Libye/ Fissures au sein de la coalition,Une guerre pour quels objectifs ?

Libye/ Fissures au sein de la coalition,Une guerre pour quels objectifs ?
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Les frappes occidentales menées par la France, la Grande-Bretagne et les USA s’éloignent de l’objectif assigné par la résolution onusienne : celle de protéger les populations civiles.

Les bombardements font des victimes et les voix de plus en plus nombreuses dénoncent la manière dont les attaques sont effectuées.

Ambiguïtés dans les pays arabes, divergences d’intérêt et division sur le rôle de l’OTAN, les premiers craquements sont apparus nettement hier dans la coalition militaire contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, fermement menée par Washington, Paris et Londres.

Critiques et revirements se multiplient depuis les premières frappes de la coalition montée ad hoc lors d’un sommet samedi à Paris, que certains jugent à la limite de ce que permet la résolution 1973 de l’ONU.

La Norvège, qui a dépêché six F-16 en Méditerranée, a suspendu hier sa participation à des clarifications sur le commandement qui n’est toujours pas unifié, alors que plusieurs pays poussent pour que l’opération passe dans le giron de l’OTAN. Au-delà, l’Italie, qui a accepté de mettre à la disposition de la coalition huit avions Tornado, a averti qu’elle allait «vérifier soigneusement que toutes les actions entreprises étaient conformes aux objectifs de la résolution de l’ONU».

L’Allemagne, qui s’est abstenue jeudi de voter la résolution 1973 du Conseil de sécurité avant d’apporter samedi un soutien, sans participation, à l’opération militaire, a finalement estimé hier qu’il y avait des «risques». Berlin et Rome reprochent à la coalition d’avoir bombardé des cibles au sol (défenses antiaériennes et blindés) sans se limiter à la seule instauration d’une zone d’exclusion aérienne, notent les analystes.

Ces pays suivent plus ou moins explicitement l’argumentation de la Ligue arabe qui, dimanche, avait critiqué ouvertement les bombardements : les frappes s’écartent «du but qui est d’imposer une zone d’exclusion aérienne», avait déclaré son secrétaire général, Amr Moussa. Ce dernier est revenu hier à une position plus consensuelle.

Les Occidentaux se sont targués d’une participation arabe à cette coalition. Mais jusqu’à présent seul le Qatar s’est engagé. Les Emirats arabes unis ont finalement annoncé que leur rôle se bornerait à une aide humanitaire. Pas mal de pays sont partagés entre l’impératif de politique intérieure et extérieure : la Ligue arabe comprend que Kadhafi est un problème et souhaite qu’il parte et, en même temps, il y a toujours la crainte qu’une intervention occidentale ne soit mal perçue par l’opinion publique, estiment certains analystes. Quant à l’Union africaine (UA), attendue samedi au sommet de Paris, elle a finalement fait faux bond en organisant une réunion à part. A Nouakchott, le comité de l’UA sur la Libye a appelé dimanche à «la cessation immédiate de toutes les hostilités» dans ce pays. Cette position en retrait s’explique par les liens étroits entretenus pendant des années par Mouammar Kadhafi avec les pays africains

Nouvelle réunion du Conseil de sécurité jeudi

Le Conseil de sécurité se réunira jeudi pour faire le point sur la Libye et prendre connaissance d’un rapport du chef de l’ONU sur l’évolution de la situation, une semaine après l’adoption d’une résolution autorisant le recours à la force. «Des consultations vont avoir lieu jeudi.

Cela commencera par un compte-rendu du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon», a dit un diplomate à l’ONU à l’issue d’une réunion à huis clos hier du Conseil de sécurité censée étudier une demande libyenne de réunion d’urgence. Mais la réunion de jeudi ne sera pas une réunion d’urgence et n’est pas motivée par la demande de Tripoli, a précisé le diplomate, sous le couvert de l’anonymat.

Erdogan : «La Turquie ne participera pas aux frappes»

La Turquie ne figurera pas parmi les pays qui participent aux frappes de la force multinationale en Libye mais pourrait contribuer aux opérations humanitaires sur place, a indiqué le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. «Nous ne participerons pas avec nos forces de combats. Il est impensable que nos chasseurs larguent des bombes sur le peuple libyen. Une telle éventualité n’est pas possible», a-t-il dit au journal Hürriyet.

M. Erdogan a souligné que la contribution annoncée de son pays en Libye serait d’assister avec sa marine aux efforts de «contrôle» en Méditerranée et d’assistance humanitaire sur le terrain, notamment à Benghazi. «Nous ne voulons pas que la Libye devienne un deuxième Irak. En huit ans, une civilisation entière a été détruite. Plus d’un million de gens ont été tués en Irak», a affirmé le Premier ministre.

Un bateau sans capitaine

Trois jours après le début des frappes aériennes sur la Libye, Paris, Londres et Washington n’avaient toujours pas désigné hier de commandement unifié pour leurs opérations, une situation inédite dans les annales militaires récentes qui traduit l’embarras des trois capitales. Du Kosovo à l’Irak et de l’Afghanistan à l’Afrique, toutes les opérations multinationales ont été conduites ces dernières années sous pavillon unique. L’opération franco-américano-britannique en Libye reste donc jusqu’à présent l’exception à la règle.

Symbole de cette situation, les opérations en Libye ont été baptisées «Harmattan» par les Français, «Ellamy» par les Britanniques et «Aube d’une odyssée» par les Américains. Les militaires français ont installé leur principal centre des opérations au Mont Verdun, près de Lyon, les Britanniques à Northwood, dans la banlieue de Londres, et les Américains à Ramstein, en Allemagne.

Obama critiqué

Plusieurs membres du Congrès américain ont critiqué, hier, l’administration du Président Barack Obama concernant les frappes en Libye, craignant le début d’un conflit interminable et de possibles représailles libyennes. Sur son flanc gauche, le président Obama a été critiqué par le représentant démocrate Michael Honda, pour qui ces frappes «envoient au monde le message que la démocratie américaine est profondément dysfonctionnelle, car seul le Congrès est habilité à déclarer la guerre par la Constitution américaine».

La représentante républicaine Candice Miller, a jugé «très perturbant et inacceptable» que le Président Obama ait agi sans avoir obtenu le consentement formel du Congrès. «Concernant la Libye, nous demandons : quel est le but ? Quel est notre rôle ?», a déclaré le sénateur républicain John Barrasso, mettant en garde contre un «engrenage» qui pourrait obliger les forces américaines à rester engagées dans le conflit pendant «des semaines ou des mois».

Les discussions à l’OTAN tournent à l’orage

L’orage, qui menaçait depuis des jours au sein de l’OTAN, a fini par éclater hier, la France refusant que l’alliance remplace la coalition internationale en Libye et la Turquie rejetant l’idée de lui donner carte blanche pour imposer une zone d’exclusion aérienne. Au cours d’une réunion, les ambassadeurs d’une majorité des 28 pays membres ont confirmé leur souhait que l’alliance relaie au plus tôt la coalition qui a lancé la campagne de bombardements samedi.

Un point de vue qu’a résumé le chef de la diplomatie luxembourgeoise : «Mon pays comme beaucoup d’autres, n’a qu’un seul moyen de s’engager, c’est dans le cadre de l’OTAN.» Mais Paris renâcle devant ce qu’impliquerait un tel affichage : si l’OTAN dirige l’intervention, les pays arabes ne voudront pas s’y rallier et, pire, finiront par la dénoncer.