Le 10 janvier dernier, et afin de marquer les dix ans d’existence du centre de détention américain de Guantanamo, Amnesty International France (AIF) a organisé une conférence de presse à Paris avec, pour «vedette», Saber Lahmar, un Algérien de 42 ans, libéré par les Américains en décembre 2009, et accueilli depuis pour «raisons humanitaires» par la France.
A l’époque, le ministère français des Affaires étrangères, dirigé par Bernard Kouchner, très connu pour son implication dans le conflit bosniaque, avait justifié cette décision par son souci de contribuer «(…) comme d’autres Etats européens et non-européens, à la mise en œuvre de la décision prise par le président Obama, au lendemain de son investiture, de procéder à la fermeture du centre de détention de Guantanamo. Nous avons fait le choix d’apporter notre soutien à la mise en œuvre de cette décision, qui répond à une attente exprimée de longue date par l’Union européenne».
Le communiqué officiel du Quai d’Orsay précisait même que le gouvernement français allait s’atteler à la «bonne intégration» de Saber Lahmar en France en lui assurant les «conditions de sécurité et de sérénité nécessaires». Le texte ne précisait toutefois pas si, du fait que le concerné portait la nationalité algérienne, Paris avait consulté Alger avant de décider d’accueillir Lahmar sur son territoire. Ce qui, manifestement, n’a pas été le cas. Difficile de croire que les décideurs français aient choisi de risquer de froisser un partenaire important, au plan sécuritaire notamment, pour voler au secours d’un individu, même pour «raison humanitaire». Et si les véritables motifs de cette décision résidaient ailleurs ? Qu’est-ce qui interdirait aux observateurs de penser que, en fait, la France n’a fait que «récupérer» un homme qui lui a rendu service alors qu’il activait dans les milieux islamistes en Bosnie à l’époque où cette région constituait un point de jonction privilégié entre la nébuleuse intégriste en Europe et Al-Qaïda de Ben Laden en Afghanistan ? Sachant le rôle joué par Bernard Kouchner en Bosnie, et sa (trop) grande proximité avec les «réseaux d’Etat» français, il serait naïf de croire que la décision prise par le Quai d’Orsay, qu’il dirigeait au moment de la décision d’accueillir Saber Lahmar en France, ne relève pas plutôt d’un deal franco-américain, dicté par la raison d’Etat, afin de contenir tout risque de divulgation sur le véritable rôle joué par «le french doctor» dans cette partie du monde. Les «jérémiades» de Saber Lahmar lors de sa sortie médiatique parisienne le 10 janvier, sur les conditions de son séjour en France, qu’il qualifie de «grand Guantanamo», et la révélation de son avocat concernant le versement par les USA à la France «de sommes d’argent pour accueillir certaines personnes comme c’est le cas de Saber Lahmar», n’ont pas manqué d’être lues sous cet angle. Autrement dit, le «cas humanitaire» exige de la France plus de gratitude envers lui, sous peine de quoi certains souvenirs de Sarajevo peuvent vite remonter à la surface. Et si, en fin de compte, il ne s’agissait que de ça ?
Mokhtar Benzaki