Masturbation, homosexualité ou première expérience sexuelle: autant de sujets tabous dans la culture arabe sur lesquels un magazine récemment lancé au Liban a décidé de lever le voile, quitte à faire des vagues.
Le premier numéro de Jasad, «corps» en arabe, est paru en décembre et la revue trimestrielle imprimée sur papier glacé fait depuis parler d’elle.
«Il est vrai que c’est une première dans le monde arabe», remarque Joumana Haddad, fondatrice du magazine.
«J’ai mis des menottes ouvertes près du mot Jasad sur la couverture, pour dire que je cherche à briser un tabou», explique à l’AFP cette poètesse et écrivaine âgée de 38 ans.
«Nous devons cesser de traiter nos corps, spécialement les femmes, comme s’il s’agissait d’une chose honteuse», ajoute-t-elle.
Le premier numéro de Jasad, vendu à 10 dollars, comportait des articles sur l’auto-mutilation et le cannibalisme. Le second, paru en mars, est consacré au pénis et contient des articles sur les femmes et hommes battus, les transsexuels et le Kama Sutra.
Dans la rubrique «Ma première fois», un personnage connu parle de sa première expérience sexuelle.
Des images sexuelles, notamment des reproductions d’oeuvres d’artistes célèbres, illustrent les articles écrits par des auteurs originaires d’Egypte, de Jordanie, du Liban, du Maroc, des territoires palestiniens, d’Arabie saoudite ou de Syrie.
Considéré comme pornographique, le magazine a provoqué au Liban la colère des autorités religieuses mais aussi d’organisations de femmes.
«Nous sommes tous pour la modernité (…) mais ce magazine, sous le couvert d’une publication culturelle, éveille les instincts sexuels», dénonce Amane Kabbara Chaarani, à la tête du Conseil libanais des femmes, un collectif d’organisations féministes.
«Des sujets qui expliquent à nos jeunes comment faire l’amour sont contraires à nos valeurs morales et notre éducation», explique-t-elle.
Mme Chaarani dit avoir écrit aux plus hautes autorités religieuses – chrétiennes et musulmanes – ainsi qu’aux membres du gouvernement et à la censure pour demander l’interdiction de Jasad.
«Nous envisageons de porter l’affaire devant les tribunaux», dit-elle.
Mais pour l’instant, les autorités libanaises ne semblent pas gênées par la publication.
Selon Joumana Haddad, également responsable de la section culturelle du quotidien à grand tirage An-Nahar, Jasad n’est pas destiné aux mineurs. Le magazine est vendu dans une enveloppe en plastique fermée où il est clairement marqué pour adultes seulement.
Elle dit recevoir régulièrement du courrier incitant à la haine et que son site internet a été piraté 15 fois et la phrase «Il n’y a de dieu que Dieu» en arabe laissée sur le serveur.
Mais Mme Haddad ne se laisse pas impressionner.
«Je n’ai pas peur de la controverse», assure-t-elle. «Je suis passionnée, je crois dans ce projet et les ventes ont démontré qu’il correspondant à un besoin».
Le premier numéro a été écoulé à 3.000 exemplaires en 11 jours. Le second s’est déjà vendu à 4.000 exemplaires, dit-elle.
Hors du Liban, le magazine est vendu seulement par abonnement, car aucune librairie du monde arabe n’oserait l’avoir en magasin, ajoute-t-elle.
«Le plus grand nombre d’abonnements, 282 sur environ 400, a été enregistré en Arabie saoudite, où la publication a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme», affirme Joumana Haddad, qui a elle-même financé le projet.
Pour l’instant les publicitaires restent rares.
Tout en admettant que certains articles et images peuvent choquer, Mme Haddad rejette l’idée que le Moyen-Orient n’est pas prêt pour ce genre de publication.
«Pourquoi doit-on traiter le monde arabe comme un mineur? Les détracteurs devraient revisiter notre patrimoine littéraire, qui comprend le Jardin Parfumé (un manuel d’érotologie) et les Mille et Une Nuits.»
«Ces ouvrages peuvent choquer même le plus libéré des lecteurs occidentaux», dit-elle.