Le Parlement libanais doit élire à partir du 23 avril le nouveau président qui succèdera à Michel Sleimane, en poste depuis 2008 et dont le mandat s’achève le 25 mai. Dans un pays déstabilisé par le conflit syrien qui fait rage depuis trois ans, et où les divisions politiques et confessionnelles internes peinent à être surpassées, le président – qui doit obligatoirement être un chrétien maronite selon la Constitution – pourrait faire figure de « juge de paix ». Explications avec Antoine Basbous, politologue franco-libanais et directeur de l’Observatoire des pays arabes.
Le Parlement libanais, à qui incombe la responsabilité d’élire le président de la République – qui n’est donc pas élu au suffrage universel – doit plancher à partir du 23 avril pour se mettre d’accord sur le nom du prochain chef d’État. Ce dernier, qui doit être issu de la minorité chrétienne maronite selon la Constitution, succèdera à Michel Sleimane, dont les fonctions s’arrêtent le 25 mai, après six ans à la tête du pays.
Dans ce pays multiconfessionnel où deux coalitions composées de multiples partis se font face – le Mouvement du 14 mars et l’Alliance du 8 mars, dont fait partie le Hezbollah – trouver un consensus n’est pas chose aisée. Plusieurs noms ont déjà été évoqués, comme celui de Samir Geagea ou Amine Gemayel (Mouvement du 14 mars) ou Michel Aoun et Soleimane Frangié (Alliance du 8 mars).
Le conflit syrien voisin, qui met également en jeu une série d’alliances (l’Arabie saoudite et les États-Unis qui soutiennent l’opposition syrienne et la coalition du 14 mars d’un côté, et l’Iran qui soutient le pouvoir syrien et le Hezbollah chiite de l’autre), rend encore plus complexe ce scrutin présidentiel, dont l’enjeu dépasse largement les frontières nationales.
JOL Press : Le Parlement libanais doit élire à partir du 23 avril, un nouveau président pour succéder à Michel Sleimane. Au Liban, le rôle du président est-il seulement symbolique ?
Antoine Basbous : Le président libanais est le chef de l’État, même si depuis 1989 et les accords de Taëf [traité destiné à mettre fin à la guerre civile libanaise, ndlr], ses prérogatives ont été réduites. Il reste quand même le représentant le plus élevé de la République. Le rapport de force actuel ne joue pas en sa faveur, mais il est le symbole de l’union nationale, il engage l’État à l’international et préside le conseil des ministres.
Aujourd’hui, il joue le rôle de juge de paix entre les véritables adversaires que sont d’un côté les milices chiites du Hezbollah, qui ont pris le pouvoir au sein de la communauté chiite et des rouages de la République, et de l’autre les sunnites qui les contestent, et qui eux se trouvent un peu marginalisés par l’ascension d’un Hezbollah adossé sur l’alliance syro-iranienne. Le président libanais n’est donc plus un homme occupant un poste décisif mais plutôt un arbitre des conflits, un pacificateur, qui a moins de pouvoir qu’il n’en avait il y a 30 ans.
JOL Press : Le président libanais doit être chrétien. Cela fait-il de lui un homme de consensus ?
Antoine Basbous : Cette élection présidentielle qui commence mercredi au Parlement sera une sorte de réunion-test pour les députés, et il leur restera un peu plus d’un mois pour trouver le bon candidat de consensus [le mandat de Michel Sleimane s’achève le 25 mai, ndlr]. Les prétendants chrétiens sont nombreux. Celui qui sortira du chapeau devrait sans doute être un homme de consensus, qui ne représente pas un défi pour un camp ou pour un autre.
Il pourrait être un médiateur commun, sans pour autant représenter seulement le camp chrétien, même s’il doit en effet forcément être issu de la communauté chrétienne maronite. Il y a des chrétiens maronites qui ont fait allégeance à l’Iran, à la Syrie, ou à l’Arabie saoudite, mais il peut aussi y avoir des chrétiens maronites qui sont de vrais patriotes, n’ayant pas fait allégeance, mais qui ont toutefois moins de chance de s’imposer.
JOL Press : Quel est l’impact de la politique régionale sur ce scrutin présidentiel ?
Antoine Basbous : La présidentielle libanaise ne dépend en effet pas que des Libanais. Elle est fonction des ententes régionales entre deux acteurs essentiels et leurs alliés à l’international : l’Iran [chiite] d’une part, et l’Arabie saoudite [sunnite] d’autre part. Si la tension s’exaspère entre Téhéran et Riyad, on risque d’avoir un blocage au niveau de la sélection d’un président libanais. Si en revanche une entente se profile entre ces deux capitales et, à travers elles, leurs « parrains » internationaux, il y aura un consensus autour du président libanais et la fumée blanche se dégagera du Parlement.
JOL Press : Ces divisions politiques régionales et celles entre les coalitions nationales du Mouvement du 14 mars et de l’Alliance du 8 mars pourraient-elles mener le pays dans l’impasse et produire un vide présidentiel ?
Antoine Basbous : Le vide constitue un avantage pour les forces du fait accompli, c’est-à-dire pour le Hezbollah qui contrôle les principaux rouages de l’État libanais. En revanche, ceux qui tiennent aux institutions libanaises, auront peur de ce vide. D’autant plus que les institutions sont déjà à la dérive depuis que le Parlement a autoprorogé son mandat l’année dernière, que le gouvernement a mis plus de dix mois à être formé et qu’il a fallu plus d’un mois pour aboutir à une déclaration ministérielle. Le Liban aura ainsi tout intérêt à pourvoir le poste de président de la République avant le 25 mai.
JOL Press : Quel bilan les Libanais retiennent-ils du président Sleimane ?
Antoine Basbous : Le président Sleimane a été élu à l’issue de nombreux conflits à Beyrouth après que le Hezbollah a envahi les quartiers sunnites de la capitale. Il est apparu comme un président de consensus après les crises de 2006-2008. Dès lors qu’il a pris des accents patriotiques, il a été congédié par le Hezbollah et aujourd’hui, il se trouve un peu en rupture avec la milice chiite parce qu’il a voulu remettre au cœur de l’action publique la souveraineté du Liban, ce que le Hezbollah n’a aucun intérêt à soutenir. Il est donc aujourd’hui assez marginalisé, un peu comme chaque président libanais en fin de mandat.
JOL Press : Le système politique libanais, qui repose sur une base confessionnelle, n’est-il pas remis en question par la population libanaise ?
Antoine Basbous : J’ai plutôt le sentiment que ce système confessionnel est rassurant pour tout le monde, de sorte que dans un Moyen-Orient où les dictatures sont la règle et où les minorités prennent parfois le pouvoir en écrasant la majorité – nous l’avons vu avec Saddam Hussein en Irak et avec Bachar al-Assad en Syrie –, les Libanais se disent que le système confessionnel est un moindre mal, puisqu’il permet à chaque communauté d’être représentée et d’avoir une part de pouvoir.
Le problème, c’est que ce système ne permet pas de propulser les meilleurs sur le devant de la scène. Il propulse souvent les moins bons puisque les meilleurs vont dans le privé ou réussissent ailleurs, et que le secteur public reste trusté par les politiques médiocres, qui accèdent juste au pouvoir par allégeance. Ce système est donc bon d’un côté parce qu’il n’exclut aucune communauté dans un pays où il y en a dix-huit, mais d’un autre côté, il n’envoie pas la « crème » de chaque communauté à la représentation nationale, mais plutôt les moins bons.