Les plages du littoral algérien sont au centre d’un enjeu capital. Une guerre d’un genre particulier s’y déroule : l’Etat tente de reprendre le contrôle de ces territoires trop longtemps laissés entre les mains de bandes versées dans le gain facile et surtout décidées à ne pas perdre l’autorité qu’elles exercent sur les citoyens désorientés.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Le drame survenu il y a peu de temps à Bousfer, dans la wilaya d’Oran, en dit long sur la situation. Un père de famille, exacerbé par l’attitude d’un parasolier et le prix exorbitant exigé par ce dernier pour la location d’un parasol, s’est fait poignarder sous les yeux de ses enfants, son épouse et les estivants.
Le drame a choqué, indigné et confirmé, si besoin est, les dérives en cours, conséquences évidentes des difficultés éprouvées à appliquer les directives émanant des plus hautes autorités de l’Etat. Le fait a été, en tous les cas, perçu comme une aggravation de la situation, reflet incontestable d’une violence bien installée, impossible à cacher, à nier. Le fait interpelle d’autant que pour des raisons pratiquement similaires, un citoyen a trouvé la mort quelques jours plus tôt pour avoir refusé de payer sa place de parking à Skikda. Le fait est perçu comme du racket et la victime a reçu un coup de poignard dans le cou.
Acte de violence destiné à donner exemple aux automobilistes qui refuseraient de se laisser racketter ? s’interrogent les Algériens sur les réseaux sociaux. C’est sur les plages que les services chargés du maintien de l’ordre ont cependant décidé d’utiliser la manière forte. L’onde de choc provoquée par la mort du père poignardé par un parasolier tente depuis d’être atténuée par des images de forces de sécurité passant les plages au crible.
Des images diffusées un peu partout montrent des éléments de la gendarmerie présents en grand nombre et passant en revue y compris le contenu de sacs en plastique censés récolter les ordures. Les scènes se veulent rassurantes, elles se déroulent sur le lieu de l’événement et sont retransmises par la chaîne de télévision nationale.
Selon les informations en cours, instruction a été donnée d’élargir l’opération à d’autres plages de l’Algérois connues pour la grande affluence qu’elles enregistrent.
A la Madrague, ce sont des policiers qui font le va-et-vient sur le sable. Ici, des rixes éclatent souvent entre bandes rivales. Les jeunes locateurs de parasols et tables de plage se sont partagé le territoire. Chaque parcelle a son propre chef lequel emploie ses propres employés. Les disputes interviennent lorsque les citoyens sont admis sur les parcelles chevauchant les limites tracées par l’autre ou lors d’une confusion entre «matériel». Cris, insultes, des scènes impressionnantes peuvent parfois se dérouler sous les regards apeurés des familles.
En présence des forces de l’ordre, tout semble cependant bien se dérouler. «Ces personnes attendent généralement la fin de la journée pour régler leurs comptes», raconte un riverain. «Parfois, ils se battent à coups de couteaux, d’autres fois on assiste à des corps à corps très violents entre les chefs de bandes pour un simple parasol perdu. Il y a beaucoup d’argent qui se joue dans ces affaires.» Le parasol est loué à 300 DA, la table et les quatre chaises à 100 DA. Comme partout ailleurs, les malheureux estivants qui se hasardent à amener leur propre parasol se voient dans l’impossibilité de se frayer une place à travers le «dispositif» mis en place par les bandes. La bande sablée est presque entièrement occupée par les tables, chaises et parasols. «Ailleurs, cela ne se passe pas de la même manière, se plaint une dame désolée par le spectacle auquel elle assiste toutes les années. En Tunisie, les locations se font à la demande des clients, on ne trouve pas l’espace totalement occupé en arrivant, nos enfants n’ont même pas où jouer dans le sable. Regardez, ils s’amusent entre les pieds des chaises. Il y a aussi le coût élevé des locations, ce ne sont pas toutes les familles qui peuvent payer le prix exigé, beaucoup préféreraient amener leur propre parasol, mais à qui parler ?» La présence des forces de l’ordre rassure-t-elle ? «Oui, bien sûr, mais ça fait quand même bizarre de devoir se baigner sous surveillance. L’idéal est d’obliger ces jeunes à retirer leurs affaires jusqu’au moment où un client se présente. On leur a laissé le terrain libre trop longtemps, ils font ce qu’ils veulent.»
Une vieille dame poursuit : «Ici, on peut encore s’estimer heureux, à Sidi Fredj, les chevaux courent en bord de mer, les cavaliers demandent aux enfants de s’asseoir sur des chaises et quand on entre dans la mer, il faut faire attention aux planches de surf, pédalos, jet-ski et autres engins loués, c’est incroyable.» Le plan mis en place par les autorités portera-t-il ses fruits ?
A. C.