Catégoriques, les Tunisiens étaient clairs dans leurs slogans. Ils ne veulent plus de figures du parti du président déchu.
Le nouveau gouvernement de transition est loin de satisfaire tous les Tunisiens. Au lendemain de l’annonce de la composition «du gouvernement d’union nationale», une centaine de Tunisiens ont manifesté hier sur l’avenue Habib-Bourguiba, dans le centre de Tunis, contre la présence de ministres issus du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir jusqu’à présent, a rapporté l’AFP.
Catégoriques, les Tunisiens étaient clairs dans leurs slogans. Ils ne veulent plus de figures du parti du président déchu dans la nouvelle équipe gouvernementale. Conscient que son gouvernement d’union nationale ne fera pas l’unanimité du peuple tunisien, le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, tente de convaincre. Tous les ministres qui ont été maintenus dans le gouvernement alors qu’ils avaient servi sous le régime Ben Ali ont «les mains propres», a-t-il ainsi assuré dans une déclaration reprise par l’AFP.
Pour les manifestants qui ont été dispersés violemment avec des gaz lacrymogènes et des lances à eau dans la capitale, le Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, qui a collaboré dix ans avec l’ex-président Ben Ali, n’est pas qualifié pour diriger un gouvernement d’union nationale. Ils exigent le départ immédiat du RCD, parti de l’ex-président, et le renvoi de tous les anciens dirigeants. Déterminés à mener leur mouvement jusqu’au bout, les Tunisiens ne veulent pas que «leur révolution soit confisquée ou volée», ni par le clan de Ben Ali ni par les islamistes, ni par l’armée. Lundi donc,
M. Ghannouchi a annoncé la composition de son gouvernement d’union nationale. Sur les dix-neuf portefeuilles ministériels, les postes les plus importants, Finances, Défense, Affaires étrangères et surtout Intérieur, demeurent aux mains de ceux qui les occupaient du temps de M. Ben Ali, c’est-à-dire des membres du RCD. Les dirigeants des trois partis d’opposition, restés vingt-trois ans dans l’ombre, décrochent des portefeuilles. La Ligue tunisienne des droits de l’homme (jusque-là interdite), le syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) qui a soutenu les manifestants, des représentants de la société civile obtiennent également des ministères. Un seul mouvement, celui des islamistes tunisiens (Ennadha), dirigé depuis Londres par Rached Ghannouchi est exclu de ce gouvernement transitoire.
«Le dictateur est tombé, la dictature pas encore !»
Pour les Tunisiens, «la révolution de jasmin» ne fait que commencer. Il veulent se débarrasser définitivement du parti de l’ex- président. Outre les manifestations de rue, la puissante centrale syndicale UGTT a affirmé qu’ «elle ne reconnaît pas le nouveau gouvernement» de transition formé la veille, appelant ses trois représentants au gouvernement à se retirer. De son côté, le mouvement islamiste Ennahda a dénoncé un «gouvernement d’exclusion nationale». «Le nouveau gouvernement ne représente pas le peuple et doit tomber. Non au RCD», a déclaré, pour sa part, à l’AFP, l’ancien président du mouvement Ennahda Sadok Chourou. Pour l’opposant tunisien et dirigeant du Congrès pour la République, Moncef Marzouki, les Tunisiens sont devant un paradoxe. «La Tunisie a chassé le dictateur mais la dictature est toujours là. La dictature, ce n’est pas simplement Ben Ali, la dictature c’est le système. Or, le système est basé sur un parti, le RCD», avait déclaré avant-hier cet opposant historique, candidat aux prochaines élections présidentielles qui devraient se tenir dans deux mois.
Démission d’au moins trois ministres
Les voix contestant le gouvernement d’union nationale se sont multipliées. Ainsi, au lendemain de l’annonce du gouvernement de transition, trois représentants de l’UGTT au gouvernement se sont retirés du gouvernement de transition. Peu après, selon l’AFP, un quatrième mem-bre du gouvernement a également démissionné, le ministre de la Santé Mustapha Ben Jaâfar, du parti d’opposition FDLT. Le ministre de la Culture serait également sur le point de quitter le gouvernement.
«Nous nous retirons du gouvernement à l’appel de notre syndicat», a déclaré, à l’AFP Houssine Dimassi qui avait été nommé la veille ministre de la Formation et de l’Emploi. Les deux autres ministres démissionnaires sont Abdeljelil Bédoui, ministre auprès du Premier ministre, et Anouar Ben Gueddour, secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport et de l’Equipement. Cette décision avait été prise en raison du maintien dans la nouvelle équipe d’anciens ministres de Ben Ali. Cette organisation syndicale avait demandé hier à ses trois représentants de quitter le gouvernement. Par ailleurs, les syndicalistes siégeant au Parlement et à la Chambre des conseillers (équivalent au Sénat) «ont démissionné», a déclaré le porte- parole de l’UGTT. La centrale syndicale s’est également retirée du Conseil économique et social.
Le Premier ministre défend le maintien des ministres de Ben Ali
Les ministres issus du RCD maintenus à leur poste ont toujours agi pour «préserver l’intérêt national», s’est justifié le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi dans les médias français. «Ils ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase de construction démocratique», a affirmé le Chef du gouvernement, soulignant le «grand enjeu de la sécurité» dans cette période de transition. «Tous ont les mains propres, (…) une grande compétence. Ils ont du mérite. Grâce à leur dévouement, ils ont réussi à réduire la capacité de nuisance de certains. Ils ont manœuvré, tergiversé, gagné du temps pour préserver l’intérêt national», a-t-il insisté. Le gouvernement de transition n’est que provisoire et a pour mission de s’attaquer aux problèmes économiques à l’origine des émeutes et préparer des élections pluralistes, a renchéri Kamel Morjane, ministre des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse. «Nous ne devons pas oublier que son objectif est clair et que sa durée a été légalement et clairement précisée par l’accord de toutes les parties», a ajouté l’ancien ministre de Ben Ali maintenu dans ses fonctions.
Par Hocine L.