Aux problèmes d’ordre financier s’ajoutent les différends en tous genres entre les membres d’une même famille, d’une même communauté, créant un climat de tension et de haine dans les foyers, poussant hommes, femmes et enfants à chercher refuge ailleurs.
Chaque année, chaque mois, les journaux, le Samu social, les agences de l’action sociale, les organismes de défense des droits de la femme, de l’enfant et du citoyen, de façon générale, dénoncent le maintien d’une situation devenue insupportable pour les victimes aussi bien que pour les citoyens qui les côtoient, bon gré mal gré, parce que faisant partie de leur quotidien Les grandes villes, à leur tête la capitale Alger, sont peuplées de SDF (personnes sans domicile fixe), venus de toutes les wilayas du pays.
Des SDF déclarés, si l’on peut utiliser ce mot pour désigner ceux-là qui s’affichent ouvertement comme tels. Ces derniers prennent place sous les arcades, dans les cages d’escaliers, aux abords des édifices publics et des mosquées. Ils dorment à même le sol, en se couvrant de carton, sinon, dans le meilleur des cas, de couvertures usées et trouées. Ils cherchent leur nourriture dans les bennes à ordures et demandant l’aumône à tout le monde. Ils ne craignent pas d’être vus par les leurs pour la simple raison qu’ils ne voient pas d’inconvénient à agir de la sorte du moment que ce sont toutes les portes qui se sont fermées devant eux, parfois par la faute même de ceux-là qui pourraient, un jour, leur reprocher leur déchéance. Pour ceux qui ont complètement perdu la raison, suite à une dépression ou autre, la rue ne semble pas être un problème. Bien au contraire.
«Le grand problème se pose avec ceux-là que nous appelons, généralement, malades mentaux bien qu’ils ne le sont pas vraiment. Par moment, ils nous étonnent par leur lucidité et la clarté de leurs idées.
Chaque fois que nous nous présentions à eux pour les emmener dans un centre d’accueil, en leur promettant de leur assurer la
nourriture et la sécurité, ils contestent avec violence. Parfois, ils cèdent mais ils n’y restent pas plus de quelques jours. On dirait qu’ils se complaisent dans la rue et qu’ils tirent un certain profit de leur statut de vagabond. Les mères célibataires sont moins résistantes à «la force» utilisées par les équipes du Samu, aidés par les agents de sécurité qui font des tournées nocturnes, presque régulières et permanentes, notamment durant la période hivernale, d’un côté pour venir en aide à ces personnes sans abri et d’un autre côté pour
simplement libérer les rues et éliminer «tout danger» des riverains qui se plaignent de leur présence. Ces mères célibataires, pour la plupart des jeunes filles originaires d’autres régions du pays, acceptent favorablement la proposition des équipes du Samu de leur assurer refuge, nourriture et sécurité. Toutefois, elles aussi trichent d’une certaine manière, en ne se rendant au centre que la nuit, après avoir passé toute la journée dans la rue, souvent à mendier.
D’autres se disent SDF, entre amis, en rigolant, mais en étant parfaitement convaincus de l’être, parce que vivant dans des hôtels ou, plus juste, dans des dortoirs très peu commodes, des hammams ou s’invitent chez des amis ou des proches qui ne se réjouissent pas de leur visite.
Ils sont fonctionnaires, ouvriers, employés sans contrat et sans assurance, mal payés et sans perspective d’avenir. Leur salaire ne leur permet pas d’avoir le bon logis, la bonne nourriture, encore moins la belle vie à laquelle ils aspiraient avant d’être confrontés à la réalité du monde du travail dans les grandes villes. Et passons ! Les SDF y en a de tout et de tous les âges. Et chaque «SDF» est un cas à part, une situation, une histoire à raconter de manière différente. Pour la plupart d’entre elles, ces personnes se considèrent être victimes de la société, de leurs familles et de leur entourage.
Cet entourage qui les traite de tous les noms parce qu’elles ont transgressé les règles de la collectivité –comme c’est le cas des mères célibataires et des hommes (parfois des femmes) qui sombrent dans l’alcoolisme et la toxicomanie. Les pouvoirs publics prennent des mesures draconiennes pour les sauver, elles et ceux-là qui se plaignent d’éventuels dangers de leur présence, mais très peu de choses se font concrètement sur le terrain. Et même s’il y a des efforts pour changer les choses, les résultats restent peu probants. Beaucoup d’argent est débloqué et dépensé dans des actions de protection sociale et d’assistance aux personnes en danger. D’autres mesures, celles-ci répressives, sont exécutées par les éléments de la police, sous prétexte de maintien de l’ordre. Il n’empêche, les personnes sans domicile fixe continuent de squatter les petites et grandes ruelles, les jardins publics, les espaces publics, les entrées de bâtiments et, parfois, même les transports publics où elles mendient. Leur présence dérange, c’est un fait indéniable. «Moi, je travaille tôt le matin et chaque fois que je sors de la maison pour me rendre au boulot, je trouve devant moi des personnes qui fouillent dans les bennes à ordures, d’autres presque nues qui marchent d’une manière qui m’effraye et parle à haute voix pour débiter des obscénités. Certaines fois, je pense appeler un collègue pour que nous fassions le chemin ensemble, jusqu’au travail, mais en me rappelant «la vulgarité» de ces gens, je me ravise. Chaque jour, je prends le risque d’être agressée par l’un d’entre eux mais je n’ai pas le choix. «L’emploi, dans notre pays, ce n’est pas donné» raconte une jeune femme, la trentaine, habitant un quartier de la ville d’Alger. L’entreprise où elle travaille se trouve à quelque trois cent mètres du lieu d’habitation. Les pouvoirs publics, de leur côté, promettent un ensemble de mesures pour contourner le phénomène, ne serait-ce que pour récupérer ces espaces squattés, parfois, par des familles entières. Ce n’est pas chose facile. En fait, le problème n’est pas dans l’acte même de fuguer (pour les mineurs), de fuir le regard hostile de la famille, des voisins et de toute la communauté (pour les mères célibataires) ou de quitter la maison familiale parce l’on se sent
malaimé. Le problème est plus profond que cela. Il y a un dysfonctionnement général dans toute la société algérienne. Démission des parents, déperdition scolaire, chômage, logement inaccessible, baisse du pouvoir d’achat, manque de communication…et reniement profond des valeurs et des principes communautaires. Tout un ensemble de facteurs qui favorisent l’effritement de la structure familiale et l’abaissement de personnes que l’on croyait solides et au-dessus de tout reproche.
Un toit décent, la clé de toutes les portes
Récemment, le ministre de l’Habitat, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé la relance prochaine du programme de logement location-vente, priorité donnée aux postulants de 2001 puis 2002. D’autres programmes suivront de façon à résoudre progressivement et définitivement le problème du logement en Algérie. Ce dernier considéré comme bombe à retardement, une menace réelle sur la cohésion sociale. Espérons que ces logements soient effectivement réalisés et dans les temps. Ça va aider à atténuer la tension sociale et à réduire au maximum le terrain des mésententes et des conflits. Les solutions aux autres problèmes viendront d’elles-mêmes, avec l’appui des bonnes volontés au sein de la société et des pouvoirs publics. A ce moment-là, plus de raison d’évoquer la rue comme refuge ultime aux «exclus». Ça reste un espoir.
K. M