Écrit par Khedidja Arras
La tentative d’immolation par le feu d’un producteur, il y a quelques jours, a terriblement affecté les professionnels du métier et a révélé, une fois encore, les entraves et les difficultés que rencontrent les acteurs de ce milieu. De là est née la «lettre ouverte des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel à eux-mêmes et aux autres», qui réitère le soutien au producteur et appelle au rassemblement et à l’organisation de la branche.
Une lettre ouverte des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel «à eux-mêmes…et aux autres» (dont une copie nous a été transmise avec la liste des signataires), a été postée sur les réseaux sociaux le 10 janvier 2019 et a réuni quelque 80 signatures, dont on peut citer la productrice Amina Badjaoui-Haddad, le réalisateur Moussa Haddad, les producteurs et réalisateurs Lotfi Bouchouchi, Djaâfar Gacem, Belkacem Hadjadj, Ahmed Benkamla, Saïd Mehdaoui, Bachir Derrais, Djilali Beskri ; les réalisateurs Malek Bensmail, Karim Traïdia, Hassen Ferhani, Damien Ounouri, Karim Moussaoui, Mohamed Yargui, Mouzahem Yahia ; la réalisatrice Yamina Bachir-Chouikh, le professeur des universités et producteurs Ahmed Bedjaoui, la productrice Adila Bendimerad, le comédien et metteur en scène Abdelkader Djeriou, le réalisateur et scénariste Yanis Koussim, l’auteur et réalisateur Sid Ahmed Semiane, l’auteur, réalisatrice et productrice Fatma Zohra Zamoum, le journaliste et écrivain Abdelkrim Tazaroute.
Née en soutien à Youcef Goucem, producteur qui a tenté de s’immoler par le feu le lundi 7 janvier 2019 dans le hall d’entrée de la chaîne de télévision privée Dzaïr TV, cette lettre se veut aussi «un appel au rassemblement des ressources de ce secteur et à la mobilisation effective, en vue d’œuvrer pour l’assainissement de l’activité cinématographique et audiovisuelle». Dans la lettre, il est rappelé que le passage à l’acte de Youcef Goucem, «un homme, un père de famille, un producteur audiovisuel apprécié» a été reçu comme une «nouvelle terrifiante» qui les a «laissés sans voix plusieurs jours».
Les raisons de ce geste désespéré par lequel le producteur a essayé d’exprimer «sa détresse et son désarroi» sont partagées par les professionnels du métier. «Nous savons dans quel état d’anxiété extrême l’on peut se retrouver face aux problèmes rencontrés au cours d’une production, ou entravant sa finition, ou retardant indéfiniment l’acquittement des dettes engendrées par celle-ci», analyse-t-on dans la lettre. Et d’énumérer les mille et une situations de détresse, d’anxiété et de désarroi dans lesquelles pourrait se retrouver un professionnel du métier, en concluant : «Qui d’entre nous pourrait prétendre ne pas savoir ce qui a poussé notre collègue à vouloir en finir avec son calvaire ?» Cependant, ajoute-t-on dans la lettre, «nous les plus à même d’entendre son appel au secours, sommes pris au dépourvu. Nous les plus à même de le comprendre, nous nous avouons démunis.
Aujourd’hui, nous n’avons rien d’autre à proposer à Youcef Goucem que notre solidarité morale et notre compassion fraternelle». En outre, la lettre interroge les moyens à déployer pour venir en aide au producteur et s’interroge sur l’«entité légitime» à même de faire valoir ses droits et ceux des professionnels : «Sous quel sceau allons-nous viser notre position unanime, afin de porter nos voix, à qui de droit ? Jusqu’à quand allons-nous continuer à nous accommoder d’être les témoins passifs de nos incapacités à servir notre intérêt commun ? Quand allons-nous enfin fixer notre responsabilité, pour mieux considérer celle des autres ?», martèle-t-on.
La lettre et ses signataires insistent sur le fait que le passage à l’acte de Youcef Goucem doit «nous pousser à nous élever vers des initiatives de rassemblement, de reconquête de nos espaces de paroles et de créativité, d’exercice de nos droits et de préservation de nos acquis», et ce, «pour faire face aux dépassements ordinaires, aux abus consentis, à la cooptation admise, aux manquements à la parole et aux petites et grandes injustices… Réagir en rang dispersé ne devrait nous dispenser d’agir en rang serré».
Ils appellent à un sursaut qualitatif, à l’organisation de la profession, à la mise en place de plateformes, de propositions et d’initiatives : «Organisons-nous, créons des plateformes, hiérarchisons nos propositions, identifions-nous les uns aux autres, canalisons nos énergies, chassons toute tentation récurrente de division ou de clivages, sécurisons nos arrières, bâtissons des associations, rétablissons nos syndicats, œuvrons pour l’amélioration de nos rapports à nos institutions, soyons dignes du legs des anciens et encourageons le renouvellement du cinéma algérien… c’est la manière la plus élevée de dire : plus jamais ça !», concluent-ils.