Libye : le temps des incertitudes,La boîte de Pandore est ouverte

Libye : le temps des incertitudes,La boîte de Pandore est ouverte
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Mahmoud Jebril

Les nouveaux maîtres de Tripoli auront-ils les coudées franches pour gérer les conflits latents et les rivalités sourdes qui opposent la plupart des tribus entre elles?

La façon avec laquelle sera bradé le pétrole libyen déterminera dans une grande mesure la situation d’un pays dont l’avenir est désormais entre les mains de ceux qui ont «fait» le CNT. La fin tragique et pleine de mystère de l’ancien chef d’Etat libyen, estiment de nombreux observateurs, reflète de manière incontestable l’état d’esprit de ceux qui l’ont «liquidé». Sa mort ne changera rien à la situation en Libye et encore moins sur le plan international. Elle aura par contre «un effet traumatique durable» sur une société qui reste enfoncée dans ses contradictions tribales. En commanditant l’assassinat de Mouammar El Gueddafi, l’Otan vient de mettre en péril l’avenir de tout un pays que 40 ans de pouvoir autoritaire n’ont pas réussi à rassembler autour de la même plate-forme politique. Il faudra encore des années et hélas, beaucoup de violence avant qu’un nouveau leader soit reconnu par l’ensemble des tribus, ou que le système tribal soit remplacé par un autre mode d’organisation sociale.

En ce sens, la mort de Mouammar El Gueddafi «ouvre une période d’irakisation ou de somalisation de la Libye», souligne l’intellectuel français, Thierry Meyssan, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace, auteur des analyses de politique étrangère dans la presse arabe, latino-américaine et russe. El Gueddafi était le seul leader ayant réussi à renverser la monarchie pro anglo-saxonne installée en 1951, pour unifier les tribus, à partir de 1969 et instaurer une sorte d’Etat dont les fondements étaient basés sur une distribution plus ou moins équitable des richesses du pays. Mais d’ores et déjà, la Libye remarquablement secouée depuis 8 mois par une guerre civile relevant de la volonté à renverser le régime mis en place durant 42 ans, est loin de connaître une stabilité économique, sécuritaire et sociale.

LG Algérie

Des stratèges et politologues avertis sont unanimes à dire que ce pays va connaître une longue période de guerre entre les tribus, au moment même où des sources sécuritaires confirment que des violences sont enregistrées. L’esprit de vengeance va l’emporter selon leur lecture. Le plus grave pour nos interlocuteurs, c’est la menace terroriste grandissante qui va à coup sûr prendre des proportions inquiétantes à l’ombre de la prise du pouvoir par d’anciens djihadistes radicaux dont l’alliance avec Al Qaîda n’est plus à démontrer. Le chef historique de la nébuleuse en Libye Abdel Karim Belhadj, adoubé pour devenir le dirigeant militaire du corps armé du CNT, est aujourd’hui chargé d’organiser la nouvelle armée libyenne.

Pour l’histoire, c’est le nouveau numéro un de cette organisation terroriste transnationale, Aymen Al Zawahiri, qui formera une officine en Libye pour aller combattre en Afghanistan contre les Soviétiques. Il donnera ensuite naissance au Groupe islamique combattant en Libye (Gicl). En 1994, la liquidation de Mouammar Kadhafi et le renversement de son régime étaient déjà à l’ordre du jour des groupuscules extrémistes. Le leader libyen sera ciblé à quatre reprises.

Selon l’agent du contre-espionnage britannique David Shayler, «le développement du Gicl et la première tentative d’assassinat de Mouamar El Gueddafi par Al Qaîda sont financés à hauteur de 100.000 livres par le MI6 britannique». Comble de l’hypocrisie, le Gicl, branche d’Al Qaïda en Libye, est inscrit sur la liste des organisations terroristes établie par le département d’Etat américain, il est même interdit sur le territoire britannique! Son chef Abdelhakim Belhadj, qui combattra en Afghanistan et en Irak, sera arrêté en Malaisie, puis transféré dans une prison secrète de la CIA en Thaïlande. À la suite d’un accord entre les États-Unis et la Libye, il est renvoyé en Libye. Il sera libéré avec 1800 autres djihadistes, après une trêve négociée entre Seif Al Islam et le Gicl, et il s’installe au Qatar, d’où il revient, à bord d’un avion militaire vers la Libye au début de l’intervention de l’Otan. Il prend le commandement des hommes d’Al Qaîda dans les montagnes du Djebel Néfoussa. Et reçoit une aide précieuse de la France qui avait parachuté des armes sur cette région. Une fois la mainmise sur Tripoli accomplie, il décide de libérer de la prison d’Abou Salim les derniers terroristes d’Al Qaïda. Nommé dirigeant militaire à Tripoli, le Conseil national de transition lui confie la charge de former l’armée de la Libye nouvelle. Une armée qui verra le jour dans l’incertitude. Nul n’ignore la grande divergence qui existe entre le CNT et son corps militaire et au sein même de cedit CNT, au moment où ce dernier est sommé par ses alliés de récupérer les grandes quantités d’armes qui circulent dans ce territoire et au-delà même. Saluée d’une manière ostentatoire par les dirigeants du CNT, la mort du colonel El Gueddafi va-t-elle faire sauter les derniers verrous de la boîte de Pandore? Avec les impressionnantes quantités d’armes en circulation, l’exacerbation des rivalités tribales et surtout les convoitises affichées par les grandes compagnies pétrolières, le peuple libyen n’est pas près de s’offrir un régime démocratique comme le prétendent certaines voix et des alliés intéressés au CNT.