“Liberté”, c’est d’abord dans nos cœurs

“Liberté”, c’est d’abord dans nos cœurs

La fermeture du quotidien francophone « Liberté », après près de trois décennies d’existence, suscite l’indignation en Algérie, où militants et journalistes qualifient cette décision de « véritable catastrophe médiatique ». Le dernier numéro est apparu aujourd’hui le 14 avril, annonçant les adieux, les désolations de ses employés, les regrets et les amertumes de ses journalistes, mais également les explications de son Patron.

La crise vécue par la presse en Algérie est exacerbée par la détérioration de ses conditions financières et la baisse des ventes et des publicités à la suite de l’essor du journalisme électronique, ainsi que les fermetures causées par la pandémie de Coronavirus au cours des deux dernières années, mais aussi la crise politique que traverse le pays avec des appels continus à la réforme politique.

D’autre part, la fermeture du journal « Liberté » intervient également au vu des circonstances difficiles que traverse la presse algérienne, avec des poursuites ou des décisions judiciaires à l’encontre de dizaines de journalistes, notamment pour diffamation d’hommes politiques ou en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux.

Si les raisons officielles de la dissolution de ce journal sont d’ordre économique, ses salariés sont persuadés que « Liberté » a été fermé pour des raisons purement politiques.

De nombreux observateurs des médias et des affaires politiques du pays ont considéré la fermeture du journal, est comme une tentative de se rapprocher du pouvoir en se débarrassant d’un média devenu gênant. Ils affirment que les raisons de la fermeture du journal sont dues à sa  ligne d’opposition, que les autorités considèrent comme le ciblant, car il reste l’un des rares titres dont les journalistes écrivent des articles critiques à l’égard de la situation générale dans le pays, à l’heure où la plupart des médias visuels et écrits et même des sites Internet adoptent une ligne adaptée à la politique du gouvernement.

Au sein de la société médiatique, nombreux journalistes sont arrivés à une conclusion que l’atmosphère d’oppression, de tyrannie et de confiscation des droits et libertés, dont la fréquence augmente de jour en jour, ne permet pas de remplir le devoir professionnel envers notre peuple, ni la responsabilité envers le mouvement populaire, et une Algérie plurielle et démocratique.

Quelle est la véritable raison ?

L’Homme d’affaires, Issad Rebrab a affirmé aujourd’hui, dans un message qu’il a adressé aux journalistes, lecteurs et citoyens algériens de « Liberté », que la situation économique du journal ne lui permet pas de durer longtemps.

Le propriétaire a expliqué que le journal a été victime des évolutions mondiales qui ont affecté le comportement des lecteurs et leur conversion à la presse électronique, en plus de le priver de publicité.

« Je confirme que sa situation économique ne lui  (liberté) permet qu’un court et vain sursis. Ce quotidien d’information a été proposé à la vente, mais il a été victime, comme beaucoup de supports de presse, de l’évolution mondiale des comportements des lecteurs qui s’oriente vers la presse électronique », a-t-il écrit.

Issad Rebrab a souligné que le journal est souvent distribué à perte et sans marge financière, « Depuis un temps, le journal est distribué à perte. Et la perspective n’est point encourageante. La décision est aussi à replacer dans un contexte plus large d’évolution dans l’organisation des activités que j’ai, jusqu’ici, initiée et dirigée ».

Il convient de noter que, dans un précédent communiqué, les journalistes et les travailleurs de « Liberté » ont déclaré que « la société qui gère le journal dispose des fonds nécessaires pour continuer à publier ».

Ils ont ajouté qu’ils étaient surpris par la décision du propriétaire de fermer le journal, au moment où l’administration lançait un plan pour redresser la situation économique du journal et lancer un nouveau site Internet.

Comme autre raison, Issad Rebrab a réaffirmé son désir de se consacrer aux activités industrielles menées par le groupe « Cevital ». « Depuis plus d’une année, j’ai placé le groupe Cevital dans une perspective d’un nouveau départ devant faire suite à mon retrait de la vie active que mon âge a rendu nécessaire et que j’annoncerai prochainement », a-t-il ajouté.

Ali Boukhlef, journaliste chez « Liberté », nous a confié que cette décision prise par Rebrab est motivée également par le fait que, « Mr Issad Rebrab veut se retirer de la scène publique et céder sa place à ses enfants. Il a donc décidé de fermer Liberté pour que ses entreprises se concentrent sur leurs activités habituelles ».

Une thèse confirmée par le Patron de Cévital dans son message publiée aujourd’hui, « Les modestes réalisations dont je suis l’initiateur et le promoteur m’ont demandé une vie d’efforts et de sacrifices. Au moment où je prends enfin une retraite effective, j’ai voulu faire en sorte que la relève qui me succédera puisse se consacrer au seul impératif de développement des activités industrielles du groupe, libérées des contraintes particulières de gestion d’une entreprise de presse ».

L’homme d’affaires algérien a exprimé sa gratitude aux journalistes, employés et surtout les martyrs du journal « Liberté ». « Je tiens aussi à rendre hommage aux générations d’employés qui y ont successivement partagé l’exigeante tâche de confection quotidienne du journal et fait de lui l’œuvre impérissable qu’il est.

Je m’incline devant la mémoire de ceux d’entre eux qui, sous les balles assassines du terrorisme, ont payé de leur vie la cause de progrès et de démocratie qu’il a toujours défendue. J’ai une pensée attristée pour d’autres parmi eux qui ont eu à subir l’épreuve imméritée de la prison. Je remercie enfin les différents partenaires, annonceurs, imprimeurs et diffuseurs qui ont participé à sa réalisation », a-t-il conclu.

Les journalistes de « Liberté » expriment leur tristesse

Depuis l’annonce, une onde de choc avait envahi la corporation de la presse nationale et des segments de la société qui ont exprimé leur dépit ainsi que leur colère pour ce qui adviendra du titre.

Les journalistes de « Liberté » sont tristes, ils vivent cette fermeture comme un deuil. Tristes non seulement à cause de la disparition de leur journal, mais pour la presse nationale. En effet, connaissant les rouages d’un Journal, les efforts fournis, les concessions faites, les risques encourus, les sacrifices de ce métier, la fin fait toujours mal. Le travail de 30 ans s’évapore en quelques jours.

Pour le journaliste Ali Boukhlef, le chagrin est beaucoup plus profond. « Je suis évidemment triste. Non parce que seulement j’ai perdu un poste de travail, mais c’est surtout pour la perte d’un journal prestigieux qui a porté, trente ans durant, des valeurs démocratiques, de modernité et d’ouverture. Liberté a toujours été un refuge pour les sans voix, pour ceux qui luttent pour une Algérie moderne et ouverte sur le monde », nous a-t-il déclaré, affirmant toutefois qu’il est encore plus désolant pour les fidèles du journal liberté. » Personnellement, c’est à eux que j’ai pensé lorsque j’ai appris la décision portant sur la fermeture du journal. Je reste, pour ma part, dans l’arène d’une manière et d’une autre », a-t-il ajouté.

De son côté, Farid Belgacem, journaliste chez « Liberté » depuis plus de 24 ans, nous a fait part de son regret de voir disparaître un journal qui a accompagné les Algériens durant 30 ans, « Tristesse, déception, mais aussi l’espoir. Car la vie continue même s’il est dommage de perdre un titre aussi prestigieux comme Liberté. Après, ce n’est pas notre carrière, encore moins notre part d’édification qui nous désole, mais la perte d’un titre qui a vécu, combattu et résisté pendant 30 ans ».

Farid a également adressé un message aux lecteurs et lectrices dévoués du Journal « Liberté, » je leur dis tout simplement merci d’être aussi fidèles de nous lire chaque jour et durant 30 ans. De tout cœur, j’espère que nous avons été à la hauteur de leurs attentes, préoccupations et espérances. Mille mercis pour leur soutien et pour avoir partagé cette belle aventure pour que vive notre cher et grand pays L’Algérie dans les valeurs républicaines ».

Ainsi, c’est la fin d’une belle épopée, le journal flamboyant du paysage médiatique algérien tire sa révérence, il rejoint « Une Liberté » déjà confisquée depuis des années en Algérie. Il rejoint tous les journalistes assassinés pour le mot « Liberté ». En trente ans, « Liberté » a gagné le cœur des Algériens et il restera gravé dans les mémoires, comme un être cher qu’on perd. « Liberté, c’est toujours dans nos cœurs ».