Les vacances et les laissés pour compte «1200 Kms de côtes et on arrive pas à aller à la plage»

Les vacances et les laissés pour compte  «1200 Kms de côtes et on arrive pas à aller à la plage»

partir en vacances en Algérie est pour la majorité des citoyens, du domaine de l’impossible. Impossible de louer une maison, un bungalow ou une chambre d’hôtel.

La location d’été est une location « d’enfer ». Trop chère. Résultat : les Algériens restent chez eux et au final, ça stress. Rencontre avec les laisser pour compte des vacances à l’algérienne.

Pétulant, Ahmed arrive enfin à convaincre le bailleur. Six mille dinars de moins qui signent la fin d’un périple de vingt heures. La famille peut descendre le paquetage et commencer enfin ses vacances. Elle, qui arrive de Tiaret va passer une dizaine de jours au bord de la mer.

Une maison de deux pièces, louée à cinquante mille dinars, dénichée au terme d’une acrobatie que la famille n’est pas prête d’oublier. Au départ, ce petit commerçant avait tout dessiné. Pas question de « zoner » en famille. Il avait loué par téléphone une villa de deux étages au même prix du coté de Bouharoune dans la wilaya de Tipaza. C’était avant le grand voyage et le ton impétueux de son interlocuteur ne lui laissait pas imaginer une suite périlleuse.

«Les prix ont bougé depuis la fin de la coupe du monde»

Une fois arrivé sur place, l’homme aux six garçons et deux filles se retrouve surpris par un homme un peu « fêlé ». Drôle de proposition lui est faite de partager la villa avec deux autres familles qui occupent le rez de chaussée.

Fallait-il alors réviser le prix à la baisse ? Réponse dubitative. L’homme ne se gène pas à demander à la famille de revoir leur location. Le prétexte est tout aussi saugrenu : les prix ont bougé depuis la fin de la coupe du monde. Et c’est alors qu’Ahmed va se démener pour trouver un toit à sa famille. De village en village, il finira enfin par choper un petit appartement, loin, derrière Cherchell.

Le coin est tranquille. Ahmed se dit même ravi « j’aurais du m’intéresser à la région au départ » mais il se montre un peu nerveux face à la concussion qui régit le loyer sur le littoral. Le voila obligé de chambrer ses enfants, lui qui voulait leur offrir des vacances de qualité. Le voila trahir sa promesse pour des mômes qui ont fait une excellente saison « j’ai dans ma voiture deux bacheliers et deux autres qui ont décroché leur BEM.

Tout les autres aussi ont fait une excellente saison et ces vacances, ils les méritent ». Leur père voulait les récompenser, le marché de l’immobilier en a fait qu’ils se contentent d’un petit rien au seul agrément de donner une vue sur la plage et de humer un peu d’iode. Une heure après, la famille est installée.

Les enfants sont déjà à la plage et Ahmed accompagné de sa femme sirote le café de la délivrance. Lui et son épouse ont eu de la veine « oui, on a eu drôlement peur aujourd’hui. On ne savait pas s’il fallait revenir. Louer dans un hôtel est impossible pour nous ; avec notre argent, on ne dépassera pas deux nuitées ». Un casse tête qu’il aurait été difficile d’expliquer aux enfants.

«Ce sont nos premières vacances depuis …dix ans»

A présent que « tout est rentré dans l’ordre », Ahmed se fait une raison. Il a payé cher mais ses enfants le méritent bien. Pour le reste, l’homme ne se fait pas d’illusion. L’avilissement est devenu une pratique générale et encore d’avantage quand « l’occasion se présente » en ces temps de grandes chaleurs et de petites infrastructures.

Ahmed a cessé de parler. Yamna, son épouse, occupée à rafistoler une veille robe zébrée, héritée de sa tente, prend le relais « vous savez, passer des vacances dans notre pays est chose impossible aujourd’hui, alors on peut s’estimer heureux d’avoir réalisé cet impossible aujourd’hui ». Note d’humour acidulé.

La femme n’hésite pas de préciser que c’est les premières vacances depuis…dix ans. Dix ans, c’est tout prêt aussi pour la famille Hadjar. Habitants d’Alger, ils ne se souviennent plus de leurs précédentes vacances. Pour cette année, ils ont décidé de partir à Ghazaouet dans la wilaya de Tlemcen.

Un bungalow loué à raison de soixante mille dinars pour quinze jours et la certitude de ne pas se faire arnaquer.. La transaction est faite dans un cadre groupé de la société de papa. Mais attention, là aussi on appréhende. La présentation est tellement alléchante qu’ils veulent juger sur pièce. Hamid, le papa raconte : « il devrait s’agir de demeure de moyen luxe avec un pied dans l’eau.

Une cour à plantes herbacées et au menu, la promesse de produit dulçaquicole ». Le rêve pour cette petite famille de cadres moyens, emportant dans leur valise un grand père fatigué, avide d’un peu d’évasion. La famille part ce samedi du 18 juillet. Tout est fin prêt. Les valises, le matériel de plage, la petite barque gonflable et même la trousse aux médicaments pour prévenir contre d’éventuels « bobos ».

L’idée est bien sur de la maman et fait éclater de rire Zahra, l’étudiante en médecine « ma mère à une telle dose d’exagération que je me demande parfois dans quel monde elle vit ».

«Sans mon entreprise, mes enfants seraient restés à la maison»

La plaisanterie est de courte durée. La maman n’est pas du genre à se laisser moquer même s’il s’agit de sa préférée. Alors on change de sujet pour ne pas avoir à déparer la scène et c’est le papa en sapeur pompier qui est à la man?uvre. Lui, trouve les prix scandaleux en Algérie.

Sa location n’est payée que partiellement et il juge ne pas s’en sortir tout seul « ce bungalow est payé en partie par l’entreprise car son prix réel revient à quatre fois la somme payée ». C’est dire que sans l’entreprise, la famille serait confrontée à une kyrielle de problèmes sans fin et avec, probablement, les vacances parties en l’air.A vrai dire, en Algérie, voir ses vacances partir en fumée n’est pas une surprise en soi.

La plupart des gens affirment devoir presque se médire, s’ils devaient aller ailleurs. Hassiba et ses trois enfants par exemple passent leurs vacances à la maison. Pour cette veuve qui travaille dans la communication, pas question d’envisager des vacances, à peine si elle peut s’arranger pour prendre ses enfants à la plage, de temps à autre. Avec un fils frappé de nanisme, cette jeune maman raconte son calvaire quotidien pour gagner sa vie.

Au delà, elle n’en peut plus et au final, les vacances c’est pour une autre vie « déjà pour vivre il faut batailler dur quand on est honnête. Mettre de l’argent de coté pour les vacances relève, à mon niveau, de l’impossible ». Il y a quelques années pourtant, Hassiba était sur le point d’emmener ses enfants à Béjaia. Une maison promise par un collègue qui devait mander au cousin de la laisser vide pendant quinze jours.

Au bout, toujours le problème du prix. Après avoir donné une fourchette, le collègue s’est ravisé et s’est mis aux standards du marché. Hassiba en garde un amer goût au point de traiter son collègue de véritable toqué, tant ça la blessée « imaginer que tout était univoque pour les enfants, deux jours avant le départ, vous imaginez la déception ? »

Déception trop dure qu’elle « n’oubliera jamais ». Nihiliste dans son élan ? Non, plutôt réaliste dit-elle. Elle refuse simplement de faire l’aumône pour ses vacances et peste sur les pouvoirs publics, coupables à ses yeux. « Les Algériens aimeraient bien faire du yachting, un jour, chez eux au lieu d’aller jouer au yoga devant les consulats ». Son constat ne souffre d’aucune hésitation chez Khelifa.

Lui, ne comprend pas comment rien n’est fait pour rendre la vie plus agréable aux algériens « avec plus de 1200 KM, le long des cotes, on n’arrive pas à satisfaire la demande. C’est incroyable ! ». S’embringuer dans des tartuferies, Khelifa n’en veut plus. Pour lui, assez de promesses. Le temps est venu pour apporter des réponses adéquates aux attentes des Algériens.

Ces derniers se voient refuser des visas de plus en plus. Ils sont fatigués de se cantonner dans une ou deux destinations et puis verront bien un séjour chez soi de qualité car ils restent familièrement très attachés. Selon Khelifa, les Algériens ne sont pas des xénophiles et seule, la contrainte les jettent dans les ports des autres « les Algériens aimeraient bien faire du yachting, un jour, chez eux au lieu d’aller jouer au yoga devant les consulats ».

L’ingénieur parle en connaissance de cause. Du voyage, il en a fait et ne regrette rien « bien sur qu’il faut aller ailleurs de temps à autres ». De temps à autres mais pas tout le temps, pas dans la contrainte, pas parce qu’il n’y a rien ici. « Rien et tout » de quoi faire râler d’avantage l’homme.

Comme Hassiba, ces vacances sont programmées à la maison. Ce « fouineur » introverti a frappé à plusieurs portes. Partout, le drame du prix se pointe devant lui. Impossible d’organiser un demi mois en dessous de dix bâtons au minimum, soit plusieurs mois de salaires net. Lui comme beaucoup, rêve d’un petit coin avec petite kitchenette, une terrasse et un peu de soleil.

Le minimum dit-il ; minimum vital au milieu du stress ambiant et la latence des menaces à venir. Des vacances, oui, des vacances tout simplement. Les Algériens n’ont n’en pas les moyens alors que le pays est riche. Des vacances pour oublier les déprimes, les problèmes en tout genre ; pour repartir du bon pied.

Yamna parle plutôt de bon sens. Elle ne souhaite pas la jacquerie mais plutôt une prise de conscience à l’échelle nationale sur un phénomène de loisir dont les conséquences peuvent bien se développer en un jeu stupide. La misère des jours, l’opulence des malfrats et l’absence de repos rassemblent bien un cocktail explosif !

T. D