponctuelles semblent fonctionner. Du moins pour l’instant. En janvier, la flambée des prix du sucre et de l’huile avait provoqué plusieurs journées d’émeutes. Aucune violence n’a été enregistrée depuis, et les tentatives de mobilisation politique ont semble-t-il perdu de leur vigueur.

Entre-temps, les fonctionnaires algériens ont reçu pour instruction d’être plus conciliants avec la population.

Selon une note gouvernementale que Reuters s’est procuré, les policiers par exemple ont pour consigne de ne retirer le permis de conduire d’automobilistes que dans des circonstances « très graves« .

Une note signée par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, enjoint à la direction des impôts de différer l’envoi de certaines demandes de redressement fiscal.

Un agent de police affirme que les autorités ferment l’oeil sur le « trabendo« , le marché noir alimenté par de nombreux jeunes Algériens sans autres ressources. « Ils ne paient pas de taxes, nous ne sommes pas certains de la qualité des produits qu’ils revendent, mais nous ne nous en soucions pas pour le moment« , ajoute ce policier en poste dans le quartier populaire de Bab El Oued. « On veut qu’ils soient occupés« , poursuit-il.

Autre mesure populaire: les Algériens de plus de 30 ans n’ayant pas accompli leurs 24 mois de service militaire en sont désormais dispensés. Le gouvernement a également annoncé qu’il prendrait en charge la totalité des frais administratifs dans le cadre de créations de PME.

La rue algérienne plaisante sur cette « gigantesque braderie avec des soldes d’enfer, des prix imbattables, des offres incroyables« , ironisait cette semaine l’éditorialiste Hakim Laalam dans Le Soir d’Algérie

« Moi-même qui n’ai pas de voiture, j’arpente depuis des heures les rues en fixant à chaque fois les belles et luxueuses berlines qui passent. Qui sait ? Peut-être existe-t-il une katiba (section) chargée de remettre des clés de bagnoles neuves à tous ceux qui, comme moi, bavent sur une caisse« , ajoutait-il.

Henri-Pierre André pour le service français

Par Reuters