Avec plus de 23 ouvrages entre ses premières poésies et un large éventail de romans, l’auteur qui avait signé en 1965 aux éditions Sned le recueil « Pour ne plus rêver » puis qui connut un succès fulgurant avec son premier roman « La Répudiation » sorti en 1969 aux éditions parisiennes Denoël, a choisi de continuer son parcours littéraire en Algérie où il n’a jamais cessé d’écrire et de publier régulièrement une œuvre traduite dans près de 34 pays .
Son nouveau roman qui s’inscrit comme l’avant-dernier dans le traitement littéraire de l’Histoire algérienne sous toutes les latitudes apparaît comme un questionnement poignant mais pourtant serein sans trop d’envolées lyriques, des faits historiques passés et récents dans une logique romanesque qui marque un certain tournant dans l’écriture de Rachid Boudjedra.
En effet, l’auteur né en 1941 à Aïn Beida et dont on oublie très souvent qu’il a fait ses classes avec des études en Philosophie et Mathématiques pour suivre dans son propre pays depuis de longues années une carrière d’écrivain est d’abord un observateur assidu des turpitudes de l’Histoire en même temps qu’il en est le témoin privilégié.
Dans «Les figuiers de Barbarie», la plume de l’auteur dans une belle géographie de l’écriture romanesque, renoue avec les notions de patrie algérienne, les symboles de la lutte armée d’une manière interne : En revisitant l’histoire du colonialisme français et du déclenchement puis du déroulement de la guerre de libération nationale avec toutes les horreurs que cela implique.
Les liens de sang sont évoqués à travers deux personnages qui se retrouvent dans le même avion en partance d’Alger vers Constantine.
Le roman donc se déroule entre l’espace temps-mémoire, le temps que dure le vol entre ces deux villes et l’introspection des deux personnages Omar et Rachid dans les souvenirs d’enfance partagée dans le même lieu et leur participations à ce que le narrateur nomme dans le texte «L’Organisation» puisque les deux personnages ont tous les deux faits le maquis et connus la révolution de Novembre 54 puis la liesse de l’Indépendance.
Pourtant s’ils étaient cousins par alliance avec des liens très proches et une histoire commune, les familles de Omar et Rachid n’étaient pas du même côté pendant la guerre : Tandis que celle de Rachid a fait de lourds sacrifices , le père et le frère cadet de Omar ont choisi le camp adverse.
Omar dont le narrateur analyse tout au long du roman les sentiments lancinants de remord et de honte, devient le personnage doté de valeurs humaines.
Ce sont ces réminiscences douloureuses qui viennent tourmenter le présent des personnages empêtrés dans une actualité violente ,celle des émeutes sanglante d’octobre 1988, qui les ramènent dans le passé héroïque et glorieux , eux qui évoquent dans l’avion le sens que prenait alors l’Histoire et la nécessaire guerre contre le colonialisme français.
A ce point du récit, Rachid Boudjera met en scène à côté des grandes figures de la résistance algérienne qui furent abominablement exécutées dans la torture ou la guillotine comme Ahmed Zabana à titre d’exemple y compris des martyrs connus qui étaient handicapés ou atteints de cécité , d’autres sympathisants du FLN notamment un certain militant communiste Fernand Yveton pour lequel l’auteur consacre de longues pages en raison du fait qu’il fût lui aussi exécuté pour l’exemple par la France coloniale par celui que les algérois d’alors appelaient «Monsieur Meisonnier».
Dans ce roman où la référence au titre est omniprésente en ce sens qu’elle a valeur de mémoire puisque l’on retrouve quelque part dans le roman, outre une forte charge émotionnelle sur l’expression «Figuiers de Barbarie » qui renvoie à l’âpre résistance , le sobriquet que donnaient les «pieds-noirs » racistes aux algériens, l’auteur par un jeu de va-et-vient incessant entre une histoire individualisée telle qu’elle est relatée par le narrateur et la conscience de l’histoire en l’occurrence sa valeur empirique , tente dans ce livre de concilier la vérités des faits tels qu’ils sont survenus en remettant les choses à leur place réelle dans l’histoire officielle.
Il y a dans ce roman une tentative fort réussie sur le plan littéraire de relativiser les faits historiques en les replaçant dans leur contexte véridique ce qui donne à la trame romanesque une bonne dose d’historicité objective .En des termes plus simples, Rachid Boudjedra a revisité l’Histoire algérienne avec ses différends épisodes et jalonnements politiques pour mieux en saisir la complexité actuelle.
«Les figuiers de Barbarie » est un bel exercice de style sur la mémoire algérienne avec ses failles ,ses omissions mais aussi un parfait exemple de réécriture de l’histoire en fonction des inévitables réajustements.
Un roman qui marque la pleine maturité de son auteur et comporte des réflexions philosophiques, reflets de préoccupations majeures.
Lynda Graba