Les tunisiens ouvrent une grosse brèche dans le glacis autoritaire maghrébin

Les tunisiens ouvrent une grosse brèche dans le glacis autoritaire maghrébin

Les tunisiens sont sortis dans la rue jeudi soir après le discours de Zine EL Abidine Ben Ali ordonnant la cessation des tirs et promettant une ouverture démocratique. Les opposants tunisiens oscillent entre approbation et méfiance à l’égard d’un régime qui a attendu que le feu arrive à Tunis pour commencer « à comprendre » les demandes tunisiennes. La première brèche dans le glacis autoritaire maghrébin s’est faite contre le régime et contre ses soutiens occidentaux. Les tunisiens sont entrain de changer la donne au Maghreb en le mettant sur un cap démocratique.

Ben Ali cède. Il met fin à la censure et promet un changement démocratique. Il a fallu des dizaines de morts pour qu’il « comprenne » les tunisiens. Certains analystes attribuent cette nouvelle disposition de Ben Ali – qui a annoncé qu’il ne sera pas candidat en 2014, ce qui veut dire implicitement qu’il restera au pouvoir jusque-là – à un signal américain que les choses doivent changer et vite.

Paris – dont la ministre des affaires étrangères, Michelle Alliot-Marie suscite la révulsion générale après avoir proposé que la France offre son savoir-faire en matière de police à la Tunisie et l’Algérie –  a soutenu jusqu’au bout le régime policier. Ce ne serait qu’après le signal américain que la France a décidé, pudiquement, de critiquer « l’usage disproportionnée de la force ». Pourtant, même si l’intérêt des puissances occidentales à l’égard de la Tunisie, le « modèle » en matière d’économie et d’anti-islamisme est avéré, aucune conjecture ne peut nier que les tunisiens viennent de se libérer eux-mêmes.

Le régime a peut-être écouté des avis « amis » mais il a surtout entendu les grondements de la colère des tunisiens qui s’approchaient dangereusement du palais de Carthage. Les tunisiens n’en doutent pas. Ils sont sortis en liesse, non pour célébrer le discours, mais pour prendre acte d’une victoire sur le régime qu’ils ne doivent qu’à leur combat. Et à leurs sacrifices – 67 morts selon les militants des droits de l’homme – et à l’implication des élites dont la parole s’est faite plus libre à la faveur du mouvement.

Ingérence occidentale permanente en faveur de la dictature

Ni Washington, et encore moins Paris, ne peuvent s’arroger un quelconque rôle dans la décision de Ben Ali de reculer. Au contraire, leurs politiques, celle de Paris surtout, peut être considérée comme une ingérence permanente pour défendre le régime et le blanchir sous le prétexte qu’il serait le meilleur rempart contre l’islamisme. « Je suis fier de mes frères tunisiens, on est tous des tunisiens ce soir ». C’est la teneur du SMS envoyé par M.Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), immédiatement après le discours de Ben Ali.

Cette victoire est bien celle des tunisiens. Et ils ne veulent pas également se laisser voler cette victoire historique par le régime lui-même. Ben Ali a reculé mais il veut continuer à présider aux destinées de la Tunisie jusqu’en 2014. Le système policier vacille, mais il est là, encore menaçant. Ce qui explique les réactions contrastées de l’opposition tunisienne. Les défenseurs des droits de l’homme, Mohamed Abbou et Sihem Bensedrine, tout comme d’ailleurs l’islamiste Rached Ghannouchi, considèrent que Ben Ali n’a pas bien compris les tunisiens et qu’il doit partir.

D’autres opposants, à l’instar de Mohammed Néjib Chebbi, chef historique du PDP (Parti démocratique progressiste) a relevé comme un « fait positif » le fait que le « président ait décidé de ne plus se représenter ». « Ce discours ouvre des perspectives », a déclaré de son côté, Mustapha Ben Jaafar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, membre de l’Internationale socialiste. »Il reste à appliquer ces intentions », a toutefois ajouté Mustapha Ben Ben Afar.

La révolution Bouazizi

Les réactions contrastées, somme toute normale des opposants, sont somme toutes normales. Il est impossible de ne pas voir dans le discours de Ben Ali, le premier signal que le régime a peur de la rue et accepte de composer en vue d’aller au changement. Dans le même temps, l’opposition craint que le régime ne cherche qu’un répit avant de se replacer.

C’est bien tout l’enjeu de la transition vers la démocratie et l’Etat de droit. Le plus grand risque pour l’opposition est de redonner du jeu au régime en reproduisant, à nouveau, la dichotomie entre « laïcs » et « islamistes ».

La brèche que les tunisiens viennent d’ouvrir en Tunisie et dans le glacis autoritaire maghrébin dépendra de la capacité des forces politiques tunisiennes à ne pas reproduire les erreurs qui ont servi le régime ; et qui ont été le prétexte pour une ingérence antidémocratique des démocraties occidentales en faveur du régime policier de Ben Ali, fortement ébranlé par les effets du geste anti-hogra du jeune Mohamed Bouazizi, 26 ans, qui s’est transformée, sous les yeux des maghrébins solidaires et admiratifs, en révolution démocratique.