Les stades algériens se sont transformés en des lieux extrêmement dangereux où la vie des joueurs et supporters est potentiellement menacée à chaque rencontre, décisive ou ordinaire soit-elle. La violence inouïe qui s’y exprime est aujourd’hui impossible à inscrire dans le cadre de simples «dérapages» dans le monde du sport mais prend, au contraire, l’aspect d’un phénomène nécessitant une prise en charge urgente par l’Etat algérien.
Les images des scènes survenues ce samedi au stade de Bordj-Bou-Arréridj ont choqué. Des joueurs évanouis sur la pelouse, d’autres souffrant de blessures les faisant hurler de douleur ou, pire encore, tenant leur abdomen où des plaies importantes sont visibles. Dans les vestiaires, on peut encore apercevoir d’autres joueurs aux genoux ou poignets bandés, œuvre de supporters incontrôlables ayant envahi la pelouse après la défaite de leur club. La plupart des agresseurs étaient munis d’armes blanches. Probablement des objets tranchants à en voir la nature des blessures occasionnées. Les vidéos largement diffusées sur les réseaux sociaux ont écœuré, une fois de plus, les Algériens. La situation qui vient de se produire n’est malheureusement pas un cas isolé. Des évènements similaires, parfois plus graves, se déroulent depuis un long moment déjà. En 2014, un joueur camerounais avait trouvé la mort après avoir fait l’objet de violents jets de pierres l’ayant atteint à la tête.
D’autres auraient pu subir le même sort n’était la protection policière dressée autour des bus caillassés. La violence ne s’exprime cependant pas uniquement contre les joueurs. Pour une raison ou une autre, des supporters de clubs différents s’affrontent régulièrement à l’intérieur ou à l’extérieur des stades. Les batailles atteignent parfois un grand degré de férocité et dépassent de loin ce que l’on pourrait imaginer. Même les clubs étrangers invités à jouer avec nos équipes ne sont plus épargnés par les insultes et les agressions verbales des jeunes qui emplissent les stades. Récemment, une scène similaires a failli donner lieu à un véritable incident diplomatique avec un pays, l’Irak, n’ayant jamais eu de problèmes avec l’Algérie. Des ministres ont dû présenter leurs excuses à leurs homologues irakiens tout comme l’avait fait le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avec les Saoudiens après qu’une banderole jugée offensante contre le roi Salmane eut été déployée dans un stade. C’est dire à quel point la dérive est grande. Elle figure d’ailleurs parmi les sujets d’analyse et de décryptage dans les médias internationaux qui y perçoivent un reflet de la crise qui secoue l’Algérie. Ils en veulent aussi pour preuve ces slogans hostiles au pouvoir scandés, ces «hymnes» aux mots tranchants, parfois choquants où sont sévèrement jugés les responsables du pays. Les stades algériens sont ainsi perçus comme un déversoir des sentiments qu’éprouvent les jeunes contre leurs dirigeants. Une manière bien à eux d’exprimer une colère que le pouvoir évite de laisser se déverser dans les rues.
Pour faire face à cette situation, de nombreuses mesures ont été prises. Mais toutes ont échoué. Les amendes imposées aux clubs, les sanctions, les matchs à huis clos n’ont pas mis un terme au problème. Même la décision de retirer la police des stades, afin d’éviter une présence peut-être provocatrice, n’a rien donné. Les auteurs de cette mesure ont dû d’ailleurs revoir leur copie et mobiliser à nouveau les forces de l’ordre à chaque match.
En dépit des fouilles et des cordons de sécurité draconiens observés à chaque rencontre, les jeunes parviennent également à faire entrer des fumigènes et des armes blanches telles que celles qui ont été utilisées à Bordj-Bou-Arréridj. Selon la stratégie mise en place, la gestion du phénomène en cours est laissée à la charge de la Ligue professionnelle de football. Or, cette dernière semble elle-même dépassée par les évènements et se trouve toujours dans l’attente d’une aide extérieure. Celle des pouvoirs publics priés maintes fois de procéder à l’installation de caméras de surveillance destinées à repérer les principaux éléments à l’origine des troubles. Cette demande se base sur une méthode qui a fait ses preuves contre le terrible hooliganisme britannique. Après avoir été identifiés, les perturbateurs ou meneurs ont été fichés et interdits d’accéder de nouveau aux stades. L’appel de la ligue est resté sans réponse à ce jour et la raison en demeure inconnue. Seul le ministère de la Jeunesse et des Sports se limite à de vains appels au calme ou à la fermeté. Peuvent-ils suffire à apaiser les esprits ou réduire le phénomène ? Une prise en charge plus urgente s’impose pourtant. Les stades algériens sont hors contrôle.
Abla Chérif