L’affluence des Tunisiens pour élire une Assemblée constituante «a dépassé toutes les attentes. Le taux de participation pourrait dépasser les 60%», a déclaré hier à la mi-journée, Kamel Jendoubi, président de la Commission électorale, au cours d’un point de presse à Tunis.
En outre, ce dernier dira avoir noté certaines «irrégularités» dans le déroulement du scrutin, en ce sens où «certains partis continuent leur campagne et n’ont pas respecté le silence électoral» en vigueur depuis vendredi minuit, ont rapporté des agences. Il a notamment cité des «pressions sur les électeurs analphabètes» et des «SMS envoyés pour influencer le vote», sans citer aucun parti.
Neuf mois après la chute de l’ex-président Zine El-Abidine Ben Ali, les Tunisiens ont afflué en masse vers les bureaux de vote qui ont ouvert leurs portes hier très tôt dans la matinée pour le premier scrutin libre et démocratique de l’histoire du pays pour élire une Assemblée constituante. Avec ce premier rendez-vous électoral démocratique, cette date du 23 octobre 2011 restera sans aucun doute une date historique dans l’histoire de la Tunisie. En ce sens où ces élections donneront un nouveau fondement de l’Etat tunisien dont l’impact se répercutera sur les générations à venir de Tunisie. Ce scrutin énormément suivi sur la scène internationale constitue en effet un test important pour la Tunisie.
Ennahda en tête de liste, et après….
D’emblée, les observateurs parlent du parti islamiste Ennahda comme favori de ce scrutin, sans toutefois ne pas obtenir la majorité au sein de la future Assemblée. Ce qui vraisemblablement le forcerait, selon des spécialistes, à chercher des partenaires de coalition. Et là aussi, ce ne sera pas une tâche facile pour Ennahda face au front uni que formeront ses multiples adversaires, notamment le Parti démocratique progressiste (PDP), qui aspire coûte que coûte à préserver les valeurs laïques de la Tunisie. D’ailleurs, faut-il souligner que les partis laïcs s’inquiètent désormais de voir Ennahda imposer des bouleversements sociétaux par le biais d’un succès politique. Même si le parti islamiste s’en défend et a publiquement pris ses distances avec les salafistes qui ont récemment attaqué un cinéma et une Chaîne de télévision (Nessma, en l’occurrence) après la diffusion du film d’animation «Persépolis», il n’en demeure pas moins que pour de nombreux observateurs, les positions d’Ennahda ne sont pas claires, allant à leur attribuer un «double langage». Pourtant, certains observateurs vont jusqu’à évoquer une surestimation de la force des islamistes. Selon les derniers sondages, 49% des Tunisiens n’ont pas encore fait leur choix. Les islamistes d’Ennahda ont récemment présenté leur programme politique, économique et social, dans lequel il a été souligné des lacunes concernant les priorités économiques et les solutions suggérées pour résoudre le problème du chômage.
En effet, pionniers du Printemps arabe, ils sont plus de 7 millions d’électeurs tunisiens à être appelés à départager les 11 686 candidats, répartis sur 1 517 listes, présentées par 80 partis et des «indépendants» (40%), et élire ainsi les membres d’une Assemblée constituante. Ainsi, les 217 élus de l’Assemblée nationale constituante auront principalement pour charge la rédaction d’une nouvelle Constitution démocratique du pays. En outre, ils auront également à mettre en place un nouveau gouvernement intérimaire en attendant les élections législatives et présidentielle dont les dates seront décidées par la nouvelle Assemblée et les futures autorités intérimaires. Par ailleurs, le scrutin en Tunisie a été sécurisé par plus de 40 000 forces de l’ordre, surveillé par quelque 13 000 observateurs locaux et plus de 600 internationaux.
Le président intérimaire tunisien Foued Mebazaa, pour sa part, a annoncé, hier, qu’il se retirait définitivement de la vie politique une fois la désignation d’un nouveau président par l’Assemblée qui sera élue. En ces termes, il dira : «Je reconnaîtrai les résultats quel que soit le vainqueur et quelle que soit la couleur de la majorité dans la future Assemblée. Je remettrai le pouvoir à celui qu’aura désigné l’Assemblée constituante comme nouveau président de la République.»
A ce sujet, Rached Ghannouchi, chef de file du parti islamiste, qui venait d’accomplir son vote dira que «c’est un jour historique». Pour lui, «la Tunisie naît aujourd’hui, le Printemps arabe naît aujourd’hui». Rappelant dans ce contexte que Rached Ghannouchi, est revenu dans son pays en janvier dernier après un exil qui aura duré vingt ans, et s’est réclamé d’un islam modéré proche du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie et a prévu de ne pas toucher au statut de la femme, le plus avancé du monde arabe. Pour sa part, Najib Chebbi, fondateur du Parti démocratique progressiste (PDP) en 1983 affirme que «c’est le jour le plus heureux de l’histoire de la Tunisie. C’est une célébration de la démocratie». Et d’ajouter que
«c’est très émouvant de voir tous ces gens attendre pour voter».
Quant aux milliers de personnes massées dans les files d’attente devant les bureaux de vote, toutes ont affiché leur enthousiasme et parlent d’une journée historique, d’un moment de fierté nationale.
Par Lynda Naïli Bourebrab
Malgré l’entente sur les constantes nationales
Polémique autour du système de gouvernance
La nature du système de gouvernance et du régime politique à mettre en place en Tunisie à la lumière de la Constitution avait suscité une polémique au sein de la classe politique tunisienne. Bien que l’ensemble des partis tunisiens (gauche, droite et cen-tre) s’entendent sur les constantes nationales, dont l’identité arabe et islamique, et l’attachement aux principes de liberté et de démocratie, ils divergent sur la nature du système de gouvernance et du régime politique à mettre en place.
Le Mouvement islamiste Ennahda a plaidé pour un système républicain reposant sur les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice, l’établissement de relations sociétales sur la base de la citoyenneté, l’attachement au principe d’alternance au pouvoir et le rejet de la violence pour arriver au pouvoir ou y demeurer. Ainsi, pour le Mouvement de Rached Ghannouchi, la Constitution tunisienne doit reposer sur le droit à la réflexion et à l’expression et permettre de tenir la religion et les lieux de culte à l’abri de tout dépassement politique.
Quant au parti du Congrès pour la République, il a appelé à la mise en place d’un régime semi-présidentiel reposant sur le principe de séparation des pouvoirs et dans lequel le pouvoir exécutif est réparti entre le président de la République et le Premier ministre. Le parti s’oppose au régime parlementaire.
Pour sa part, le parti de l’Alliance républicaine privilégie, lui, le jumelage des régimes présidentiel et parlementaire. Le parti estime que ce type de régime est «inéluctable».
Concernant les visions des politiques et des juristes tunisiens, elles se sont essentiellement axées sur l’adoption du système semi-présidentiel pour éviter à la Tunisie
«les risques» qu’elle avait encourus durant la gouvernance de Ben Ali et les «lacunes» du système parlementaire, en raison de l’existence de partis politiques faibles en Tunisie.
Aussi, le président du Mouvement réformateur tunisien, Omar Shabou, a indiqué que les Tunisiens ont vécu sous un régime présidentiel où «un seul individu monopolisait l’ensemble des pouvoirs», soulignant que le régime parlementaire comportait des «risques». Le mouvement se prononce alors, dira-t-il, pour le régime semi-présidentiel.
Pour le politologue tunisien le Dr Abdelaziz Al Jaziri, il estimera qu’en l’absence d’une «majorité homogène» idéologiquement et politiquement parlant, et vu que le régime présidentiel n’a réussi qu’aux Etats-Unis, la solution réside dans le régime semi-présidentiel.
Néanmoins, le Mouvement de l’unité populaire, de Ahmed Bensalah, a plaidé pour le régime politique parlementaire où le pouvoir exécutif est détenu par le gouvernement issu du Parlement et dont la formation se verra confiée au parti ou à la coalition qui remporte les élections législatives produisant ainsi un «équilibre» entre les pouvoirs législatif et exécutif.
Dans ce contexte, le Parti communiste des travailleurs de Hama Al Himami, qui lui aussi soutient le régime parlementaire, a estimé que la Tunisie «avait beaucoup souffert» du régime présidentiel et que tout débat autour du régime présidentiel ou semi-présidentiel «ramène le pays en arrière». Soulignant, par ailleurs, que l’instauration d’une république démocratique parlementaire passe par l’organisation d’élections locales et régionales et la réorganisation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif.
Lynda N. B.
Fort séisme dans l’est de la Turquie
Des morts, des dégâts considérables
Un fort tremblement de terre, de magnitude 7,3 selon l’Institut américain de géophysique USGS, s’est produit hier dans la province orientale turque de Van, proche de l’Iran, faisant, selon les autorités, des dégâts considérables et un nombre non précisé de morts.
«C’est un puissant séisme (…) Il peut causer entre 500 et 1 000 morts», a estimé au cours d’une conférence de presse Mustafa Gedik, le chef de l’Institut sismologique de Kandilli, à Istanbul. «Le séisme a été très fortement ressenti à Van (ville de 380 000 habitants, ndlr) et dans ses environs, provoquant, selon les premières informations, des dégâts et des pertes en vies humaines», avait auparavant annoncé la direction des situations d’urgence, un organisme officiel, dans la capitale Ankara. Des personnes sont ensevelies sous les décombres, ont souligné les médias. Le vice-Premier ministre turc, Besir Atalay, a déclaré qu’une quarantaine de bâtiments, dont un pensionnat, s’étaient écroulés dans la province de Van, située dans l’extrême est de la Turquie, à plus de 1 200 km à l’est d’Ankara et peuplée majoritairement de Kurdes. L’agence de presse Anatolie a précisé que 50 personnes avaient été hospitalisées dans la seule cité de Van, où, d’après les autorités locales, l’aéroport civil reste opérationnel. Les Chaînes de télévision avaient affirmé qu’il avait subi des dégâts et avait été fermé. L’épicentre du tremblement de terre de magnitude 7,3 qui s’est produit à 10h41 GMT se trouvait à 19 kilomètres au nord-est de Van et à une profondeur de 7,2 kilomètres, a précisé aux États-Unis l’USGS, la référence en matière de séismes. L’une des répliques, survenue un quart d’heure plus tard, à 10h56 GMT, et dont l’épicentre a également été localisé à 19 kilomètres au nord-est de cette agglomération, a eu une magnitude de 5,6, selon l’USGS. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan qui était à Istanbul (ouest) au moment du séisme, également ressenti dans les provinces voisines de celle de Van ainsi qu’en Iran, devait partir sans délai pour Van avec plusieurs ministres, dont celui de la Santé, a annoncé la Chaîne privée de télévision NTV. «La secousse a provoqué une grande panique», a raconté le maire de Van, Bekir Kaya, soulignant que le réseau téléphonique de sa ville avait été fortement endommagé. Les premières images diffusées montraient des habitants en train de fuir dans le désordre leurs logements et au moins deux bâtiments de plusieurs étages détruits. Le Croissant Rouge s’est mobilisé et a commencé à envoyer des tentes et du personnel dans la zone sinistrée. «C’est un puissant séisme qui peut faire des ravages», a souligné le président de cette organisation caritative, Lutfi Akan. L’armée devait aussi dépêcher des secouristes. En général, c’est dans les villages reculés où les maisons sont faites de pisé qu’il y a le plus de destructions. Un séisme de cette force est d’autant plus susceptible de provoquer de substantiels dégâts en Turquie que de nombreuses habitations ont été construites sans que les normes établies ne soient entièrement respectées, ont averti les sismologues cités par les Chaînes de télévision. La Turquie, qui est traversée par plusieurs failles, notamment dans l’est et le nord-ouest, connaît de fréquents tremblements de terre. Deux forts séismes dans les régions très peuplées et industrialisées du nord-ouest y avaient fait environ 20 000 morts, en août et novem-bre 1999, et les experts s’accordent sur le fait que la région d’Istanbul est sous la menace d’une telle catastrophe naturelle. En 1976, un tremblement de terre avait fait plus de 3 800 morts à Caldiran, dans la province de Van.