C’est un véritable appel d’air pour l’émigration clandestine algérienne.
Avec le retour des chaleurs estivales, les expéditions de migrants se multiplient sur la Méditerranée. Les interceptions de bateaux de migrants sont quotidiennes au large des côtes italiennes et espagnoles. Dans le lot, les harraga algériens ne sont pas en reste.
Ils ont tenté la traversée de la grande bleue et certains ont réussi leur «aventure» et publient leur «joie» sur les réseaux sociaux. Ainsi, en deux jours, deux vidéos, de plus de 5 minutes chacune, circulent sur le Net et sont devenues virales. Des centaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter. Contrairement aux images dramatiques que nous renvoie la Toile sur les migrants africains et syriens, les harraga algériens «voyagent» dans de meilleures conditions. Dans les deux vidéos, l’une mettant en scène des jeunes de l’Est et l’autre de l’Ouest du pays, l’embarcation ne contient pas plus d’une dizaine de personnes qui semblent se connaître parfaitement.
Visiblement en bonne santé et pas trop éprouvés par la traversée, les jeunes saluent leurs amis et leurs familles restées au pays, affirment qu’ils sont au large des côtes européennes. Ils tiennent un discours étonnamment engagé sur les conditions de vie en Algérie, leur marginalisation, tout en formulant des convictions que le bonheur les attend sur l’autre rive de la Méditerranée. Ce qui peut paraître inquiétant dans ces deux vidéos, c’est d’abord le fait que beaucoup d’autres seront postées sur la Toile algérienne, au risque de donner l’impression que le pays est une porte ouverte sur l’Europe.
Il y a ensuite le discours des jeunes et surtout l’ambiance «bon enfant» qui règne dans ces embarcations. C’est un véritable appel d’air pour l’émigration clandestine algérienne. Les harraga qui affichent tous une mine de «victorieux», donnent des conseils à leurs concitoyens et vont jusqu’à proposer la méthode à suivre pour «voyager dans d’assez bonnes conditions», sans avoir à subir le diktat des passeurs. L’idée disent-ils dans les vidéos, consiste à créer un groupe d’amis, de se prendre en charge et «le reste vient tout seul».
En fait, il semble que ces candidats à la harga ne confient pas leur destin à un passeur, mais construisent eux-mêmes leur projet. C’est généralement une entreprise bien réfléchie, patiemment mise en oeuvre, très peu de personnes mises au secret et une volonté à tout épreuve. Il faut que le «rêve d’Europe» soit si bien enraciné pour que ces amis, dont certains se connaissent depuis l’enfance, parviennent au terme de leur entreprise généralement coûteuse. S’il y a une comparaison à faire dans cette détermination à quitter le pays, serait avec les jeunes d’il y a 20 ou 30 ans, qui font de grands sacrifices pour pouvoir se marier.
Il faut savoir qu’à la base, pareille aventure repose sur un deal entre amis qui consiste à réunir une importante somme d’argent destinée à financer leur opération. Il est généralement supposé qu’un groupe de jeunes d’un même quartier cotisent pour s’acheter l’embarcation, le moteur et la boussole (le GPS). C’est souvent le produit d’économies réalisées sur plus d’une année de travail. Beaucoup de jeunes, et ceux des vidéos l’attestent, disent accepter des emplois «ingrats» et sans débouchés, dans le seul but de réunir la somme nécessaire à la traversée de la Méditerranée. Le groupe est composé de 15 jusqu’à 20 jeunes. La quote-part de chacun peut se monter jusqu’à 300.000 dinars. Il n’y a pas un profil type du harrag algérien.
Ils peuvent être universitaires au chômage ou même en activité. Ils peuvent être âgés de 16 à 60 ans. Bref, il serait difficile d’expliquer le désir d’émigrer par un simple voeu d’une vie meilleure, économiquement parlant. Il y a dans ces jeunes une forme de désespérance de leur pays qui confère à la psychanalyse. Mais il est entendu que quelles que soient les raisons qui les poussent à fuir, ils tiennent à partager leur «réussite» avec un maximum de jeunes. Le recours aux réseaux sociaux pour exprimer leur «victoire» sur la société et sur ceux qui «dirigent le pays», comme ils disent, témoigne d’une attitude «revancharde», dont on ne connaît pas l’ampleur en Algérie.
S’agit-il d’une minorité de jeunes en mal d’aventure ou l’expression d’un profond malaise qui traverse une grande partie de la jeunesse algérienne?