Le président tunisien Moncef Marzouki a entamé, hier dimanche, sa visite officielle de deux jours en Algérie, la première d’un chef d’Etat tunisien depuis la chute de Ben Ali. Un homme de gauche qui se retrouve à la tête d’un pouvoir dominé et entièrement contrôlé par les islamistes, est-il une garantie pour la Tunisie pour éviter le péril intégriste ?
Cette problématique, Amine Zaoui, ancien directeur de la Bibliothèque nationale et illustre homme de culture algérien, la posait, à sa manière, devant le président tunisien, hier dimanche, à l’occasion d’une cérémonie organisée en son honneur par le quotidien Echourouk à la Maison de la presse de Kouba, à Alger. Dans une remarquable intervention, prononcée devant une salle où on comptait de nombreuses personnalités algériennes et tunisiennes, Amine Zaoui dira tout haut ce que tout le monde pense tout bas. «Excellence, Monsieur le Président, autant nous sommes fiers de la révolution tunisienne, autant nous avons peur pour la Tunisie.» Ceci lancé, l’écrivain précisera le fond de sa pensée en ajoutant : «Il n’y a pas de révolution sans la culture. Il n’y a pas de révolution sans le beau ! Il n’y a pas de révolution sans la femme !» Dans son style fouillé d’intellectuel accompli, Zaoui invitera son auguste interlocuteur à revisiter l’histoire de la culture et de la civilisation du Grand Maghreb, à l’assumer telle quelle, à la promouvoir. Les allusions aux dérives sporadiques des islamistes tunisiens depuis quelques mois étaient déjà suffisamment claires dans le propos de l’écrivain.
N’empêche, il mettra le doigt là où ça fait mal. Félicitant Marzouki de ce que la culture et l’intellectuel tunisien soient enfin libérés de la domination et de l’oppression de la dictature, Zaoui mettra en garde : «Il ne faut pas que la culture se libère de l’interdit pour être enfermée dans l’illicite.» Cette phrase à elle seule résume bien les défis qui attendent la Tunisie. Marzouki l’admet aisément d’ailleurs lorsque, prenant la parole, il commence par reconnaître en effet : «Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. La révolution tunisienne va-t-elle déboucher sur l’anarchie ? Va-t-elle, au contraire, déboucher sur quelque chose qui fera de la Tunisie un véritable modèle démocratique ? C’est ce que nous voulons et ce défi, nous allons le relever. Nous allons rendre à la Tunisie le sens de la culture, le sens du beau (…) Oui ! Je te rassure, mon frère, le peuple tunisien est en mesure de relever ce défi.» La générosité de cet ancien militant de gauche, qui a été un infatigable promoteur des droits de l’Homme durant des décennies d’opposition dans l’adversité contre les régimes Bourguiba puis Ben Ali, saura-t-elle suffire face à la furie islamiste d’Ennahda qui contrôle déjà la réalité du pouvoir en plus de la rue ? Il faut dire que l’affaire Nessma TV, par exemple, atténue nettement cet optimisme…
K. A.