Menacé de disparition faute de jeunes joueuses, l’imzad, violon monocorde que seules les femmes touaregs ont le droit de faire vibrer, suscite un nouvel engouement et résonne de plus belle dans les majestueux paysages du Sahara.
Des monts du Hoggar aux cathédrales de pierre du Tassili en Algérie, des massifs de l’Aïr au Niger et de l’Adrar des Ifoghas au Mali, l’imzad a accompagné durant des siècles les Touaregs, ce peuple qui considère la femme comme le pilier central de la société.
Pourtant, au début des années 2000, seules deux musiciennes faisaient encore résonner la complainte de cet instrument unique formé d’une calebasse semi-sphérique, d’une peau ornée de motifs symboliques, d’un long manche en bois de laurier rose ou d’acacia et d’une corde en crin de cheval.
Attirées par le mirage des décibels et par des rythmes plus modernes, les jeunes femmes touaregs s’étaient détournées de l’imzad qui demande « une certaine compréhension du temps », selon l’ethnologue allemande Edda Brandes.
Mais grâce à l’association « Sauver l’imzad » qui a créé trois écoles dans le Hoggar (sud), elles sont désormais des dizaines à de nouveau caresser cet instrument. M. Les hommes ne sont pas autorisés à jouer de ce violon monocorde sous peine de « malédiction », selon une vieille croyance.
– L’instrument de filles ‘jeunes et belles’ –
« Je suis heureuse de pouvoir transmettre cet art que je pratique depuis l’âge de 10 ans », confie à l’AFP la doyenne des joueuses d’imzad, Khoulene Alamine, une octogénaire devenue enseignante dans une de ces écoles. « L’imzad doit être jouée par des filles jeunes et belles », sourit-elle.
Assise sur le sable du plateau de Tagmart, dans un paysage de dômes et de cathédrales de pierre à une trentaine de kilomètres de Tamanrasset (sud), Khoulene maintient son imzad sur ses jambes croisées et joue le regard levé vers le croissant de lune qui vient d’apparaître dans le ciel.
Au soleil couchant, dans un décor inondé d’une lumière rougeoyante, le poète Husseini Nekhat assis à sa gauche et drapé du traditionnel habit bleu déclame un poème.
L’imzad diffuse un son fin et discret, en harmonie avec le silence du désert. Il sonne comme une récompense pour le guerrier courageux, disent les Touaregs. « Il n’y aura pas de musique » à la fin d’une bataille perdue, pleuraient-ils jadis. « Le son de l’imzad instille en moi une incroyable énergie », commente le poète Husseini.
Autrefois, la musique de l’imzad agrémentait les rencontres galantes (« ahal ») qui pouvaient durer jusqu’au coucher du soleil et même une partie de la nuit.
Des moments que l’ingénieure Farida Sellal, née à Alger, avait bien connus quand elle était haut fonctionnaire dans la région de Tamanrasset, dans les années 1970. Elle a ensuite quitté le Hoggar et n’y est revenue qu’une trentaine d’années plus tard.
« Il n’y avait plus que deux femmes jouant encore activement de l’imzad et plus de +ahal+ », se souvient cette passionnée du désert.
Cette ancienne responsable des Postes et Télécommunications s’en alarme alors auprès du guide spirituel de la communauté, l’aménokhal. Il la taquine, lui reprochant d’avoir œuvré pour un mode de vie moderne moins propice aux moments musicaux : « c’est de votre faute, vous avez introduit le téléphone chez nous ». Mais ensemble, ils créent en 2003 l’association « Sauver l’imzad ».
– Patrimoine de l’humanité –
En 2013, leurs efforts sont récompensés lorsque l’Unesco inscrit les « pratiques et savoirs liés à l’imzad » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Lors de la réunion de l’Unesco, c’est un Touareg membre fondateur de l’association, Seddik Khettali, qui a plaidé la cause de l’imzad.
« J’ai été le premier Touareg à s’exprimer dans notre langue » devant cette agence des Nations unies, raconte-t-il à l’AFP avec fierté. Grâce à l’association, une Maison de l’imzad a vu le jour à Tamanrasset – la « ville rouge » – avec studio d’enregistrement, salle de danse, scène pour les concerts et atelier de fabrication de l’instrument.
Assise sur un tapis, les jambes croisées, Cheynoune Zeineb tend du crin de cheval retenu à l’autre bout entre ses deux orteils pour en faire une corde, l’aziou. « La confection de l’imzad nécessite de l’observation », dit-elle à de jeunes apprenties assises autour d’elle.
Et de la patience. Il faut environ sept jours pour confectionner un instrument. Sur la caisse de résonance est tendue une peau de gazelle ou de caprin, que l’on perce de deux ouïes. La peau est ensuite décorée de façon personnalisée avec des teintures naturelles, dont des ocres de Tamanrasset.
Alors que les musiques du désert attirent un auditoire de plus en plus international, le producteur Mehdi Bennacer prédit un bel avenir à l’imzad: « la quête des origines ne peut pas s’estomper », et avec elle « le son de l’imzad se perpétuera ».