Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a accordé une interview à l’Agence France-Presse (AFP), dont l’APS a obtenu une copie. Voici l’intégralité de l’interview :
Il a été question pendant des années de la signature d’un traité d’amitié entre la France et l’Algérie. Aujourd’hui, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, évoque un partenariat stratégique entre les deux pays, indiquant que c’est également le souhait de l’Algérie. Qu’en est-il vraiment et quelles sont les raisons de ce choix ou de ce non-choix ?
La “déclaration d’Alger”, signée en mars 2003 par nos deux pays, a marqué leur intention commune de bâtir un partenariat fondé sur ce qui rassemble les deux pays, soit l’encrage historique, la proximité géographique, les liens humains et les nombreuses interdépendances bilatérales.
Cette ambition est toujours de rigueur, pour la partie algérienne qui souhaite donner un contenu concret et opérationnel à ce partenariat d’exception que les deux peuples appellent de leurs vœux. Les formes du partenariat importent finalement peu, c’est sa consistance qui est essentielle.
Elle passe certainement par l’intensification du dialogue politique à tous les niveaux, incontournable à mon avis pour définir l’orientation que nous voulons donner à la stratégie de coopération que nous ambitionnons de développer, pour le long terme, entre les deux pays.
De cette manière, nous pouvons transcender beaucoup de pesanteurs et faire coïncider réellement nos intérêts qui doivent s’affranchir des considérations conjoncturelles, nécessairement précaires. L’Algérie est favorable à une réaction forte et dynamique avec la France fondée sur la densité des liens et les nombreux intérêts qui unissent nos deux pays.
L’élection de François Hollande à la présidence française a été applaudie en Algérie et beaucoup d’espoirs ont été exprimés en une amélioration des liens entre les deux pays. Qu’attendez-vous précisément de la France d’aujourd’hui ?
Nos pays sont en train de vivre l’enjeu de la mondialisation où l’interdépendance entre Etats, fussent-ils éloignés, est devenue une chose inévitable. A plus forte raison lorsque ces Etats sont dans la même sphère géographique.
Avec la France nous avons beaucoup d’atouts en partage et nous voulons relever le défi de construire un partenariat qui résiste aux contingences et qui dépasse les seules relations commerciales où chacun réduit l’autre à un débouché.
Ce que l’Algérie attend de la France, c’est un accompagnement dans le processus de développement économique, social et humain, un vaste chantier en cours de mise en œuvre et qui nécessite un perfectionnement de l’élément humain, un transfert technologique réel et un partenariat gagnant-gagnant dans le système productif.
En tout état de cause, nous espérons que l’arrivée aux responsabilités de M. François Hollande va marquer une nouvelle étape dans nos relations bilatérales qui sont appelées à s’approfondir dans l’intérêt de nos deux peuples.
Monsieur le Président, vous êtes un très fin connaisseur de la diplomatie internationale et de la relation franco-algérienne. Pourriez-vous faire le point de ces 50 ans de relations et des ratés qu’à vos yeux ces liens franco-algériens ont subis ?
Parler, même en synthétisant, de 50 années de relations algéro-françaises, n’est pas chose aisée. Ce serait prétentieux de ma part de m’adonner à cet exercice.
C’est aux historiens et aux chercheurs des deux pays d’entamer un véritable travail commun de lecture de cette Histoire dense et riche, marquée par des hauts et des bas qui témoignent de l’intensité de nos relations.
Mais d’un point de vue politique et stratégique, je ne peux que réaffirmer l’obligation pour l’Algérie et la France de travailler ensemble tant leurs interdépendances sont nombreuses.
Nous avons une responsabilité devant nos peuples. Nous devons tirer les enseignements de notre expérience passée, pour corriger “dans l’action” la trajectoire d’une coopération et d’un partenariat toujours perfectible.
Nous pouvons, tout de même, nous féliciter du fait qu’au fil du temps les deux pays aient pu apporter à chaque fois une pierre à ce grand édifice que nous voulons construire ensemble, celui d’un modèle de coopération dans le bassin méditerranéen.
L’Algérie a une position nuancée vis-à-vis de la crise syrienne. La mission de Lakhdar Brahimi est en cours. Quelle solution préconisez-vous pour mettre fin à cette guerre et quel rôle entrevoyez-vous pour l’Algérie dans la résolution de cette crise ?
Dès le début de la crise, l’Algérie a appelé toutes les parties à mettre un terme aux actes de violence et à s’engager dans la voie du dialogue. Comme elle s’est associée aux efforts de la Ligue des Etats Arabes pour mettre fin à ce drame dans un pays frère.
A cet égard, l’Algérie a été très active au sein du Comité ministériel de la Ligue arabe chargé de la situation en Syrie, dont elle est membre, pour contribuer à la recherche d’une solution.
Cet engagement n’est pas seulement dans le discours, puisque nous avons été parmi les premiers pays à dépêcher des observateurs sur le terrain, dans le cadre de la mission d’observation mise sur pied par la Ligue arabe en décembre 2011.
L’Algérie a également pris part à toutes les réunions organisées dans le cadre du groupe des amis du peuple syrien où elle a apporté sa contribution à la recherche d’une solution qui soit équilibrée, pour tenir compte des aspirations du peuple syrien, sans marginalisation d’aucune sorte. Bien sûr, nous accompagnons la mission en cours de Lakhdar Brahimi de tous nos vœux de succès, dans le délais les meilleurs, pour épargner à la Syrie les déchirures qu’elle connaît actuellement.
Ne craignez-vous pas un conflit généralisé à la région, notamment en raison des pressions exercées actuellement sur l’Iran ?
Il est tout à fait clair que les risques d’une conflagration généralisée dans la région sont réels. Cela n’est pas du seul fait des pressions qui sont exercées sur l’Iran, mais également de la politique de domination et d’oppression à l’égard du peuple palestinien et le déni permanent de ses droits les plus élémentaires.
Et quelle est la position de l’Algérie concernant le programme nucléaire de l’Iran avec laquelle vous entretenez de bonnes relations ?
L’Algérie entretient des relations de coopération et d’amitié avec l’Iran. Ces liens ont été forgés dans des moments difficiles, notamment dans le cadre de médiations algériennes.
Ce fut le cas, en 1975, pour la délimitation des frontières territoriales et maritimes avec l’Irak, puis, en 1980 pour la libération des otages américains, et enfin en 1981, pour mettre fin à la guerre fratricide contre l’Irak.
Sur la question du programme nucléaire iranien, ma conviction est que le différend qui oppose l’Iran à certains de nos partenaires est loin d’être insoluble et encore moins une fatalité.
Il ne peut, non plus, s’accommoder de solutions unilatérales, ni faire l’économie d’un traitement juste et équilibré, dans le cadre d’une démarche d’ensemble mettant en jeu des éléments interconnectés.
“Nos partenaires doivent prendre la mesure du sentiment d’insatisfaction de la majorité des Etats parties, au Traité de non-prolifération (TNP), qui ont fait le choix de renoncer volontairement à l’option nucléaire militaire, pour la préservation de la paix.
Qu’il s’agisse des mesures concrètes de désarmement convenues au niveau international qui n’ont pas été appliquées, ou des nouvelles conditionnalités sur les droits légitimes des Etats parties au TNP à se doter de capacité scientifique et technique, y compris dans le domaine nucléaire, pour accélérer le développement socio-économique.
Ceci m’amène à évoquer les préoccupations que suscite l’asymétrie au profit d’un seul pays dans la région du Moyen-Orient, de surcroît non membre au TNP, et dont la sécurité est fondée sur la dissuasion nucléaire. Cette situation encourage inévitablement la course aux armements.
Nous devons œuvrer collectivement à la restauration de la confiance dans le régime de désarmement et de non-prolifération, pour enrayer les perceptions porteuses de risque d’érosion dans l’application des clauses du TNP et dans la décision de poursuivre le désarmement et l’élargissement de la zone de non-prolifération.
Le moment est venu de mettre fin à ces asymétries. Le contexte s’y prête. Le président Obama qui vient d’être réélu, pourrait contribuer à une relance des canaux du dialogue et de la négociation sur le programme nucléaire de l’Iran.
L’AIEA, instance dûment mandatée en matière de vérification nucléaire et de promotion des utilisations pacifiques de l’atome, peut accompagner ce mouvement par l’impartialité et le professionnalisme qui lui sont connus.
En attendant, tous les pays de la région, dont l’Algérie, et en particulier, les puissances dépositaires de la résolution 1995 issue de la Conférence d’examen du TNP, doivent s’engager, de bonne foi, à enclencher un processus pour l’établissement d’une Zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Eu égard au développement de la situation au Mali où une intervention armée africaine se précise, quel rôle envisagez-vous pour l’Algérie, pays frontalier et déjà meurtri par l’islamisme radical ? Etes-vous prêts à accepter une aide de la France et des Etats-Unis d’Amérique, en vue de mettre fin aux actes de terrorisme commis par les groupes radicaux armés islamistes, d’autant que leurs dirigeants sont des Algériens qui ont déjà fait beaucoup de mal à leur pays ?
La crise malienne est multidimensionnelle. Elle recouvre des aspects politiques, sécuritaires, économiques et humanitaires qui ont déstabilisé l’Etat et le peuple du Mali. Il s’agit, maintenant, de préserver l’unité nationale et l’intégrité territoriale de ce pays frère et de poursuivre la lutte contre le terrorisme et le crime transnational organisé.
Pour y parvenir, l’Algérie a préconisé une solution politique négociée entre le Gouvernement malien, renforcé et uni autour d’un projet national consensuel, et les groupes de la rébellion malienne, qui acceptent de rester dans la communauté nationale et qui se démarquent, nettement, des activités terroristes et criminelles. S’agissant de la contribution de l’Algérie, il est clair qu’il n’y a jamais eu de déficit de solidarité avec le Mali.
Nous continuerons d’aider ce pays voisin à renforcer ses capacités propres, avec l’objectif immédiat de l’aider à être l’acteur premier de son propre destin. Cette aide comprend naturellement le volet humanitaire, mais, également, l’appui diplomatique ainsi que la contribution au renforcement des capacités des institutions maliennes, qui sont sollicitées, en premier lieu, dans l’édification d’un Mali uni et stable.
Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, aujourd’hui considéré, à juste titre d’ailleurs, comme une menace globale qui n’a pas de nationalité, ni de région ou de religion d’appartenance, il est normal que le Mali bénéficie de l’appui de la communauté internationale pour son éradication.
L’Algérie, en ce qui la concerne, continue d’œuvrer dans la limite de ses moyens, à mobiliser les pays de la région et à fournir une aide appropriée, pour lutter contre ce fléau, assurer la stabilité régionale et se consacrer au développement et à l’amélioration des conditions de vie des populations.
Vous avez, Monsieur le Président, initié une série de réformes pour éviter que votre pays ne sombre dans les méandres des printemps arabes. Etes-vous satisfait des premiers résultats et estimez-vous que l’Algérie réussit mieux, armée ainsi, une plus grande démocratisation ? Quelles autres initiatives envisagez-vous pour convaincre les récalcitrants ?
Certains pays arabes ont connu et continuent de connaître des soulèvements populaires. L’Algérie témoigne à ces pays frères son amitié et sa solidarité et n’oublie pas qu’en plus de la liberté, les millions de jeunes et de femmes arabes revendiquaient aussi le respect et la dignité.
Nous croyons fermement que chaque nation doit façonner sa propre destinée en puisant dans son histoire, sa civilisation et dans la volonté de ses enfants.
En Algérie, l’ouverture politique a été lancée en 1989. Des avancées notables ont été enregistrées mais des dérives ont failli faire disparaître l’Etat républicain et ont entraîné le pays dans de longues années de destruction et de souffrances, sans pour autant remettre en cause la démocratie comme option unique de gouvernance du peuple algérien qui s’est dressé seul contre l’obscurantisme et le terrorisme.
Je remercie Dieu de m’avoir donné la force de conviction pour faire accepter par mes concitoyens le projet de réconciliation nationale qui a éteint le feu qui consumait la maison Algérie et nous a permis de nous consacrer à rebâtir les infrastructures de base et relancer l’économie du pays.
En 2011, j’ai estimé que la société algérienne avait atteint un niveau de développement et de maturité qui permettait le franchissement d’une nouvelle étape dans le fonctionnement des institutions de l’Etat, des partis politiques et des médias, à même d’amener notre dispositif législatif et réglementaire aux standards universels actuels.
Le débat national, conduit autour de ces sujets, a permis la promulgation de plusieurs lois de réformes dans les domaines de la parité des genres, de la liberté d’expression, de la société civile ainsi que des partis et de la moralisation de la vie politique.
Les résultats de cette démarche se concrétisent et ils sont pour moi autant de motifs de satisfaction. Je pense, notamment, à la progression spectaculaire du nombre de parlementaires femmes élues lors des dernières législatives, une tendance que confirme le double scrutin local du 29 novembre.
Je signale également la naissance et le lancement de nombreux nouveaux partis politiques, attestant de l’intérêt que portent les Algériennes et les Algériens à la vie politique sociale.
Ce processus de réformes est irréversible car il fait, la quasi-unanimité au sein de la classe politique et de la société civile. Il connaîtra son couronnement avec la révision de la Constitution dont l’objectif est de faire des constantes nationales, de la démocratie et de l’Etat de droit les bases du pacte national unissant les enfants de la nation Algérienne indépendante et souveraine.
Aujourd’hui quels souhaits avez-vous pour l’Algérie ? Un plus grand libéralisme dans les affaires ? Une plus grande ouverture à l’international ? Un meilleur développement industriel pour sortir de la dépendance des hydrocarbures ?
En Algérie, nous n’avons ni à priori, ni dogme concernant les modèles économiques ou le partenariat public/privé. Nous croyons aux vertus du pragmatisme et du bon sens et nous affirmons que l’économie de notre pays et sa législation garantissent les conditions du business gagnant pour tout opérateur.
Comme nous n’avons pas de complexe à aller chercher la compétence et l’expertise là où elles se trouvent pour la réalisation de notre programme de développement et nous comptons profiter de ces partenariats pour apprendre, développer l’outil national de production et améliorer nos capacités managériales.
Les revenus de l’exploitation des hydrocarbures ont été orientés vers la réalisation de projets structurants et de grandes infrastructures de bases, afin de nous permettre de rattraper le retard accumulé durant la décennie de terrorisme et de préparer justement l’économie nationale à la diversification et l’après-pétrole, en la dotant du maximum de garanties de réussite telles qu’un système de formation efficace et réactif, une indépendance énergétique sécurisée, des équipements publics performants et un système productif compétitif.
S’agissant des souhaits, je dirais que mon vœu est que les Algériennes et les Algériens travaillent et vivent bien dans la paix et la prospérité, ouvrant la voie à une société harmonieuse dans laquelle leurs enfants vivront mieux et pourront, avec confiance, regarder vers l’avenir.