La région de Tizi-Ouzou a enregistré la semaine passée, en moins de 24 heures, trois suicides par pendaison d’enfants âgés entre 11 et 12 ans. Au-delà de la soudaineté de ces actes, aussi rares qu’insoutenables, il serait intéressant de poser la question de savoir si les déterminismes culturels peuvent peser lourdement sur le psychisme des enfants.
En effet dès qu’il y a suicide, on pense à psychiatriser la situation incriminée, comme si dans pareil cas, il n’y pouvait entrer que des médecins soignant les fous. Ce raisonnement qui évacue toute dimension politique du problème sert à se donner bien entendu bonne conscience. Mais voilà que des acteurs ont pointé du doigt « l’effet néfaste » de l’enseignement de l’école algérienne. Mohamed Saïd, président du Parti de la liberté et de la justice (PLJ) a mis à profit l’aubaine de tenir des meetings dans le cadre de la campagne électorale pour les législatives de 2012, pour clouer au pilori la classe politique qu’il accuse de démission face à ce drame. Il n’a pas manqué du reste de dresser le parallèle avec la campagne électorale en France, laquelle campagne a été suspendue par les politiques à l’annonce de la mort d’enfants. Mais en vérité comme pour les rapts d’enfants et des hommes d’affaires, qui sont devenus par la force des choses une spécialité de la Kabylie, d’aucuns peuvent se poser en toute légitimité cette autre question de savoir si les suicides d’enfants ne tiendraient pas à une spécificité locale. Outre les suicides d’enfants, on signale de manière récurrente dans cette même région du pays, les suicides d’adolescents et de jeunes en particulier. Ainsi dans la même semaine un jeune de 25 ans, habitant le village de Taguemount Oukarouche, à 15 km au sud-est de Tizi-Ouzou, s’est donné la mort. Les psychiatres définissent la normalité comme une valeur culturelle, autrement dit, ce qui est anormal est un fait décidé par la culture. Dans l’hypothèse où l’école serait devenue dans les milieux villageois et de montagne – (car il faut noter que les 3 suicides ont eu lieu dans les villages) – le seul canal de promotion sociale pour des familles ambitieuses, qui reportent tout leur espoir sur leur progéniture ; on peut effectivement les considérer comme quelques-unes de ces causes qui mènent à l’acte désespéré. L’échec scolaire serait très lourd à supporter dans ces zones déshéritées où le chômage bat son plein, l’émigration n’étant plus possible, elle qui, autrefois avait tiré d’affaire la majorité des familles. On en déduit par ailleurs que dans les autres régions du pays, l’école ne remplit pas le même rôle qu’en Kabylie. Il faut de nombreuses études pour analyser le fait que Tizi- Ouzou, envoie à l’université un des plus gros contingents de bacheliers, supplantant ainsi en termes de résultats au bac, les autres wilayas du pays. Dans son dernier livre intitulé Maillot-Imchedallen, essai de sociologie qu’elle a consacrée à Mchedallah (Bouira) l’anthropologue Tassadit Yacine a rappelé le prix qu’a eu à payer la tribu pour venir à bout de la colonisation. Après avoir perdu un cheptel de 2.000 têtes, les Imcheddalen basculeront dans la pauvreté. Selon Tassadit Yacine la représentation d’une « Kabylie repliée sur elle-même » a relégué au second plan sa participation à la guerre contre l’occupant, d’où les frustrations d’aujourd’hui.
Par : LARBI GRAÏNE