Il faudra un jour se demander quel aura été l’impact des folles campagnes d’affichage des législatives du 7 juin sur le vote des Libanais.
A la veille du scrutin, certains quartiers de Beyrouth avaient pris des allures surréalistes. Les façades des tours étaient tapissées de visages de candidats, donnant au promeneur l’impression étrange d’être un Lilliputien.
D’après la loi, chaque aspirant à la députation peut dépenser mille dollars, auxquels s’ajoutent 4 000 livres libanaises (environ 2 euros) par électeur inscrit dans sa circonscription. Les affiches électorales doivent théoriquement se limiter à des espaces réservés. Mais certains ont réussi à les suspendre jusque sur les cordes à linge, entre draps et chaussettes.
Selon les semaines, les voies rapides ont viré du bleu ciel (couleur du 14-Mars, le groupe anti-syrien de Saad Hariri et de ses alliés) à l’orange (Courant patriotique libre du général Michel Aoun, l’un de ses adversaires). Vers le sud, on s’enfonçait dans des villes panachées de jaune (Hezbollah) et de vert (Amal, l’autre parti chiite allié du Parti de Dieu).
« Sois belle et vote ! »
Une employée racontait avoir banni de sa garde-robe les vêtements orange ou bleus, pour ne pas provoquer les joutes politiques de ses collègues. Une autre avait laissé dépasser un dessous provocateur, assorti à la couleur de ses ongles – orange – en signe d’ »encouragement » au général Aoun. Une troisième ne buvait plus « de jus d’orange, question de conviction politique ».
Le vote des morts est certes interdit, mais pas le vote pour les morts. Le visage de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, assassiné le 14 février 2005, a flotté sur les fonds bleus du 14-Mars. Le Hezbollah et Amal ont exposé la collection de leurs martyrs, morts dans les guerres contre l’ennemi israélien.
Côté chrétien, les portraits de l’éphémère président Béchir Gemayel, assassiné le 14 septembre 1982, ont été réimprimés, ainsi que le vieux slogan « 10 452 km² », la superficie du Liban, qu’il avait juré de délivrer des occupations étrangères.
Il n’y a guère que le parti du général Aoun qui a utilisé l’argument de la jeunesse dans une campagne déclinée en plusieurs langues. « I vote 4 change », disait une affiche montrant un jeune homme chic et bronzé derrière des lunettes de soleil ; « Sois belle et vote ! », proclamait une autre, montrant une jeune femme également chic et bronzée. Ce dernier slogan a donné lieu à des détournements inventifs sur les sites Internet adverses : « T’as voté, tais-toi ! » ou « Sois bêêêêle et vote ».
Symptomatique de la tradition bien établie au Liban des dynasties politiques, la profusion des « fils de », « fille de » et de « veuve de » responsables politiques célèbres assassinés a enfin contribué à l’effet légèrement mortifère de l’exercice électoral.