Levée de boucliers sur le couple argent et politique en Algérie: L’impitoyable univers

Levée de boucliers sur le couple argent et politique en Algérie: L’impitoyable univers

Après quelques jours d’expectative, les milieux des affaires se rallient, la classe politique applaudit et des pans entiers de la population voient en la personne du Premier ministre l’homme providentiel pour lutter contre les «rapaces qui saignent le pays».

Pendant longtemps il a croupi sous le tapis. C’est sa place naturelle, celle que lui réservent les hommes politiques. Il: c’est l’argent. Rares sont ceux qui ont cru aux propos du Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, fraîchement nommé quand, le 20 juin dernier, il a soutenu devant les députés que «nous allons veiller à séparer entre le pouvoir de l’argent et le pouvoir politique et que chacun n’a qu’à nager dans son monde». Il a précisé que «les affaires sont la base de l’argent et l’Etat s’éloignera d’une telle situation». Une bombe à retardement lancée à l’ouverture de la plénière de l’APN, au front de mer, mais qui explosera quelques jours plus tard sur les hauteurs d’Alger à l’école de la Cnas de Ben Aknoun quand le protocole a exigé «l’exclusion» du puissant patron des patrons, Ali Haddad, de la salle que devait visiter le Premier ministre. «Choqué, Ali Haddad était devenu jaune comme un citron quand il a appris qu’il est indésirable», racontent des témoins sur place.

Tebboune a tapé fort, très fort, le verrou a sauté, la boîte à Pandore est ouverte. Il y a une levée de boucliers sur le couple argent et politique en Algérie. Le front anti-Tebboune s’est lézardé face à la détermination du Premier ministre imperturbable malgré l’entremise de la puissante Centrale syndicale. «Abdelmadjid Tebboune applique le programme du président de la République. Son Plan d’action a été adopté par le Parlement et approuvé en Conseil des ministres par Abdelaziz Bouteflika.» Cette précision est lancée par les services du Premier ministère au lendemain de la publication du communiqué de soutien à Haddad.

Après quelques jours d’expectative, les milieux des affaires se rallient et le mouvement se poursuivra. La classe politique applaudit, les réseaux sociaux jubilent, de même des pans entiers de la population voient en la personne du Premier ministre l’homme idéal pour lutter contre les «rapaces qui saignent le pays». Après avoir gagné ses galons de Monsieur logement, voilà qu’il s’offre la sympathie des plus récalcitrants. Dans ce choc frontal avec les milieux d’affaires, Tebboune a déjà gagné la première partie et la seconde se déclinera par d’autres actions dans les semaines à venir.

La stratégie est savamment élaborée, probablement pensée par de fins stratèges en communication. Il faut des actions de choc, mais d’utilité publique. Mais pour s’aventurer à ouvrir un pareil dossier, il faut avoir les reins solides. Dans cet impitoyable univers, la méchanceté et la cruauté ne seraient que l’ordinaire des décors.

Parfois pour échapper à la nasse, il faut avoir le courage de sacrifier un de ses propres membres. Les exemples en la matière sont légion et les plus frappants viennent des Etats-Unis où l’argent a toujours côtoyé la politique Deux présidents récents ont failli être compromis par des adjoints trop intimes et trop vénaux: le président Eisenhower a dû se séparer de son ami Sherman Adams, et le président Johnson a renvoyé son très proche compagnon Bobby Baker. Il fallait s’en débarrasser, ils l’ont fait sans état d’âme. C’était alors à l’époque où la quasi-totalité du Congrès de la toute-puissante Amérique se vendait publiquement au plus offrant. Tant d’industriels sont membres du Sénat au point que l’on surnomme celui-ci «le club des millionnaires».

Toutes proportions gardées, nous sommes à peu près dans le même schéma quand on entend des dénonciations mettant en cause l’intrusion de l’argent dans les travées de l’Assemblée populaire nationale. Les Etats-Unis ne sont pas, et de loin, le seul pays où les grands intérêts et la politique font trop bon ménage, où la corruption remplace la démocratie. Qui se souvient de la célèbre tirade de l’ancien président français, François Mitterrand, qui lançait lors du congrès d’unification des socialistes à Epinay en juin 1971, «l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes».

Mais le copinage entre l’argent et la politique ne se défait pas facilement. Les liens entre ces ingrédients sont si intimes, si denses et s’avèrent si foisonnants qu’aussitôt tranchés, ils se reconstituent sous des formes parfois insoupçonnées. Après un septennat de pouvoir, Mitterrand fait un tournant libéral et devint le président des «années fric» et des affaires. Tebboune qui a annoncé la rupture avec «toutes les puissances de l’argent» ira-t-il jusqu’au bout de son entreprise?