Le gouvernement se fourvoie dans des solutions sans emprise sur la réalité d’une situation complexe qui renvoie fondamentalement à l’échec de l’état tel qu’il a été conçu depuis l’indépendance.
Huit mois après le début des affrontements communautaires dans la vallée du M’zab, le gouvernement semble, plus que jamais, en peine pour trouver une solution à une situation intenable pour les habitants de la région. Des centaines de familles acculées à abandonner leur demeure, une économie locale en berne, des centaines de maisons saccagées et brûlées, des sépultures profanées sont désormais le décor de Ghardaïa, cette cité millénaire, à l’architecture atypique, magnifiée par Michel Sardou du temps de sa splendeur.
Huit longs mois et le calme tarde à se réinstaller, plongeant dans le désarroi et l’insécurité des centaines de familles qui ne savent plus désormais à quel saint se vouer. C’est parce que la situation a atteint des proportions telles que certaines voix, notamment mozabites appellent à l’intervention du chef de l’Etat, quand d’autres, minoritaires pour l’heure, réclament carrément l’autonomie ou encore l’intervention de l’ONU.
Pourtant ce ne sont pas les initiatives qui ont manqué chez le gouvernement : après avoir réuni des représentants des deux communautés, arabes et mozabites, à Alger, Abdelmalek Sellal décide de quelques mesures dont la réhabilitation des maisons et magasins brûlés, l’indemnisation des propriétaires des magasins saccagés et brûlés, la distribution de lopins de terres et la création de comités de conciliation locaux. Parallèlement à un déploiement massif des divers corps de sécurité, il entreprend plusieurs visites dans la région, rencontre des notables locaux et proclame que “le retour à la normale” est pour bientôt.
A cela s’ajoutent quelques décisions du pouvoir judiciaire, comme la mise sous les verrous de quelques auteurs de violences, ou encore la radiation de quelques policiers. Mais pourquoi alors la situation ne se normalise pas ? Signe de l’approximation dans les solutions préconisées par le gouvernement cette annonce du ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz, qui déclarait il y a quelques jours, alors que la violence persistait, “le gouvernement a mis en place un plan judicieusement ficelé visant la restauration de la sécurité et de l’ordre public dans cette wilaya chère à nos cœurs”.
“Le plan prévoit des mesures sécuritaires et autres dispositions qui seront mises en œuvre de façon progressive par les autorités exécutives de la wilaya de Ghardaïa, à leur tête le wali, afin que la ville retrouve la sécurité et la quiétude qu’elle a toujours connues”, a-t-il dit. On ignore pour l’heure, la nature de ces mesures.
Faux diagnostic, vraie solution
Mais à bien des égards, le gouvernement se fourvoie dans des solutions sans emprise sur la réalité d’une situation complexe qui renvoie fondamentalement à l’échec de l’Etat tel qu’il a été conçu depuis l’indépendance. C’est un cautère sur une jambe de bois. La situation à Ghardaïa est un résumé de la crise nationale. Et la solution est multidimensionnelle : elle renvoie autant à l’accès au pouvoir local, à la politique de la ville, à la sociologie, à l’anthropologie, au développement économique, au respect des différences, à la sensibilisation à l’école et aux mosquées.
Et rien de plus pertinent que cette lecture, faite à un confrère, par la sociologue Fatma Oussedik. “Les Ibadites n’ont jamais vécu seuls dans la vallée du M’zab. Ils y ont vécu avec les Chaâmbas, les Beni Merzoug…Cette vallée du M’zab n’a pas connu, comme tous les territoires du Sud, la même désarticulation que le reste de l’Algérie du Nord durant la période coloniale. Les communautés ont donc conservé des institutions locales, une forte solidarité entre leurs membres, un contrôle social : des modes de vie et d’habitat. Depuis la fin des années 1950, la base démographique s’est fortement transformée dans la région du fait de la découverte du pétrole à Hassi R’mel, et aussi, plus tard, par la création du chef-lieu de wilaya à Ghardaïa.
Par ailleurs, nous sommes globalement dans une période de crise qui a provoqué un gros afflux de populations dans la région. Ces populations sont venues dans des conditions difficiles parce que paupérisées, vivant en dehors de toute affiliation à un groupe organisé. Placés dans des contextes difficiles, les nouveaux venus se sont retrouvés, au M’zab, dans une région relativement organisée où il y a des institutions locales et où la solidarité est un vrai mot, notamment la solidarité à l’intérieur des aachira.
Venant de régions désarticulées, déstructurées, où il y a eu une paupérisation qui a entraîné une espèce de désaffiliation sociale, ils se retrouvent donc dans une région où il y a relativement de la structure et face à une population qui est là depuis des centaines d’années pour ne pas dire plus, qui travaille, qui a organisé ses ressources économiques, donc forcément qui a une position dans cette place. Les maisons, les revenus, la culture, les assemblées, tout cela c’est le résultat de siècles de travail. Donc dans ce contexte, qu’on peut observer même à Alger où les villes n’arrivent plus à absorber les nouveaux migrants, parce qu’il y en a trop et ils sont désaffiliés, et aussi il n’y a pas de structures de solidarité ni d’institutions sociales fortes en mesure de les aider.
Il y a forcément des conflits qui naissent et ensuite des manipulations sur ces conflits ou sur les façons de les vivre qui vont passer soit par le religieux, soit par le doctrinal ou le conflit social. Les formes que cela prend ensuite sont à déplorer. Mais c’est d’abord le résultat des grandes crises qu’ont vécues les autres régions et de l’absence de solidarité mais aussi, je tiens beaucoup à cette hypothèse, ces convulsions sont l’expression de la destruction des institutions locales au bénéfice d’institutions nationales qui n’atterrissent pas sur le local, qui finalement n’ont pas d’implantation dans le tissu social.
Donc les gens qui viennent d’ailleurs et qui n’arrivent pas à s’organiser et à se structurer pour vivre ont le sentiment d’être abandonnés et se retrouvent face à une population qui est là et travaille depuis des siècles. Alors on fait payer à ce groupe qui travaille et qui est organisé des problèmes qui en réalité concernent bien des régions. Il s’agit, il faut le rappeler, de difficultés qui dans les autres régions d’Algérie s’expriment aussi par les émeutes.” Le gouvernement doit le méditer. En a-t-il la volonté ?
K. K