Lettre au chef de l’Etat au sujet du gel des lettres de crédit de plus de 60 jours

Lettre au chef de l’Etat au sujet du gel des lettres de crédit de plus de 60 jours

La banque d’Algérie a instruit en décembre dernier les banques de ne plus pratiquer les lettres de crédit à paiement différé, accusés de gonfler la dette à court terme du pays.

La mesure est contestée par les entrepreneurs qui ont saisi le chef de l’Etat. Ils ont de solides arguments à faire valoir. Maghreb Emergent publie la lettre dans son intégralité. Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

Depuis près d’un mois, les banques refusent d’ouvrir des lettres de crédit à des termes supérieurs à 60 jours. Aucune Loi n’a été publiée à cet effet, mais les banquiers nous ont confirmé que cette mesure est la conséquence d’une instruction de la Banque d’Algérie datée du 9 décembre 2010 qui a été rendue publique par un média (Maghreb Emergent (NDLR..)

Cette instruction, adressée aux banques et établissements financiers constate que l’endettement à court terme de l’Algérie « enregistre une croissance à un rythme non souhaitable » et « invite à prendre toutes dispositions pour réduire ce type d’engagement ». Les banques ont donc appliqué cette instruction en restreignant l’ouverture de lettre de crédit à terme pour leurs clients.

Une conséquence mécanique de l’obligation du Credoc

1. Au point de vue purement analytique et de prospective économique, nous sommes étonnés de la teneur de cette instruction. L’apparition accroissement de la dette à court terme est la conséquence mécanique de l’instauration de la lettre de crédit comme seul moyen de paiement des importations. Il est peu compréhensible que nos autorités monétaires découvrent cet effet en décembre 2010 alors que celui ci était prévisible dès la promulgation de la LFC 20009. D’autre part, cet accroissement ne reflète pas une détérioration de la situation financière de notre pays.

Avant, lorsque qu’une entreprise payait à 90 jours ou 120 jours son fournisseur, cette dette n’apparaissait pas dans les agrégats de la Banque d’Algérie. Elle était « hors bilan ». La généralisation de la lettre de crédit a fait apparaitre ces dettes. Il n’y a donc aucun changement économique fondamental. Il s’agit juste d’une dette qui était « hors bilan » qui apparait aujourd’hui au « bilan » de l’Algérie.

2. Cette mesure a, vous vous en doutez bien, des conséquences directes sur les besoins de fonds de roulement des entreprises algériennes. Elle est inflationniste et elle est susceptible de conduire les entreprises à la situation financière fragiles à l’insolvabilité.

Les producteurs désavantagés

3. D’autre part cette mesure n’effectue aucune discrimination entre les entreprises productrices et les entreprises qui font de la revente en l’état. Il est même probable que les entreprises productrices soient celles qui vont le plus pâtir des conséquences ce cette mesure, et ce pour plusieurs raisons :

a. Les importateurs sont les meilleurs clients des banques. Ce sont ceux dont la clientèle est la plus rémunératrice. Dans un contexte de « rationnement par banque » du volume de crédit documentaire, il est commercialement prévisible que les banques vont favoriser leurs meilleurs clients.

b. Les producteurs ont un cycle d’exploitation plus long que les importateurs. Ils doivent stocker différentes matières premières, tenir compte des délais de productions et maintenir assez de stocks tampon de toutes les matières premières (car une rupture de stock peut arrêter toute le process de fabrication).

c. Les producteurs ont généralement une situation financière plus fragile que les importateurs, notamment car leurs actifs composés d’une part importante d’immobilisations sont moins liquides que ceux des importateurs.

Mise en difficulté des entreprises

4. A titre illustratif voici une simulation de l’effet de cette mesure sur une entreprise productrice moyenne :

a. Généralement la trésorerie d’une entreprise Algérienne moyenne ne dépasse que rarement une semaine de chiffres d’affaires (elle est souvent négative)

b. Partant de cette première hypothèse, une entreprise qui réalise 300 millions DZD de chiffre d’affaire hors taxes (CAHT) mensuel, disposerait d’une trésorerie de +70 millions DZD en moyenne.

c. Si cette entreprise est industrielle et qu’elle importe 70% de ses intrants (emballages + matières première non disponibles localement) et que sa marge sur coût matière soit de 40% au mieux, son volume d’importation mensuel s’élèverait donc à : 300 millions DZD x 60% x 70% = 126 millions DZD.

d. En décalant ses délais de 90 jrs à 60 jrs sur l’ensemble de ses importations la variation du BFR ferait directement glisser la trésorerie de cette entreprise de – 126 millions DZD soit à un niveau négatif de -56 millions DZD. Ceci affecterait son résultat (frais financiers 12% effectif sur découvert/ 8% nominal) et mettrait en difficulté son fonctionnement.

e. Si l’entreprise est déjà en difficulté de trésorerie ce qui est, faut-il le rappeler, le cas de beaucoup de PME Algériennes, une telle mesure la conduirait immédiatement à une situation de cessation de paiement.

f. Il est important de rappeler que les effets ravageurs de cette nouvelle mesure vont commencer à apparaitre dès la fin du premier cycle d’importations, c’est à dire, fin février 2011.

Effet inflationniste

5. Sur le secteur de l’importation cette mesure est susceptible d’avoir les effets suivant :

a. Un effet inflationniste découlant directement de l’augmentation du besoin de fonds de roulement

b. Des perturbations en termes d’approvisionnement du marché. De façon naturelle, à ressources constantes, les opérateurs vont favoriser les produits les plus rentables au détriment d’autres produits moins rentables.

c. Un effet inflationniste découlant de la disparition de joueurs du marché. Le risque d’aggravation de situations de positions dominantes et/ou de monopole plus importantes dans les secteurs de l’importation et de l’informel que dans les domaines productifs car elles sont moins visibles (ou totalement invisibles dans cas de l’informel).

(…) Nous vous avons illustré les conséquences sur le monde de l’entreprise et donc sur le marché d’un exemple de mesure récente. Cette mesure n’a fait l’objet d’aucune publication officielle, mais elle a un impact important sur notre économie.