Lettre de Saïd Sadi au CNT libyen

Lettre de Saïd Sadi au CNT libyen

ce8-said-saadi.jpgÀ Mesdames et Messieurs les membres du Conseil national de transition Chères sœurs, chers frères En tant que patriotes algériens luttant pour la promotion démocratique de leur pays, nous vous réitérons notre entière solidarité.

Auparavant, nous avons affirmé notre soutien aux manifestants tunisiens et égyptiens. Aujourd’hui nous ne cessons de crier notre indignation devant la barbarie qui frappe les citoyens de Syrie et du Yémen. Votre combat, le nôtre et celui que mènent simultanément tous les peuples du Sud renvoient à la même problématique et tendent aux mêmes objectifs nationaux et régionaux : libérer nos pays respectifs de systèmes politiques dominés par des sectes militaires violentes, corrompues et sans perspectives et les engager dans des projets où le citoyen serait à la fois l’arbitre et l’acteur du destin collectif. Seuls des dirigeants autistes refusent de voir que, dans nos pays aussi, l’histoire citoyenne est désormais en marche.

Au-delà de notre zone, les Iraniens et les Ivoiriens avaient courageusement affronté, avec des fortunes diverses, les despotes qui les écrasaient en toute impunité.

Partout, et tout en se battant sur le terrain algérien, notre parti s’est spontanément positionné du côté des révoltés et s’est démarqué du pouvoir algérien qui, lui, s’est systématiquement aligné derrière les dictateurs.

En effet, les maîtres d’Alger, reniant les valeurs et les principes qui ont mené à la libération de notre peuple, ont soutenu et/ou soutiennent les tyrans de Téhéran, d’Abidjan, de Tunis, du Caire, de Tripoli, de Sanaâ, de Damas ou de Khartoum.

Pour l’heure, les Libyens sont en passe de régler trois problèmes fondamentaux auxquels sont toujours confrontés les Algériens :

1- Abattre une dictature militaire de plusieurs décennies

2- Amener les anciens notables du régime les moins compromis à assumer leur responsabilité historique en s’impliquant dans l’insurrection citoyenne

3- Fédérer des sensibilités politiques diverses dans un mouvement alternatif démocratique.

Dans ces conquêtes du peuple libyen, les patriotes algériens trouvent à la fois une source de satisfaction et d’espérance. Nous saluons un peuple frère qui a brisé les chaînes de l’arbitraire et nous suivons avec attention ses évolutions dont nous ne manquons pas de tirer des enseignements utiles à notre combat, ce qui est en même temps une façon d’en élargir la portée au sous-continent nord-africain. De ce fait, nous nous sommes toujours fait un devoir de répercuter la bravoure des combattants libyens tout en dénonçant et condamnant la répression dont ils sont victimes à travers nos réseaux relationnels tant nationaux qu’étrangers.

Chères sœurs, chers frères

Convaincus que nous sommes condamnés à vivre dans l’intelligence et la solidarité, nous considérons de notre devoir, eu égard à ce que nous avons enduré, de vous faire part des écueils que peut rencontrer une révolution succédant à un ordre politique archaïque qui s’est donné le temps et les moyens de déstructurer et de stériliser la société. En octobre 1988, la jeunesse algérienne a exprimé radicalement, et dans le sang, son rejet d’un système politique équivalent à celui qui vous a endeuillé pendant 42 ans. Faute de cadres et de stratégie adéquats, le pouvoir en place a pu récupérer la situation à son profit et manipuler une ouverture politique et médiatique dont l’Algérie et son voisinage paient toujours les conséquences.

Le RCD enregistre avec satisfaction les premières déclarations des instances de la révolution libyenne qui en appellent à la sérénité et la tolérance, invitent à s’interdire le recours à la vengeance tout en œuvrant avec détermination à libérer leur nation des entraves du passé. Les démocrates nord-africains sont persuadés que cette lucidité sera rapidement et résolument prolongée par la volonté d’instaurer un climat politique où la liberté, la transparence et la loi permettront à votre pays de se doter d’institutions effectivement représentatives et où tous ses fils pourront s’exprimer, défendre leur opinion et inventer la nouvelle Libye. Avoir saisi que l’on ne substitue pas un régime politique sectaire ou autoritaire à la dictature témoigne de votre conviction que les forces du renouveau doivent innover et savoir faire preuve d’humilité et de générosité. Nous le savons tous, en Libye comme ailleurs, la seule alternative à Kadhafi et tous ses comparses c’est la démocratie.

Notre soutien à votre mouvement est un devoir, votre réussite est un acquis national d’autant plus mérité qu’il a été chèrement payé. Il demeure pour nous qu’au-delà de considérations domestiques légitimes, l’aboutissement de votre combat est un investissement régional qui nous concerne tous. Oui nous devons renverser les dictatures, oui nous devons construire des sociétés de justice et de liberté régies par des États de droit mais, pour y parvenir au mieux et au plus vite, nous sommes mis en demeure de faire de sorte que chaque libération nationale serve l’autre pour garantir un développement démocratique régional. Jusque-là, dans notre histoire, chaque colonisation a fait le lit de la suivante. Nous pouvons inverser cette loi de la malédiction et nous avons, aujourd’hui, la responsabilité de faire de chaque avancée nationale une pierre angulaire qui renforce et s’articule avec toutes celles qui portent notre avenir commun.

Chères sœurs, chers frères

En avril 1958, les dirigeants marocains, tunisiens et algériens réunis à Tanger déclaraient d’une même voix que les indépendances de leurs pays devaient naturellement se parachever dans la construction d’une Fédération des États nord-africains. C’est cette ambition qu’il nous échoit de concrétiser dans la foulée des dynamiques de liberté qui déferlent sur nos contrées.

C’est dire que si des circonstances politiques nous obligent encore à lutter séparément, nous devons, sous peine de retomber dans des errements suicidaires, avoir toujours à l’esprit qu’il n’y a d’issue durable à nos luttes que dans la synergie de nos efforts. À l’UMA, ce syndicat d’autocrates, nous devons opposer les solidarités convergentes sans faille de nos mouvements. Il y a un demi-siècle, l’Algérie pouvait se poser comme repère structurant dans le mouvement de décolonisation qui a émancipé tant de peuples. Ce capital et ce rôle ont été dilapidés par un système arrogant et prédateur. Aujourd’hui, c’est l’exploit libyen qui s’impose à nous comme exemple pouvant et devant continuer d’inspirer nos luttes, notamment en Algérie.

En effet, à l’inverse de la Tunisie ou de l’Égypte qui se vivent depuis longtemps en tant qu’États-nations constitués, l’Algérie et la Libye sont de jeunes créations dans lesquelles se sont agrégées des collectivités diverses que vous avez eu, en ce qui vous concerne, l’immense mérite de comprendre, de ménager et de rassembler. Autre similitude : l’Algérie et la Libye ont été asservies par des systèmes politiques militaristes, inconséquents et incultes.

Ces rapprochements, entre autres choses, font que votre combat nous parle plus que d’autres. Politiquement, la traduction de votre soulèvement en projet démocratique et social est le meilleur message d’espoir que vous pouvez délivrer à votre pays et, au-delà, à tout notre environnement géopolitique.

Ardemment souhaité et attendu par tous les fossoyeurs de nos destins, l’échec vous est tout simplement interdit. C’est pour cela que nous, patriotes et démocrates algériens, nous nous permettons d’être plus exigeants envers vous qu’avec d’autres.

Chères sœurs, chers frères

Vous avez fait le plus dur, vous êtes condamnés à réaliser le plus juste. L’Histoire nous offre l’occasion de conjuguer nos espérances. Vous le savez, il y a longtemps que le RCD travaille au rassemblement des forces démocratiques de notre région. Avec nos fraternels sentiments.

Alger le 26 août 2011

Saïd Sadi, Président du RCD.