L’intox d’Al Jazeera sur le transport de mercenaires par l’Algérie met en danger des Algériens

L’intox d’Al Jazeera sur le transport de mercenaires par l’Algérie met en danger des Algériens

Ils vivaient paisiblement depuis des années en Libye. Nombre d’entre eux n’ont même plus de pied-à-terre en Algérie.

Ils ont été pourtant obligés de tout abandonner : travail, maison, amis… Certains sont partis dans la nuit en catastrophe pour échapper aux combats, aux tirs ou aux violences contre les étrangers après les informations mensongères diffusées par la chaîne qatarie Al Jazeera faisant état d’envoi par l’Algérie de mercenaires pour aider Mouamar Kadhafi à mater l’insurrection libyenne. A leur arrivée jeudi dernier au port d’Alger, ils en avaient gros sur le cœur.

La joie de retrouver l’Algérie se lisait, certes, sur leur visage, bien qu’une certaine mélancolie soit perceptible en filigrane. Plus encore. N’est-ce pas un traumatisme violent que de tout abandonner soudainement :

l’attachement affectif, la tendresse partagée et les souvenirs heureux. Abderrahmane, la quarantaine, vit depuis une vingtaine d’années à Djanzour, non loin de Tripoli. Il est agacé et n’arrête pas de parler à ceux qui ont partagé avec lui ce voyage qui l’a extrait de son enracinement. Il aurait aimé ne pas quitter la Libye même durant cette période d’insécurité, mais il s’est vu obligé de le faire après l’intox diffusée par Al Jazeera. «Les Libyens sont hospitaliers. Ils sont chaleureux et affables. Je n’ai jamais eu de problème dans ce pays depuis que je me suis installé. Je pense y retourner très bientôt, dès que les esprits vont se calmer», a dit Abderrahmane avant d’ajouter : «La cause du chaos et du désastre, c’est Al Jazeera. Tout ce qu’elle diffuse est mensonger. Cette chaîne de télévision a parlé de cinq morts dans mon quartier, exactement là où j’habite, alors que ce n’est pas vrai.»

Selon Abderrahmane, de nombreux Libyens ont, certes, suivi le mouvement de protestation les premiers jours, mais ils ont vite reculé. La raison ? «Il s’agissait juste d’un mouvement par suivisme de la contestation qui s’est déclenchée dans les pays arabes car même si, en Libye, parler politique n’est pas admis, les citoyens ne manquent de rien. C’est injuste pour Kadhafi.» Faycel, qui vit depuis sept ans déjà à Benghazi, a affirmé également qu’il n’y a pas eu de bombardements aériens visant des civils : «Des dépôts d’armes ont été bombardés. Et c’est l’attaque d’une caserne par de jeunes libyens qui a fait beaucoup de morts.» Faycel reconnaîtra néanmoins que dans la Jamahiria, il n’y a pas lieu de parler de «libertés et de politique». Il considère que la colère populaire est justifiée par l’apparition des signes de paupérisation dans un pays pétrolier riche.

Faycel a décidé de tout quitter lorsqu’il a entendu qu’un de ses amis, un Algérien habitant Tadjoura, a été dépouillé après qu’un groupe de Libyens armés et habillés en tenue militaire s’est introduit chez lui. Un autre, habitant Radjma, affirme que la Libye s’enlise dans le chaos. «Tout le monde est armé, même les enfants de 12 ans ont des kalachnikovs. Après les informations diffusées par Al Jazeera, certains ont commencé à chercher après les Algériens.

Nous sommes restés terrés chez nous pendant une semaine sans pouvoir nous approvisionner.» Quatre jeunes Algériens de Relizane ont vécu une des mauvaises aventures de leur vie en Libye. Partis depuis trois mois seulement travailler pour une entreprise libyenne à Benghazi, ces derniers se sont retrouvés pris dans le feu de la protesta. Leur entreprise brûlée, ils n’ont même pas pu récupérer leurs salaires, et pour quitter cette ville, ils n’ont dû leur salut qu’aux bienfaiteurs libyens. «Des habitants d’El Beïda et de Soussa nous ont donné de l’argent pour voyager. Nous nous sommes rendus aux frontières libyco-égyptiennes, mais à notre grande surprise, l’accès nous a été refusé», a raconté l’un des jeunes avant que son copain ne l’interrompe pour préciser : «Les Egyptiens nous ont demandé des pots-de-vin. Ils ont exigé de nous de payer notre passage.

Nous avons alors été obligés de revenir à Benghazi pour prendre le bateau algérien. A ce sujet, il faut remercier notre Président qui a pensé à nous rapatrier, mais aujourd’hui, il doit aussi penser à nous donner du travail.» Et du travail, il n’est pas le seul à en réclamer. Djamel aussi demande à l’Etat algérien de lui donner l’occasion de gagner sa vie : «Je suis parti parce que je n’arrivais pas à trouver un emploi dans mon pays. Aujourd’hui que je suis de retour, je ne sais pas ce que je vais faire, ni comment subvenir aux besoins de ma famille. Je ne veux pas vous parler de la situation en Libye, il y a un problème interne qui sera réglé entre Libyens. Mon problème à moi actuellement, c’est de pouvoir m’installer dans mon pays.» «Oui, il a raison», renchérit un autre qui, en l’écoutant, s’est approché du groupe. «En Libye, je travaillais et je pouvais manger aisément de la viande.

Ici, je viens d’acheter un café à 40 DA. Vous imaginez la cherté de la vie ? Qu’allons-nous faire ?» Les Algériens de retour de Libye affirment que les autorités sécuritaires libyennes les ont contraints à supprimer de leurs portables toutes les photos et vidéos au risque de voir leurs téléphones confisqués. Une question hantait, cependant, l’esprit de nombreuses personnes qui viennent de laisser leur vie loin derrière elles, en Libye. Comme Khadija, cette veuve qui ne sait pas chez qui elle va s’installer.

Près de trente ans après avoir quitté le pays avec son époux, Khadidja revient en compagnie de ses enfants, des jeunes filles et des jeunes hommes qui ne connaissent de l’Algérie que ce qu’on leur a raconté. Elle a quitté son domicile à Benghazi en faisant la promesse à ses voisins et à ses amis d’y revenir bientôt. Mais elle n’y retournera pas seulement à cause de ses souvenirs et de son monde à elle, il y a aussi ses enfants qui sont encore étudiants dans les universités libyennes. Asma, la fille de Khadidja, 20 ans, suit des études de droit. Cette Algérienne d’origine et Libyenne de cœur a participé à la révolte de son pays adoptif. Elle savait, comme tous les Libyens, qu’une grande manifestation se préparait pour le 17 février : «Nous avons pensé que la manifestation était un mouvement pacifique pour soutenir l’Egypte. C’est qu’en Libye, il n’y a pas de manifestations. Il y a eu quelques affrontements et des groupes ont commencé à manifester contre Kadhafi. Les manifestations se sont propagées petit à petit et se sont transformées en révolte.» Pour elle, l’insurrection en Libye se justifie : «La Libye est un pays où il n y a ni démocratie ni liberté. Il est dit que le pouvoir est entre les mains du peuple, mais ce n’est qu’en théorie. Il n’y a pas de culture politique et personne n’a le droit de donner son avis au risque de disparaître dans les geôles du pouvoir.

Le peuple n’arrive pas à comprendre si la Libye est une djamahiria, une monarchie ou un royaume. Nous sommes sous quel régime ? A ne rien comprendre. Kadhafi est-il roi ?» Ces Algériens qui ont quitté la Libye ne cherchent pas tous à comprendre la politique de Kadhafi. Ils aiment leur vie en Libye, leurs amis et frères libyens et ne souhaitent qu’une chose : y retourner.

H. Y