Chaque année, le montant de l’évasion fiscale monte en flèche. La moyenne reste autour de 3 milliards de dollars selon les déclarations officielles. Pour prévoir la lutte contre cette gangrène financière, les pouvoirs publics durcissent les sanctions visant les fraudeurs avec de lourdes peines de prison et des amendes pénales plus coûteuses.
Mais de l’autre côté, l’administration fiscale veut assurer un dialogue avec les contribuables et surtout les opérateurs pour leur faciliter les procédures de paiement des impôts et leur alléger la pression fiscale. La guerre contre les « mauvais contribuables » est déclarée. Sera-t-elle suivie d’effets sur le terrain ?
De nouvelles mesures ont été édictées récemment pour contrer l’évasion fiscale. Un fléau qui commence à prendre sérieusement un tournant inquiétant selon les différents experts.
En l’absence de chèques dans les grandes transactions commerciales et le déficit de contrôle des activités dans certains secteurs, il en résulte une fraude dont le coût est estimé à 3 milliards de dollars selon les aveux du ministre des finances lors de son intervention à l’APN.

Il y a un an, le ministère des finances a fait un étalage de chiffres sur les ratios de l’évasion fiscale dérivant du commerce informel mais de « certaines activités illicites où le paiement de l’impôt ne se fait pas selon les chiffres d’affaires déclarés ».
Il s’avère également qu’il y a une nette disproportion des recettes fiscales où la fiscalité pétrolière occupe un taux entre 60 et 75% alors que la fiscalité ordinaire ne dépasserait pas les 21%. Une situation qui favorise ainsi l’éclosion d’activités qui se dressent contre l’acquittement de l’impôt et retarderait de ce fait l’équilibre budgétaire tant souhaité.
Pourtant, les pouvoirs publics ont signifié clairement que les lois ayant pour but une répression sévère à l’encontre des fraudeurs montreront l’intransigeance de l’administration face aux récalcitrants et aux mauvais payeurs. C’est la loi de finances 2012 qui consacre plus de légitimité à cette lutte en prescrivant le rescrit fiscal, le rééchelonnement de la dette fiscale mais aussi l’alourdissement des sanctions pour la fraude fiscale.
Cela peut aller à des peines d’emprisonnement de 10 ans et des amendes de 5 millions de dinars pour ceux qui seront démasqués pour fraude ou subtilisation d’activités et fausses déclarations fiscales. Mais dans les faits, les pouvoirs sont conscients que la répression n’apporte pas les résultats escomptés.
Dans son rapport de 2010, la cour des comptes avait dressé un sévère réquisitoire contre l’administration où elle « critiqué vivement le déficit de l’impact des lois de la répression face à l’évasion fiscale ».
Les rédacteurs du rapport s’insurgeaient contre « la non-réhabilitation du chèque comme moyen de paiement » et ont d’ailleurs souligné « l’importance de l’introduire dans la loi du règlement budgétaire ». Mais depuis, il n’y a pas de réelles avancées sur le terrain. D’abord, l’utilisation du chèque pour les montants de plus de 500.000DA a été retardée à une échéance ultérieure et la loi de règlement budgétaire n’est pas soumise à un débat public.
La cour des comptes récidive en 2012 avec un autre rapport où elle met le doigt sur « l’expansion de la fraude fiscale » où elle juge indispensable de la contenir. Pour quel coût encore cette année ? Il semble néanmoins qu’avec quelques efforts de modernisation de l’administration fiscale et la numérisation de ces outils, il y a un peu d’espoir pour voir se réaliser un début de contrôle fiscal là l’illicite fait fureur.
L’INCIVISME FISCAL PHÉNOMÈNE À CIRCONSCRIRE
La cour des comptes recommande vivement dans ces rapports d’éradiquer « l’incivisme fiscal ». En émettant ses avis, la cour des comptes considère la fraude fiscale sous plusieurs angles.
Dans le chapitre de la fiscalité pétrolière, le rapport indique que « l’administration fiscale ne dispose pas de moyens appropriés pour vérifier les déclarations qui lui sont produites à cet effet par les groupes pétroliers étrangers ».
Elle recommande dans ce sens de mettre en place une structure centrale de contrôle et de suivi des flux des produits pétroliers. Pour ce qui est de la gestion de la fiscalité ordinaire, l’institution considère qu’elle « n’est pas en adéquation avec la réalité économique du terrain ». Mais pour d’autres économistes, la question du traitement de l’évasion fiscale n’est pas propre à l’informel qui brassait, jusqu’à un passé récent, prés de 40% de la masse monétaire en circulation.
Le Pr Abderhamane Mebtoul donne des estimations sur la fraude fiscale. « Si l’on prend une moyenne de 3 milliards de dollars de 2008 à 2011, seulement pour quatre années, nous aurons un montant cumulé de 864 milliards de dinars ou 864.000 milliards de centimes, soit 15 milliards de dollars et une moyenne annuelle de 2% du PIB.
Les analystes auraient aimé savoir la ventilation sectorielle et structurelle de ce montant par catégories socioprofessionnelles afin de calculer l’indice de concentration du revenu national au profit d’une minorité rentière ».
Rappelant également que l’impact de l’économie informelle se traduit par 40% de la masse monétaire en circulation et quelque 2,5 milliards de dollars comme produits de transactions qui échappent au fisc. Selon l’expert économiste, il y a lieu de consolider « un système fiscal rénové doit être au coeur d’une véritable politique de développement intiment lié à la réforme globale, qui doit concilier l’efficacité économique et une profonde justice sociale ».
Il estime « qu’en cas de difficultés financières, l’on taxera les revenus fixes (retenus à la source des travailleurs et cadres) et les activités visibles ». D’autres analystes considèrent que « la pression fiscale doit être allégée pour les entreprises afin de leur permettre de ne pas sentir l’injustice face à l’impôt ». L’administration fiscale ne se résigne pas à l’idée de mettre en place de nouveaux outils pour lutter efficacement contre la fraude fiscale.
L’année dernière, Abderhamane Raouia avait indiqué que « d’ici la fin de l’année en cours (ndlr, 2012), dix agences seront ouvertes avec pour objectifs la lutte contre la fraude fiscale et la fuite des capitaux vers l’étranger ainsi que le recouvrement des impôts ». Considérant ainsi que « la lutte contre l’évasion fiscale sous toutes ses déclinaisons, allant de la vente sans facturation aux fausses déclarations fiscales, a, de tout temps, été l’une des préoccupations de la Direction des impôts ».
La mise en place du rescrit fiscal dernièrement comme nouvel outil permettra aux entreprises de demander à l’administration fiscale d’expliquer comment leur situation doit être traitée au regard des impôts.
Du reste, les observateurs constatent que les pouvoirs publics restent déterminés pour un approfondissement de la réforme fiscale coeur du changement.
DES SANCTIONS PLUS RÉPRESSIVES À L’ENCONTRE DES FRAUDEURS
L’administration fiscale tient à mettre toute son énergie dans la lutte contre l’évasion fiscale. On a cité plus haut que la loi de finances 2012 a consacré diverses mesures pour mettre en évidence certains points relatifs à la réforme à savoir le rééchelonnement de la dette fiscale, l’introduction de la procédure de rescrit fiscal e sur le chapitre de répression de la fraude, un alourdissement des sanctions encourues pour fraude fiscale, lesquelles peuvent atteindre 10 années de prison et 5 millions de dinars d’amende.
A cet effet, il faut savoir que le code des impôts dans son article 303 a été remodelé en faveur des sanctions contre «quiconque s’est soustrait ou tente de se soustraire, via des manoeuvres frauduleuses, en totalité ou en partie, de l’assiette ou à la liquidation de tout impôt, droit ou taxe».
Il prévoit donc des sanctions dont l’amende varie «de 50 000 DA à 100 000 DA, lorsque le montant des droits éludés n’excède pas100 000 DA» à une peine d’emprisonnement «de 5 à 10 ans et une amende de 5 millions de dinars à 10 millions de dinars, ou l’une de ces deux peines, lorsque le montant des droits éludés est supérieur à 10 millions de dinars».
Le code des impôts explique « qu’une récidive dans les 5 années qui suivent donne lieu, en plus d’une interdiction de profession, à la destitution de fonction ou à la fermeture de l’établissement, au «doublement des sanctions tant fiscales que pénales prévues pour l’infraction primitive».
D’ailleurs, ce code a prévu tout l’arsenal de sanctions à l’encontre des manoeuvres frauduleuses, les omissions concernant les écritures comptables, le chiffre d’affaires, les fausses factures et fausses déclarations. Dans le même registre, les pouvoirs publics accordent plus de prérogatives pour les hauts responsables des impôts. C’est encore une fois, la loi de finances 2012 qui a introduit deux nouvelles mesures afin de leur faciliter les choses.
Il s’agit en premier lieu de fixer les grandes lignes devant présider au rééchelonnement de la dette des PME. La LF 2012 stipule dans son article 104 bis dans le code de procédure fiscale lequel indique que «le directeur des grandes entreprises et le directeur des impôts de wilaya peuvent retirer la plainte en cas de paiement de 50% des droits simples et pénalités objets de la poursuite pénale et la souscription d’un échéancier de paiement».
Rappelons que cet échéancier va de six mois pour une dette fiscale inférieure à 20 millions de dinars à 18 mois pour une dette fiscale excédant les 30 millions de dinars. Quant au paiement des pénalités, l’article 51 de la LF 2012 souligne que «les sommes versées au titre de l’acquittement des dettes fiscales sont considérées comme destinées au paiement en premier lieu du principal de la dette», alors que le paiement des pénalités devra «s’opérer après examen par la commission chargée du recours gracieux».
A signaler que dans la procédure du rescrit fiscal, les opérateurs instaurent un dialogue avec l’administration fiscale pour élaborer eux-mêmes leur chiffre d’affaire et dividendes afin d’éviter les cas de redressement fiscaux qui parfois pèsent lourdement sur la trésorerie des entreprises et les mènent à la faillite dans certains cas.
Faycal Abdelghani