Le nouveau projet de loi visant à lutter contre le recrutement de djihadistes en France comporte un large volet numérique, qui pourrait affecter les activités de Twitter ou de Facebook.
La lutte contre le terrorisme pourrait faire des remous sur le Web. Les députés examinent depuis lundi un projet de loi visant à lutter contre le recrutement de djihadistes en France. Il comprend un volet dédié à Internet, facilitant à la fois la traque et la suppression des contenus en ligne faisant l’apologie du terrorisme. Le projet de loi prévoit notamment d’autoriser le blocage administratif (sans l’accord préalable d’un juge) des sites Internet ne procédant pas au retrait des contenus illicites.
Recruter et informer
Les sites en question ne sont pas forcément des plates-formes ultrasecrètes. La plupart sont en fait bien connus du grand public. Comme les autres internautes, les djihadistes fréquentent Twitter, Facebook ou YouTube, et en ont fait un des piliers de leur propagande. «Il y a dix ans, ils utilisaient des forums plus ou moins secrets», expliquait Romain Caillet, consultant sur les questions islamistes et chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, dans une interview accordée au Figaro .
«Aujourd’hui, ils sont sur les réseaux sociaux pour terrifier les opinions publiques, mais aussi recruter et informer leurs partisans.» Ainsi, la vidéo de l’assassinat du journaliste James Foley a d’abord été publiée sur YouTube puis largement diffusée sur Twitter. Mourad Fares, considéré comme le principal recruteur de djihadistes en France et arrêté au débu t du mois, témoignait de son quotidien de combattant en Syrie grâce à son compte Facebook.
Même si les réseaux sociaux ne sont pas explicitement cités dans le texte de loi, son étude d’impact confirme qu’ils sont dans le viseur du gouvernement. Le document rappelle que plus de la moitié des 360 signalements de propagande terroriste en ligne déposés auprès de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) en 2013 concernaient les réseaux sociaux . Lors de la première journée de débat à l’Assemblée nationale lundi, le rapporteur du texte, Sébastien
Pietrasanta, a souligné «la puissance de la propagande sur Internet et, singulièrement, sur les réseaux sociaux».
Pour endiguer ce «djihad médiatique», le nouveau projet de loi de lutte contre le terrorisme prévoit que l’autorité administrative puisse réclamer aux éditeurs ou aux hébergeurs d’un site présentant des contenus illicites leur retrait dans les 24 heures. En cas de refus ou d’absence de réponse, elle peut ensuite demander aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès de la plate-forme concernée. Le blocage administratif avait déjà été proposé puis enterré dans le cadre de la loi LOPPSI 2 sur la sécurité intérieure. Cette mesure est systématiquement critiquée par les associations de défense des droits en ligne, et souvent jugée comme inefficace.
Les réseaux sociaux s’adaptent
Contactés par Le Figaro, Facebook et YouTube affirment être déjà en conformité avec la future loi de lutte contre le terrorisme. La loi pour la confiance dans l’économie numérique(LCEN) leur impose déjà de réprimer les contenus faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale ou la pédopornographie. Ils rappellent qu’ils ont mis en place leurs propres règles vis-à-vis de la propagande djihadiste avant le dépôt du projet de loi.
Leur contrôle s’effectue la plupart du temps a posteriori : c’est aux utilisateurs de signaler les publications choquantes, qui sont ensuite analysées par les équipes de modération des deux sites. Le règlement de YouTube va jusqu’à interdire explicitement les vidéos représentant «la fabrication de bombes». Facebook établit tout de même une exception pour les contenus choquants contextualisés, par exemple pour dénoncer une violence, qui peuvent éventuellement être autorisés.
Le réseau social insiste par ailleurs sur sa politique contre le pseudonymat, qui impose à ses utilisateurs de prouver leur prénom et leur nom en cas de doute sur leur véritable identité.
Le cas de Twitter, que Le Figaro n’a pas réussi à joindre, est plus délicat. Il effectue lui aussi un contrôle a posteriori des tweets, laissant le soin à ses utilisateurs de signaler tout contenu problématique. Néanmoins, Twitter se montre plus laxiste que les autres réseaux sociaux sur le type de tweets autorisés. Ses règles interdisent la violence ciblée et les menaces. En théorie, les contenus choquants sont autorisés tant qu’ils ne sont pas dirigés vers une personne ou une entité spécifique. Twitter suspend rarement des comptes, afin de préserver au maximum la liberté d’expression. L’assassinat de James Foley avait néanmoins poussé le réseau social à supprimer quelques figures se réclamant de l’État islamique, provoquant un appel au meurtre des employés de Twitter. Le compte incriminé a depuis été suspendu.
Déjà en 2013, Twitter s’était retrouvé au cœur d’un scandale autour de la liberté d’expression. Accusé par des associations d’autoriser les contenus antisémites, le réseau social américain avait finalement consenti à fournir à la justice française des données pour identifier les auteurs des tweets incriminés. Cette collaboration avait été saluée par le gouvernement. «Twitter se conforme enfin à la décision de la justice», avait commenté Najat Vallaud-Belkacem, alors porte-parole du gouvernement, justement via un tweet, précisant qu’Internet n’était pas «une zone de non-droit».
Les plates-formes américaines ne sont pas les seules concernées par le problème. Plus récemment, c’est le réseau social russe VKontakte qui a annoncé avoir supprimé plus de 60 pages faisant la promotion des activités de l’État islamique. Face à cette chasse, certains djihadistes se sont repliés vers des sites plus discrets, comme le réseau social décentralisé *diaspora.