Les rues d’Alger : La mendicité, cet autre « métier »

Les rues d’Alger : La mendicité, cet autre « métier »

Elles sont légion à Alger. Postées dans des coins stratégiques.

Elles sont légion à Alger. Postées dans des coins stratégiques. On ne parle plus du mendiant séculaire enguenillé, la main tendue et la psalmodie facile, il s’agit, ces dernières années, de cette armée de femmes voilées à la voix gutturale qui, enfants ou boîte de médicament sous le bras, agressent du regard et du verbe les passants.

La vox populi parle d’une organisation structurée, une petite armée éparpillée en ville qui, le soir venu, se présente à l’appel quotidien, la recette de la journée bien enfouie dans le corset.

Leurs techniques de mendicité ont évolué avec le temps et les événements. La mode aujourd’hui est à la revente de papiers-mouchoirs enrobée d’un accent oriental frisant le syrien. On joue sur la fibre sensible des Algériens. Un fichu douteux, un chérubin amaigri, un carton à même le trottoir et le show mélodramatique constituent l’apparat du mendiant. Le cœur des passants est mis à l’épreuve. Une autre parade consiste à investir les files d’attente aux abords des feux tricolores. À la manière des Roms en Europe. Mais là, on ne propose ni d’essuyer le pare-brise, ni d’effectuer une pirouette burlesque, on assène à l’automobiliste des vérités bibliques et… les flammes de l’enfer s’il ne met pas la main à la poche. Les Algériens ont cette manie ancestrale, ils donnent, ils partagent. D’où la prolifération de ce «corps de métier».

LG Algérie

Dans les QG, on trace des lignes et on hachure des quartiers. Le partage de la manne est finement calculé. On planifie, on teste le terrain, on sous-loue des pans de trottoirs et on place ses «soldats», selon les techniques de mendicité et l’apport journalier. On retrouve parfois des vieux mendiants qu’on a déjà croisés, hors des murs de leurs quartiers, les réseaux sont passés par là. Vigilantes, mobiles, bien informées, ces femmes qui investissent la cité dès les premières heures sont pratiquement «indélogeables», leurs techniques s’adaptent perpétuellement à toute décision ou tentative des pouvoirs publics à les expulser. Tels des céphalopodes futés, elles se confondent avec les murs pour mieux s’abattre sur leurs proies. Le temps d’un café, attablé au centre-ville, nous assistons au bal des «mains tendues». Un petit vieux propre nous aborde timidement, il chuchote, il n’est apparemment pas dans la misère, mais le pli est là. Il fait le tour des tables et s’en va tranquillement. Une jeune femme bardée d’un poupon enguenillé s’approche et déclame sa litanie, elle insiste, elle invoque Dieu pour le salut de l’âme de vos parents, puis file à l’anglaise à la vue du cafetier. Un grand gaillard, ordonnance médicale brandie, vous colle carrément et vous explique que sa vie dépend de votre éventuel don, parcouru de tics convulsifs, il vous abreuve d’insanités avant de quitter les lieux. En sortant, une fillette s’agrippe au pan de la veste, les yeux larmoyants, elle vous suit sur quelques pas… Et la parade continue. Ainsi va la journée en ville, entre deux vitrines, on slalome entre ces mains quémandeuses. Faudra-t-il s’en accommoder ou crier à la déliquescence ?

Kamel Morsli