Les sorties d’Ouyahia : Discours réaliste ou électoraliste ?

Les sorties d’Ouyahia : Discours réaliste ou électoraliste ?

Le premier ministre Ahmed Ouyahia a cette capacité remarquable de rester sagement dans l’ombre après avoir  subi les revers des changements politiques et d’attendre patiemment sa chance pour rebondir et se mettre au devant de la scène. Beaucoup ne donnaient pas cher de sa peau mais voilà qu’il revient plus revigoré que jamais, bombant le torse devant ses détracteurs, tantôt menaçant, tantôt conciliant mais toujours égal à lui-même. Son discours, lors de la présentation de son plan d’action adopté, sans coup férir, par le parlement bicaméral, (il a eu même droit à une motion de soutien de la part du Sénat !), atteste de cette personnalité qui reste stoïque devant l’adversité, gommant même ses échecs par des discours lénifiants, chiffres à l’appui que personne ne peut d’ailleurs vérifier, allant jusqu’à les exposer sur la devanture politique comme des trophées bien mérités.

Et pourtant, il a été depuis l’arrivée du Président Bouteflika au pouvoir, un acteur majeur dans les choix et décisions économiques (particulièrement ceux contenus dans la fameuse loi de finance complémentaire de 2009) qui ont mené l’économie du pays à l’impasse.

Son avènement  à la tête de l’Exécutif  n’a  pas été du goût de tout le monde. Et au sein même de certaines de ses alliances historiques à commencer par le FLN, auquel, il a arraché le contrôle du gouvernement et grignoté des pans entiers du terrain électoral, on digère difficilement ce camouflet et cette déconvenue. L’offensive d’Ouyahia, qui semble être dans les bonnes grâces du pouvoir, sera certainement plus agressive aux prochains scrutins, décisifs pour le futur proche et à fortiori, pour 2019, une étape que tout le monde attend avec une certaine appréhension.

Ouyahia, en déroulant sa feuille de route devant les parlementaires a parlé d’une situation qui frise la catastrophe. Vrai ou simple discours aux relents de campagne électorale pour enfoncer le gouvernement Sellal et la parenthèse Tebboune qui  n’a pas duré longtemps ?

S’il est indéniable que la situation est inquiétante, rien ne justifie l’alarmisme et les mesures qui manquent, de l’avis de plusieurs experts,  de cohérence d’ensemble à commencer par la planche à billets qu’il envisage  d’actionner dans une totale opacité. D’ailleurs, le financement non conventionnel est une option retenue en 2015, d’après l’ancien ministre des finances Abderrahmane Benkhalfa mais placé sous le coude face aux risques qu’il fait encourir à l’économie, sans réelle assise industrielle.

A ce propos, le plan d’action du gouvernement ne prévoit pas l’essentiel, à savoir le montant qui sera dégagé à travers ce mode de financement et surtout quel en sera l’usage pour les cinq prochaines années. Autant dire, un plan qui ne repose sur rien à part des généralités et des contradictions alors que la vocation même d’un plan est de consigner des mesures judicieusement réfléchie et clarifiées, prêtes à être exécutées.

Pourquoi cette position dogmatique et radicale sur le recours au financement extérieur ? 

Un endettement extérieur prudent et mesuré selon les vrais besoins urgents aurait été plus adéquat car soumis à l’obligation de résultat, des conditions drastiques, un échéancier à respecter et une gestion impeccable des dépenses sachant que l’Algérie demeure jusqu’à présent solvable. Le pays est très loin de la situation des années 1980 où  les escarcelles publiques étaient désespérément vides et ne disposaient que de quelques jours d’importation.

Présenter les choses de cette manière et donner l’instruction  pour passer le relai  aux grandes entreprises publiques et le Trésor afin qu’ils poussent, à leur tour des cris d’orfraie pour imposer la planche à billets comme l’ultime solution à leur débâcle financière semble comme même exagéré. Si la planche à billets sert à boucher les trous et à injecter plus d’argent dans les caisses de ces entreprises déficitaires moribondes et malades de leur mauvaise gestion, cela équivaut à tourner en rond et à rester coincé dans la trappe de transition.

On sait d’avance que la planche à billets va servir également à payer les salaires des fonctionnaires. Et le doute est permis quant à son utilisation à éponger les dettes faramineuses des entités publiques qui ne rendent jamais le bilan de leur gestion, ni se remettent en question pour rectifier le tir, conséquence des mauvais reflexes pavloviens du management déficient.

La défiance est également légitime quand on sait également que le montant de l’emprunt national pour la croissance économique a servi en partie à éponger le déficit du commerce extérieur au lieu de relancer les projets économiques à l’arrêt et d’accroitre l’investissement. De cette croissance supposée, on n’a vu que celle de l’inflation et de la flambée des prix qui rognent le pouvoir d’achat des citoyens.

Pourquoi donc a-t-on choisi ce timing, cette synchronisation et un tel discours alors que l’Algérie dispose encore de moyens financiers importants (réserves de change, OR, DTS) sans compter le potentiel économique du pays et l’embellie relative du marché pétrolier. De toute évidence, on balise le terrain pour la présidentielle qui arrive au galop.

Ainsi, Ouyahia qui a pris les choses en mains, pourrait confortablement se positionner pour les prochaines échéances électorales et se prévaloir d’avoir redressé une situation catastrophique et ingérable, il mériterait donc de siéger à la tête de l’Etat. Mais, ce serait aller vite en besogne car il ya un consensus à construire et une économie fragile à consolider avec tous les partenaires. Parler de rumeurs pour justifier la flambée de la devise serait vivre dans une tour d’ivoire et négliger les signaux qui alertent.

Ouyahia ne peut éternellement, comme ses prédécesseurs, faire référence de façon lassante et continuelle au programme du Président. Cela relève de la supercherie car s’il est vrai que le programme est ambitieux, sa traduction sur le terrain est restée lettre morte ! Un président fixe le cap, définit la vision et c’est au gouvernement de mettre en place les politiques pour l’atteinte des objectifs.

S’il faut parler le langage de vérité au peuple, il est plus que nécessaire de dire également que l’Algérie dispose d’atouts et de potentiel énorme pour surmonter la crise. La vérité n’est pas antinomique avec l’espoir. Ce qu’il faut à nos gouvernants, c’est de sortir de la situation de confort pour passer à celle de l’effort et surtout être à l’écoute, susciter la confiance pour faire adhérer le maximum d’acteurs. Sinon, ce sera un énième échec et une autre tentative avortée.