Le président Bouteflika adapte les dispositions de la Constitution à ses propres projets de vie et de carrière politique.
En 2008, il a fait sauter le verrou de limitation des mandats présidentiels pour pouvoir briguer un troisième puis un quatrième. Aujourd’hui, il réinstaure le principe, sachant qu’il ne pourra forcer davantage le destin.
Dans le projet de révision constitutionnelle, soumis par la présidence de la République à une large concertation de la classe politique, des personnalités nationales et des représentants de la société civile, il est proposé de modifier l’article 74 de telle manière à réinstaurer le principe de limitation des mandats présidentiels à deux. “La durée du mandat présidentiel est de 5 ans. Le président de la République est rééligible une seule fois”, a-t-on mentionné en rouge dans la mouture rendue publique par le Palais d’El-Mouradia sur son site officiel dès jeudi. L’amendement serait fortement applaudi s’il était suggéré par un chef d’État entamant une première mandature. Ce n’est certes pas le cas.
Abdelaziz Bouteflika a réuni, en 2008, les deux Chambres du Parlement, pour lever l’écueil de la limitation des mandats imposé par son prédécesseur, Liamine Zeroual, dans la révision constitutionnelle de 1996. L’énoncé de l’article
74 change de forme et autorise la rééligibilité à l’infini d’une même personnalité à la plus haute fonction dans la hiérarchie institutionnelle. Une ouverture de la loi fondamentale, qui a permis, au président Bouteflika de briguer un 3e puis un 4e mandat et de gagner le titre de la plus grande longévité à la direction du pays depuis l’Indépendance. Pour l’indication, Ferhat Abbas est resté un an à cette fonction (septembre 1962 à septembre 1963), après être forcé à la démission. Ahmed Ben Bella a présidé aux destinées de l’Algérie pendant 18 mois (septembre 1963 à juin 1965). Il est victime d’un putsch par Houari Boumediene. Ce dernier assume les charges de chef d’État pendant 13 ans et demi, soit jusqu’à son décès en décembre 1978. Il est remplacé par Chadli Bendjedid, qui reste au pouvoir 12 ans, lui aussi poussé à la démission en janvier 1992 par la force d’une conjoncture politique trouble. Mohamed Boudiaf prend les rênes du pays en janvier 1992. Il est assassiné six mois plus tard. Ali Kafi préside le Haut-Comité d’État (une présidence collégiale) de juillet 1992 à janvier 1994. Il transmet le relais à Liamine Zeroual, qui démissionne avant la fin de son mandat, en septembre 1998. Abdelaziz Bouteflika, son successeur, a déjà battu tous les records de longévité en consommant déjà trois quinquennats. Il entame son 4e, se résignant probablement à ne plus pouvoir participer à l’élection présidentielle de 2019. Il lui sera, en effet, difficile de défier davantage et la nature (82 ans dans cinq ans) et la volonté du peuple, dont une bonne partie s’est exprimée contre sa réélection le 17 avril 2014, soit par des manifestations de rue, soit par une forte abstention. Une fatalité qui l’a incité à verrouiller à nouveau l’article 74. Que vaut cette initiative aujourd’hui, dès lors que le président Bouteflika a créé un précédent en violant le sacro-saint principe de l’alternance au pouvoir ? Qui pourra empêcher son successeur d’amender, lui aussi, la disposition susmentionnée dès qu’il aura accompli deux mandats présidentiels, afin de se maintenir à la tête de la République ? Rien ni personne, évidemment, puisque l’histoire du pays lui donne une référence et des arguments. Au-delà, il sera intéressant d’analyser la volte-face des partis politiques (FLN, RND, MSP, Parti des travailleurs), qui ont défendu mordicus le droit de se porter indéfiniment candidat à la présidentielle, et qui défendront tout aussi fortement la limitation des mandats et demeurer ainsi au service du régime.
S. H.