Les robes noires veulent recourir à une marche nationale,Démonstration de force des avocats

Les robes noires veulent recourir à une marche nationale,Démonstration de force des avocats
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Les avocats ont observé hier une journée de protestation dans tous les tribunaux de la wilaya d’Alger. Ils étaient nombreux à avoir répondu favorablement à l’appel pour une journée de protestation.

Tous les procès programmés pour la journée d’hier au niveau des différents tribunaux relevant de la cour d’Alger n’ont pas eu lieu. Cette action de protestation a été couronnée également par un imposant rassemblement observé devant la cour d’Alger. Les espaces de cette importante instance judiciaire se sont avérés trop exigus pour contenir les milliers de robes noires, venues pour protester contre les dispositifs contenus dans le projet de loi portant organisation de la profession d’avocat, présenté il y a quelques jours par le ministre de la Justice devant la Commission des affaires juridiques et administratives de l’Assemblée populaire nationale (APN). La colère des avocats a atteint son paroxysme. Ils rejettent en bloc ce projet de loi qui consacre, selon eux, «la dépendance de la justice au pouvoir exécutif». Sur le terrain, la journée de protestation, décidée le 18 juin lors d’une assemblée générale extraordinaire, a été «largement suivie», selon le président du Conseil des barreaux d’Alger, Abdelmadjid Selini. «Une véritable démonstration de force», souligne-t-il lors d’une prise de parole improvisée à la cour d’Alger. En effet, tous les tribunaux de la capitale marchaient hier au ralenti. Les avocats ont boycotté toutes les audiences programmées dans les cinq tribunaux d’Alger, à savoir, Abane Ramdane, Bir-Mourad-Raïs, El Harrach, Hussein Dey et Bab El Oued ainsi que celles de la cour où ils se sont regroupés en fin de matinée.

Néanmoins, un service minimum a été assuré, puisque deux avocats ont été délégués dans chaque instance pour se présenter à chaque audience et demander le report de l’affaire programmée à une date ultérieure. «Le texte en question porte de graves atteintes à ce qui reste de la liberté d’expression dans le domaine juridique et une violation grave pour le droit à la défense garanti par l’article 151 de la Constitution ainsi que par les chartes et pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels a adhéré l’Algérie, a indiqué un avocat rencontré à la cour d’Alger. «Le projet de loi que le ministre de la Justice estime qu’il va promouvoir la profession d’avocat, n’est qu’une nouvelle restriction à notre égard. Si l’avant-projet du statut des avocats est maintenu, la justice sera pieds et poings liés», ajoute-t-il.

«L’avocat est coupable jusqu’à preuve du contraire»

«L’avocat ne vaut rien avec ce nouveau texte», soutient pour sa part Abdelmadjid Selini, lors d’une conférence de presse animée à la cour d’Alger. Ce texte de loi, qui doit prochainement être soumis au vote des députés, vise la «caporalisation de la profession». «L’ensemble des articles proposés aboutiraient à la mise sous tutelle de la justice et de la profession d’avocat. Il y a un véritable danger pour l’indépendance du droit de la défense. Ce projet de loi remettrait en cause l’Etat de droit», s’indigne le bâtonnier d’Alger. «Nous ne pouvons pas interpréter cela autrement quand nous avons devant nous des articles qui exigent que les décisions de la commission mixte de la Cour suprême, du Conseil de l’Union des bâtonniers et de leurs assemblées générales ainsi que de tous les Ordres des avocats régionaux soient soumises à la censure du ministère de la Justice. Les décisions et délibérations de l’Union nationale des bâtonniers et le Conseil des avocats peuvent être annulées par la tutelle», renchérit-il. Pis encore, d’après l’orateur, «l’avocat n’a plus le droit de plaider une cause juste devant le juge, le texte bafoue donc le droit des justiciables».

«Car par ce projet, un avocat n’aura plus le droit d’interrompre un procès quand il y a dérive, ne peut plus se retirer s’il estime que le procès en question est une mascarade. Par ailleurs, dans cet avant-projet de loi, l’avocat est coupable jusqu’à preuve du contraire. En cas d’incidents mineurs, comme par exemple laisser son téléphone portable allumé, l’avocat peut être suspendu et interdit de plaidoirie devant les instances où a lieu l’incident», explique-t-il. D’après lui, l’avocat ne peut plus faire correctement son travail, si ledit projet est adopté. «Comment servir au mieux les intérêts des citoyens s’il subit toutes sortes de pressions morales ?» s’est-il interrogé.

«Le mot ministre de la Justice cité 42 fois dans le projet»

Dans le nouveau texte relatif à la profession d’avocat, le ministre de la Justice, garde des Sceaux a été cité 42 fois. Une preuve tangible pour les avocats sur les intentions du gouvernement à tout mettre sous tutelle du ministère de la Justice. «Le mot ministre de la Justice est omniprésent dans le texte, et ils (les pouvoirs publics) nous parlent de l’indépendance de la justice.

C’est la mise à plat du système judiciaire algérien.» «Cet avant-projet concrétise l’emprise de l’Autorité exécutive sur la profession d’avocat», dénonce maître Selini. Cette nouvelle restriction intervient, selon l’orateur, au moment où le président de la République engage un grand chantier de réformes politiques et institutionnelles. «Les bâtonniers demandent le gel de ce texte jusqu’à achèvement des consultations sur les réformes politiques», a indiqué le conférencier. Le projet de loi, son article 41 notamment, est également contesté par les jeunes avocats et les étudiants en sciences juridiques, dans la mesure où pour exercer le métier d’avocat, il faut avoir exercé entre sept et neuf ans comme avocat stagiaire en plus des quatre années d’études. «C’est une discrimination à l’égard de nos jeunes avocats. Nous avons de jeunes avocats qui sont très doués, plus doués que certains avocats anciens. Nous avons certes, besoin de l’expérience des anciens, mais il est indispensable de rafraîchir la profession par de jeunes talents», a déploré le conférencier. Les bâtonniers menacent d’observer une marche nationale à Alger, si le gouvernement ne gèle ledit projet.

Par Hocine Larabi