Lettre ouverte à mon peuple: Je suis médecin, j’aime mon pays, j’aime mon Sud !

Lettre ouverte à mon peuple: Je suis médecin, j’aime mon pays, j’aime mon Sud !

Par R. Nassima

Je suis une jeune médecin spécialiste et je vais tenter de vous expliquer les raisons pour lesquelles vous devez nous soutenir dans ce combat pour la justice et l’amélioration de notre système de santé et de la santé de notre chère Algérie !

Actuellement, je viens d’achever mon service civil au Sud, mais je suis toujours en poste, et ce, pour plusieurs raisons. J’ai choisi le Sud, à vrai dire, je n’ai pas eu le luxe de choisir vu que pendant le service civil, c’est le ministère qui décide des régions “où” tu peux aller travailler. J’ai fait mes bagages et j’ai quitté ma famille et mes amis, toute seule, oui, je suis célibataire.

Au départ, j’étais contente en me disant : “Je serai seule, mais j’aurai comme seule ambition de soigner des gens qui ont grandement besoin de moi, des gens qui sont privés de médecins et qui se sentent abandonnés.” J’étais motivée en me disant que l’amour de mon métier me fera tenir le coup, que, peut-être, je vais pouvoir améliorer la santé de ces personnes et que ça vaut toutes les peines du monde.

Être une femme célibataire seule n’est jamais une mission facile dans ce pays, mais au Sud, j’ai été doublement respectée. J’en suis heureuse et fière. Je ne regretterai jamais d’être venue travailler ici.

Tout cela ressemble à un conte de fées !

Chères concitoyennes ! Chers concitoyens ! On vous ment sur beaucoup de choses !!

Après mon DEMS, j’ai passé des mois au chômage et sans percevoir un sou à attendre un logement de fonction auquel j’ouvre légalement droit. Peuple ! On vous ment ! Il n’y a jamais eu assez de logements de fonction pour les médecins spécialistes dans les régions éloignées et encore moins au Sud. Ils sont, pour la plupart, inexistants ou simplement détournés en douce par les administrateurs ! Je commence mon service civil avec un combat, des rapports pour “implorer” le ministère d’agir. En vain !

Quand, au bout de 6 mois, je l’obtiens, je le découvre dans un état lamentable. Il y avait l’équipement très basique avec une forte promesse d’amélioration, j’ai accepté de le prendre car j’avais hâte de commencer à soigner des gens et à exercer mon métier.

J’ai perçu mon premier salaire après 4 mois de travail ; heureusement que ma famille était là pour m’aider pécuniairement. Je suis médecin, et à 31 ans, je dois emprunter de l’argent ! Je ne suis pas l’exception, lors du service civil, c’est devenu une tradition qu’on a fini par accepter ! On vous ment, nous n’avons aucune facilitation en partant au Sud !

Les difficultés au quotidien étant médecin spécialiste au Sud ? Il n’y a que cela :

1. Je suis psychiatre et le service le plus proche où je peux faire hospitaliser un malade agité, en pleine souffrance lui et sa famille, se trouve à 500 km ! Ce n’est pas tout, car les autorités (administration/forces de l’ordre/APC) ne répondent pas toujours à nos demandes et ne s’impliquent pas pour assurer le transfert sauf lorsqu’il s’agit d’un cas d’une extrême dangerosité. On s’en fout des malades mentaux et de leurs familles, ce ne sont pas leurs priorités ! Vous imaginez mon degré de désarroi et d’impuissance ? Il n’y a simplement pas d’infrastructures, aucun hôpital psychiatrique au Sud, est-ce normal ? Comment pourrais-je soigner les gens ? Pourquoi l’État ne construit-il pas des hôpitaux au Sud ? On vous ment ! Il n’y a que des promesses !

2. J’ai été dans l’obligation de suspendre ma consultation durant 3 jours de façon tout à fait réglementaire, en plein mois de juin, à 48 degrés, et de renvoyer à contrecœur des patients chez eux, jusqu’à 80 km, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait pas de climatisation dans mon bureau. Un problème qui aurait pu être résolu en 1 heure de temps, et pour lequel, j’ai passé une semaine à demander sa réparation de façon tout à fait légale et légitime avant de suspendre la consultation. Quels sont les moyens mis à la disposition des médecins au Sud ? Pas même un climatiseur dans une zone grand Sud ?!!! Vous accepteriez de travailler dans des conditions pareilles ? Est-ce humain ? Accepteriez-vous que votre fille ou votre fils travaille dans des conditions pareilles ? On vous ment ! Nous travaillons dans des conditions lamentables ! Nous essayons chaque jour de faire de notre mieux et de garder le sourire ! Nous essayons de faire notre travail : soigner les gens !

3. On vous ment ! Nous ne sommes pas payés une fortune ! Notre salaire “du Sud” suffit à peine à subvenir à nos besoins ici (tout coûte plus cher au Sud par rapport au Nord), sans compter les billets d’avion autour de 20 000 DA (il faut bien rentrer et voir sa famille) et les factures d’eau et surtout d’électricité vu le climat extrêmement chaud : la climatisation prend une grande partie de notre salaire. Oui, nous payons toutes les charges et nous n’avons aucun avantage ! On vous berne !

4. La structure dans laquelle je travaille ne possède même pas les normes d’hygiène et de sécurité, j’ai un bureau préhistorique et les malades dans la salle d’attente ne sont pas mieux lotis que moi. J’ai passé une grande partie de mon service civil à demander des améliorations afin d’être plus efficace et de pouvoir prodiguer les meilleurs soins qui soient aux malades. Seulement, tous mes cris de détresse envers les différents responsables sont restés sans réponse. On vous ment ! Personne ne nous écoute.

Je n’ai jamais demandé une villa luxueuse ou un bureau de ministre, non ! Il se trouve que même le minimum ici est un vrai luxe !

Je me suis acquittée de mon service civil, c’est-à-dire que maintenant je peux démissionner et revenir “chercher du boulot” au Nord, mais j’ai trop de peine quand je vois mes malades. Ce n’est pas leur faute, ni à moi d’ailleurs. Je suis partagée entre mon devoir et ma dignité !

S’il vous plaît ! Arrêtez de nous tenir responsables de la défaillance de notre système de santé ! Le combat des médecins est, avant tout, le combat d’un citoyen algérien qui demande à ce qu’on le traite mieux pour qu’il puisse mieux soigner ! On vous ment ! Nous n’avons jamais refusé de soigner nos citoyens du Sud, nous refusons seulement de continuer à faire du bricolage sanitaire parce que nos autorités nous tournent le dos et nous laissent désarmés face à une population en souffrance réelle !

Les médecins se réveillent enfin et exigent leurs droits, il est temps que tous les Algériens ouvrent enfin les yeux et comprennent que le changement est possible; il suffira seulement de nous soutenir et d’être solidaires avec nous dans notre combat et, surtout, de bien comprendre nos revendications. L’union fait la force ! Nous ne sommes pas la main étrangère, nous sommes les enfants d’un pays dont l’état de santé est fragile et gravement malade, et nous voulons une meilleure santé pour notre Algérie !

Vive l’Algérie ! Gloire à nos martyrs !

Par : Dr R. Nassima

psychiatre exerçant au Sud