Dans un document dont nous détenons une copie, la base syndicale UGTA, notamment les syndicalistes de la zone industrielle de Rouiba, relève de nombreuses restrictions dans l’avant-projet du code du travail et parle déjà “d’atteinte grave aux droits fondamentaux des travailleurs et au droit syndical”.
Cet avant-projet qualifié de “code de l’employeur” suscite non pas de la crainte, mais de la colère chez des syndicalistes de Rouiba et de Boumerdès que nous avons rencontrés avant-hier. “Ce texte est tout simplement agressif et méprisant pour les travailleurs”, affirme M. Messaoudi, secrétaire général de l’union locale UGTA de Rouiba. Outre des restrictions sur le droit de grève, sur la précarité de l’emploi, sur la compression d’effectifs, les syndicalistes s’insurgent contre “les pouvoirs exagérés et presque sans limites donnés à l’employeur, notamment dans le domaine de la discipline, du recrutement où le CDD est érigé comme une règle au nom de la flexibilité”, affirment-ils. Les syndicalistes s’étonnent, par ailleurs, que la réintégration d’un travailleur licencié abusivement est désormais assujettie à l’accord de l’employeur.
“C’est une insulte aux travailleurs et aux syndicalistes qui ont toujours considéré la réintégration des travailleurs licenciés abusivement comme une revendication essentielle dans leur combat de tous les jours”, ajoutera M. Messaoudi. Le nouveau code donne également la liberté à l’employeur de dresser la liste des fautes du 3e degré qui entraînent le licenciement. Dans l’ancien code, le licenciement ne peut intervenir que dans 7 cas seulement. “Dans celui-ci la liste est illimitée puisqu’une curieuse disposition a été introduite dans l’article 97 qui donne une liberté totale à l’employeur pour établir la liste qui lui permet de licencier un travailleur même pour un bonjour au patron mal prononcé ou un mégot jeté sur le pavé de l’usine”, s’insurge un autre syndicaliste de Boumerdès.
Pis encore, le nouveau code est allé jusqu’à autoriser les employeurs à faire appel à une décision de justice de réintégration d’un travailleur licencié abusivement, note M. Messaoudi. “Même les codes du travail européens ne donnent pas de tels pouvoirs aux employeurs”, souligne-t-il encore avant de s’interroger sur les restrictions au droit de grève comme par exemple la disposition 338 qui parle de “l’effectif concerné” par la grève comme si quelque part on voulait porter atteinte à l’unité et à la solidarité des travailleurs, ajoute-t-il. Pour un autre syndicaliste de Sonatrach de Boumerdès, cette expression sur “l’effectif” est une aberration et constitue, selon lui, une tentative de restriction du droit de grève et d’affaiblissement des capacités des travailleurs à faire prévaloir ce droit.
Les syndicalistes s’interrogent sur l’alinéa de l’article 341 qui donne le pouvoir absolu aux autorités d’établir la liste des postes de travail nécessitant la mise en place du service minimum, et ce, sans consultation des travailleurs ou leurs représentants. Ils considèrent que cette disposition est une autre tentative d’affaiblissement du droit des travailleurs. Les syndicalistes relèvent de nombreuses ambiguïtés dans ce nouveau texte comme l’interdiction de la grève aux “agents des services de sécurité” sans préciser si ceux-ci relèvent des services des corps de sécurité ou s’il s’agit d’agents de sécurité interne exerçant dans le secteur économique et dans l’administration.
Sur la rémunération des journées de grève, les syndicalistes demandent de laisser la possibilité de rémunérer les journées de grève à la négociation collective. L’article 13 fait également bondir les représentants des travailleurs. Selon eux, cette disposition, qui oblige les travailleurs à se soumettre à toute réquisition des autorités, n’est, ni plus ni moins, qu’une atteinte grave aux droits des travailleurs. “Il y a lieu d’élaguer cette disposition de ce projet de loi car elle ne relève pas du cadre des obligations des travailleurs au titre de la relation de travail, c’est un devoir qui incombe à tout citoyen algérien régi par les législations compétentes autres que ce texte”, notent les syndicalistes.
Sur le contrat du travail déterminé CDD, les syndicalistes soulignent que les nouvelles dispositions sont démesurées et menacent non seulement la stabilité du travailleur, mais aussi tout le foyer familial. Ils demandent tout simplement de rectifier ces dispositions de manière à obliger l’employeur à apporter la preuve, que le contrat n’est pas à durée indéterminée. Autrement dit, les syndicalistes demandent le maintien de l’article 12 de la loi 90/11.
L’article 44 ouvre la voie à des dérives
Sur les facilités accordées à l’employeur de recruter des étrangers, le document relève que “le recours aux travailleurs étrangers ne peut être envisagé que pour suppléer un manque de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs d’activité ou pour des raisons de monopoles technologiques. Aussi la priorité doit s’orienter d’abord vers la résorption du chômage existant”. L’article 44, qui permet à l’employeur de faire travailler les femmes la nuit, soulève l’indignation des syndicalistes. Selon ces derniers, cette disposition peut ouvrir la voie à des dérives notamment dans le secteur privé, c’est pourquoi ils exigent sa suppression. Les représentants des travailleurs dénoncent l’article 38 qui donne, une fois de plus, les pleins pouvoirs à l’employeur pour procéder à l’aménagement des horaires de travail à sa guise.
“L’aménagement et la répartition des horaires de travail durant la semaine doivent être déterminés par les conventions et accords collectifs de travail”, affirment-ils. Sur l’emploi des handicapés, les syndicalistes s’étonnent qu’aucune disposition de ce nouveau texte n’oblige explicitement les employeurs à recruter des handicapés. Ils s’interrogent, en outre, sur l’exclusion des syndicalistes une fois élus au comité de participation. L’article 176, qui donne la possibilité à un tiers des travailleurs de convoquer une AG pour l’élection du CP, suscite des craintes chez nos interlocuteurs qui considèrent que cet article peut ouvrir la porte à des dérives. Autre disposition, qui suscite des prémonitions chez les syndicalistes de la base, est celle qui affirme que le CP a une voix consultative alors que cette voix doit être élective et délibérative.
Par ailleurs, la possibilité pour l’employeur de convoquer une assemblée générale pour l’élection du CP est considérée comme un autre mépris aux syndicalistes. Concernant la gestion des œuvres sociales (art. 224), les syndicalistes s’interrogent sur la définition de donnée aux “œuvres sociales” sachant que “certaines actions sociales et culturelles financées par l’employeur sous le vocable d’affaires sociales échappent au contrôle du comité de participation”, précisent-ils. Les représentants des travailleurs se disent attachés plus que jamais aux anciennes dispositions de la loi 90-11 concernant le volet social et toute procédure de recours aux compressions d’effectifs et rejettent carrément les nouvelles propositions.
Enfin, les syndicalistes estiment que, comme prévu, le 87 bis n’a pas été supprimé, puisque le nouveau code du travail laisse entendre que de nombreuses primes semblent toujours coller au salaire de base. Le document des syndicalistes énumère de nombreux autres griefs sur ce projet. Nous y reviendrons.