Les contestations sociales que l’on observe chez nous de façon récurrente sont assez souvent corrélées à la problématique complexe de l’informel sous ses multiples facettes.
S’agit-il alors de considérer ce dernier comme un amortisseur permanent et incontournable des tensions sociales ? C’est cela qu’indiquait en tout cas, le 13 octobre 2009, Deborah Harrold, politologue américaine, au Forum d’ Echaab lorsqu’elle soulignait que « l’économie informelle assure (en Algérie) un bon niveau de vie».
Ou bien, à l’inverse, s’agit-il de le considérer comme un danger pour l’économie nationale par son ampleur et les dérives auxquelles il conduit ? C’est sur cet aspect que l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) mettait l’accent lorsqu’elle affirmait que « plus de 60% des produits, tels que les pièces de rechange et le tabac, sont contrefaits ». C’est également cet aspect d’effet d’éviction sur l’économie formelle que souligne le Forum des chefs d’entreprises (FCE). Dans les trois études récentes qu ‘il a livrées (ouverture commerciale, l’expansion de l’économie informelle, dysfonctionnement du secteur de la distribution) le FCE donne toute la mesure de l’ampleur de l’économie informelle : 13% du PIB hors hydrocarbures soit 6 milliards d’euros occupant 1,78 millions de personnes soit 22% d’une population occupée de 8,25 millions.
Les pouvoirs publics s’intéressent également à l’observation et à la mesure du phénomène. Ainsi s’agissant des déséquilibres du marché du ciment, le ministre du commerce nous apprend que les 87 000 interventions de contrôle effectuées entre mars 2008 et décembre 2010, ont permis de tracer un montant de 21 milliards DA de transactions effectuées sans factures.Cette problématique ardue a fait l’objet de recherche universitaire ailleurs, et chez nous depuis au moins les décennie 80 et 90(Henni A, 1991, Essai sur l’économie parallèle : le cas de l’Algérie,ENAG). Les angles d’analyse et les approches ont été variés et quelquefois divergents. Essayons de les revisiter, au moins partiellement, pour en tirer des matériaux d’analyse utiles à la réflexion et pourquoi pas à l’action des pouvoirs publics et des acteurs politiques et sociaux.
Les universitaires et chercheurs algériens qui ont consacré des travaux sur ce thème ont rencontré de difficultés de même nature : segmentation d’un champ d’analyse complexe, difficulté méthodologique de définition et de mesure de l’informel. Malgré ces écueils, je considère que l’on peut regrouper leur objet de recherche en en deux parties finalement complémentaires.
Le premier groupe s’est investi dans le champ analytique avec des approches quantitatives.
On peut citer les travaux de Yousra Hamed de l’Université Paris12 : « micro entreprise et secteur informel en Algérie : analyse en coupe instantanée, 2004 ».Elle y définit le concept d’informel autour de trois critères : « l’informalité juridique, la faible intensité capitalistique et la taille ». Sa définition restreint évidemment le champ de la problématique aux très petites entreprises (TPE) et aux activités personnelles. L’intérêt de son travail est qu’il s’appuie sur une enquête ménages, enquête réalisée en 2001 avec la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tlemcen. L’investigation a porté sur dix villes (Est, Ouest et Centre) sur la base d’un échantillon de 1399 ménages regroupant 8500 individus. C’est probablement dans ce même groupe qu’il faudra mettre les derniers travaux de Yougurtha Bellache de l’Université Mira de Bejaia qui on fait l’objet d’une thèse intitulée : « l’économie informelle en Algérie une approche par enquête auprès des ménages- le cas de Bejaia », soutenue en décembre 2010.
Le deuxième groupe s’est intéressé quant à lui à l’informel sous l’angle institutionnel. On peut citer par exemple l’article de Samir Bellal de l’Université Kasdi Merbah de Ouargla : « changement institutionnel et économie parallèle en Algérie », publié en 2008 dans le sixième numéro de la revue du chercheur. Sachant que l’économie informelle était consubstantielle à l’économie centralisée du fait que les quantités de beaucoup de biens mis sur le marché à des prix « administrés » étaient structurellement inférieures à celles de la demande, ce chercheur nous apprend que, pour autant, le « PAS n’a pas réduit le dynamisme de l’économie informelle ». Au contraire, dit-il, « l’ouverture sur l’extérieur a développé les nouvelles pratiques informelles, de même que les mesures d’ajustement ont entraîné le développement des activités de survie ». Il se pose même la question de savoir si « l’ouverture économique n’a pas eu pour effet de maintenir les pratiques informelles dans une logique d’accaparement de la rente » et j’ajouterai de redistribution.
Contrairement aux thèses ultra-libérales qui consistaient à soutenir l’idée qu’il suffisait d’ouvrir pour obtenir l’allocation optimale des ressources, on voit bien, à l’épreuve des faits, que « la persistance de l’économie parallèle traduit la difficulté à mettre en place les institutions qui accompagnent l’économie de marché ». De plus cette nécessité économique d’organiser et de rendre transparents les marchés se heurte non seulement à une forte contrainte sociale mais aussi au poids d’intérêts « gris » de plus en plus puissants. C’est probablement cette difficulté objective qui complique l’action des pouvoirs publics dans le traitement de l’informel et qui la rend même hésitante quelquefois. Il faudra au minimum segmenter la problématique et la prendre en charge de façon progressive et graduelle en consultant les partenaires sociaux, y compris ceux qui sont laissés pour compte. La tenue d’assises nationales regroupant les pouvoirs publics, les acteurs économique et sociaux et les chercheurs ne serait pas de trop pour baliser une démarche particulièrement délicate à mettre en oeuvre.