En Algérie, l’armée a toujours joué un rôle important dans la production cinématographique algérienne. D’abord, lors de la réalisation de la bataille d’Alger en 1965, mais aussi dans tous les films qui ont été réalisés après l’indépendance.
La récente sortie médiatique du producteur et réalisateur Bachir Derrais a relancé le débat sur la participation de l’armée dans la production cinématographique.
Depuis la relance de la production des films sur la révolution, l’ANP avait participé activement à l’aide dans la logistique dans la réalisation des films algériens. Il faut préciser que dans tous les pays du monde, l’armée est souvent sollicitée pour servir de soutien et surtout apporter une aide logistique, notamment en équipement militaire (camion, tenue militaire, armes et parfois même en figurants). Hormis les Etats-Unis qui ont une tradition cinématographique et qui possède un arsenal militaire conséquent en armes et équipement, la majorité des pays dans le monde sollicitent souvent les services de leurs armées respectives pour réaliser leurs productions historiques.
On se souvient que le plus important déploiement militaire pour un film a été réalisé en France pour le film Le jour le plus long, produit par quatre pays: Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Pour le tournage du Jour le plus long, dont le budget est évalué entre 8 et 10 millions de dollars, qui a duré 10 mois, sur 31 lieux différents, 23.000 soldats des armées américaines et françaises ont été sollicités pour participer en tant que figurants à la réalisation de ce film.
De nombreux figurants français étaient issus des promotions Arpètes de la base aérienne de Saintes 722 près de Rochefort, en Charente-Maritime. En remerciement, le réalisateur offrit un cinéma à la B.A 722. Le bâtiment porte depuis le nom du film.
Eisenhower…conseiller technique
La production américaine qui a souhaité filmer en France, ne pouvait pas déplacer des tonnes de matériel pour les besoins de la plus importante production cinématographique internationale sur le débarquement en Normandie. Le film est tourné en grande partie sur l’île de Ré et à Caen en France. La séquence de débarquement à Omaha Beach est réalisée sur une plage de Corse. Les scènes de studios ont lieu à Boulogne Billancourt à Paris. Pour l’anecdote, le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées au moment du débarquement, a été conseiller technique sur ce film.
L’aide et le soutien de l’armée en armes, en camions et en équipements et surtout en avions étaient conséquentes, voire indispensables pour le succès d’un film de guerre. D’autant que la participation de l’armée dans la fabrication d’un film concourt à un effort de participation et contribue à l’écriture de l’histoire d’un pays.
Dans les pays du Maghreb, l’armée royale marocaine (RAM) participe activement dans la production cinématographique des films étrangers qui sont souvent réalisés dans leur pays. C’est ainsi qu’elle participa activement à la production du film Indigènes de Rachid Bouchareb en 2007.
Le réalisateur algérien qui n’a pas trouvé d’aide et de soutien pour la réalisation de son film en Algérie, a été convaincu par le comédien Jamel Debouzze de trouver toute l’aide logistique au Maroc grâce à la RAM. Le comédien marocain qui a d’excellentes relations avec le roi Mohammed VI, a réussi à obtenir tout ce qu’il voulait gratuitement: logistique, blindés, tenues militaires, avion, camion et équipement en tout genre. La production n’avait ramené de France que les casques (notamment ceux des Allemands) et quelques armes d’époque.
Le film Indigènes a été une énorme réussite sur le plan technique et mise en scène et cela grâce à l’apport des militaires marocains. Mais le comédien et même le gouvernement marocain furent déçus ensuite quand le réalisateur algérien Rachid Bouchareb présenta le film aux Oscars sous la bannière algérienne, alors que le financement était français et la logistique était marocaine.
L’Algérie n’avait pas participé officiellement à la production de ce film. En réalité, l’armée algérienne n’a jamais refusé d’accorder son soutien au réalisateur algérien, mais un incident entre l’ANP et le réalisateur algérien avait définitivement cassé toute relation de travail entre les deux parties. En effet, Bouchareb, qui était un jeune réalisateur prometteur, était venu en Algérie pour réaliser son film Cheb: l’histoire d’un émigré venu passer son service militaire en Algérie. Il avait sollicité et obtenu de tourner dans une caserne militaire (ce qui était une première dans un film algérien). Mais la suite n’était pas du goût des services de l’armée algérienne.
Le cinéaste avait montré dans son film, un émigré déserteur de l’armée algérienne qui a tout fait pour quitter son pays natal pour se retrouver à la fin dans les rangs de larmée française. Suite à cet incident, l’armée avait demandé de ne plus collaborer avec le cinéaste reconnu. Le reste de l’histoire est connue: le réalisateur a été enfin reconnu dans son pays et il bénéficia ensuite de toute la reconnaissance.
En Libye du temps d’El Gueddafi, l’armée libyenne a été sollicitée pour deux importantes productions cinématographiques internationales: Errissala et Omar El Mokthar, les deux opus du réalisateur américano-syrien Mustapha El Akkad.
Le cinéaste qui avait été empêché par le roi d’Arabie saoudite de poursuivre son tournage du film Errissala au Maroc avait trouvé toute la logistique et l’aide nécessaires en Libye, grâce au colonel El Gueddafi. C’est à Benghazi avec plus de 3000 militaires libyens qu’El Akkad avait tourné sa fameuse bataille de Badr et ensuite d’Ohod.
Deux batailles qui nécessitèrent la mobilisation de plusieurs milliers de jeunes appelés libyens qui, faute d’entraînement, participaient avec joie à l’une des pages glorieuses de l’histoire de l’islam. Le succès du film dans le monde et la reconnaissance internationale du talent du réalisateur ont poussé le Guide libyen à l’époque de solliciter El Akkad pour un nouveau film celui d’une figure importante de la résistance libyenne Omar El Mokhtar.
Là encore l’armée libyenne avait été sollicitée pour participer à la réalisation d’une page importante de son histoire, celle de la révolution contre le colonisateur italien. Là aussi le succès était au rendez-vous. Ainsi, l’apport d’une armée facilite le travail logistique des réalisateurs qui n’ont pas le temps de chercher des figurants. D’autant que les militaires obéissent au réalisateur comme si c’était leur propre commandant.
En Algérie, l’armée a toujours joué un rôle important dans la production cinématographique algérienne. D’abord, lors de la réalisation de la bataille d’Alger en 1965, mais aussi dans tous les films qui ont été réalisés après l’indépendance.
En effet, les réalisateurs de l’époque Mohamed Lakhdar Hamina, Ahmed Rachedi, Benamar Bakhti et surtout Amar Laskri étaient surtout des cinéastes engagés pour la cause nationale et travaillaient souvent pour faire la promotion de l’histoire de leur pays et donc n’avaient aucune difficulté pour obtenir l’aide et le soutien de l’armée. Ce n’était pas le cas pour tous les réalisateurs, qui avaient déjà tout le mal du monde pour obtenir un rendez-vous avec un responsable militaire. La collaboration militaire avec le cinéma avait commencé à baisser durant la décennie noire.
Episode douloureux
Les militaires étaient occupés sur un autre terrain et les cinéastes avaient d’autres sujets à traiter que la révolution. Du coup, l’armée avait coupé tout «contact radio» avec le cinéma algérien. En 1994, alors que l’armée est plongée en pleine lutte contre le terrorisme, elle est sollicitée pour des missions assez spéciales pour deux productions privées et de surcroît deux films d’expression amazighe: Machaho de Belkacem Hadjadj et La montagne de Baya d’Azzedine Meddour. La première mission était de sécuriser l’équipe de tournage de Belkacem Hadjadj après que celle-ci soit tombée dans un faux barrage et la seconde mission de l’armée était de mettre à la disposition d’explosifs pour les besoins du film: La montagne de Baya.
Si la première production avait obtenu la mobilisation d’un détachement des forces spéciales de Biskra pour la sécurisation de son équipe de tournage, la seconde production qui avait obtenu difficilement des explosifs a vécu une catastrophe en stockant dans un appartement à Bouzeguène, en Kabylie, son précieux butin logistique.
Un bout de cigarette et une erreur humaine ont soufflé bêtement l’appartement où étaient rassemblés plus de 14 techniciens, provoquant la plus grosse perte de professionnels de cinéma dans un tournage en Algérie. Cet épisode douloureux a convaincu l’armée de garder à l’avenir la responsabilité des armes et des explosifs pour tout tournage. Du coup, toute sollicitation pour l’acquisition d’armes, de blindés et même tenues militaires devait passer par la direction de l’Armée nationale.
Avec la dissolution des entreprises publiques de cinéma le Caaic et l’Enpa en 1989, la participation de l’armée dans des productions lourdes sur la guerre était pratiquement inexistante. Il faut dire que l’ANP ne travaille pas directement avec des producteurs privés mais avec des institutions étatiques. Il est plus facile d’obtenir une aide quand celle-ci émane du ministère des Moudjahidine ou de la Culture que venant d’un producteur privé, quel que soit son statut.
La collaboration entre l’ANP et les producteurs de cinéma a été relancée à partir de 2005, avec des coproductions algéro-françaises sur la guerre d’Algérie. L’ANP a été sollicitée pour la sécurisation et la logistique pour le film La trahison de Philipe Faucon et Cartouches gauloises de Mehdi Charef ou encore Douar Ennassa de Mohamed Chouikh.
Il fallait attendre 2008 pour voir relancé un film sur la révolution à l’occasion de la réalisation du film Benboulaïd réalisé par Ahmed Rachedi et produit par le ministère des Moudjahidine. Le premier tour de manivelle a été même donné au Cercle militaire de Beni Messous. Fort du soutien de l’armée, Ahmed Rachedi a obtenu tout ce qu’il a demandé. Des tenues, des camions, des hélicoptères, des avions, des militaires comme figurants et toute la logistique qui va avec. Bien sûr, tout ceci était offert gratuitement par l’ANP pour contribuer à l’effort de «guerre».
Depuis cette date et surtout à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance en 2012, l’ANP est très sollicitée par les producteurs pour les soutenir dans la production de leur film. C’est le cas de Belkacem Hadjadj pour Fatma N’soumer, Mohamed Lakhdar Hamina pour son dernier film et Ahmed Rachedi pour ses films Krim et Lotfi et plus récemment pour son dernier film Les remparts de la citadelle, dont le tournage a commencé en juin dernier.
Cette forte sollicitation de l’armée a provoqué un embouteillage pour le film Larbi Ben M’hidi réalisé et produit par Bachir Derrais. Il est évident que l’ANP qui est sur tous les fronts a acquis une expérience supplémentaire dans la production audiovisuelle, puisqu’elle a participé aussi à la production audiovisuelle étrangère en aidant à la production des reportages de Thalassa de France 3 et de Yann Arthus-Bertrand pour son documentaire L’Algérie vue du ciel.
Ces reportages français ont été réalisés grâce à l’apport des hélicoptères de l’armée algérienne. L’ANP continue d’apporter son apport au cinéma algérien malgré ses multiples missions sur le terrain