Accusations, contre-accusations. Les relations algéro-marocaines se sont brusquement détériorées cette semaine, réduisant à néant les efforts de rapprochement engagés depuis plus d’un an. Au discours de Mohamed VI accusant l’Algérie de refuser la normalisation, Alger répond en imputant au Maroc la responsabilité d’avoir torpillé le processus en cours, et de vouloir maintenir le statuquo.
Les relations algéro-marocaines sont au plus bas. Après un processus d’amélioration de plusieurs années, qui a permis de renouer le dialogue à défaut de normaliser les relations, elles ont connu une brusque détérioration cette semaine, à la faveur d’un discours désabusé du Roi Mohamed VI, suivi d’une réponse violente de l’Algérie.
Dans son discours célébrant l’anniversaire de la marche verte, qui avait vu des milliers de Marocains envahir le Sahara Occidental en 1975, Mohamed VI a lancé une série d’accusation contre l’Algérie, lui reprochant de bloquer la normalisation entre les deux pays, d’entretenir délibérément un conflit au Sahara Occidental, d’organiser de « basses manœuvres » pour nuire au Maroc et d’hypothéquer la construction du Maghreb.
Reprenant le discours marocain traditionnel concernant le Front Polisario et les réfugiés sahraouis en Algérie, le Roi du Maroc a demandé à la communauté internationale de «mettre un terme au drame enduré par les séquestrés à Tindouf, à l’intérieur du territoire algérien, où sévissent, dans toute leur cruauté, la répression, la coercition, le désespoir et les privations, en violation flagrante des droits humains les plus élémentaires». Il a également affirmé la «détermination du Maroc à ne permettre en aucune manière et sous aucun prétexte que le sort du Sahara soit tributaire des calculs et des basses manœuvres des autres parties».
Concernant les relations bilatérales, marquées par d’intenses échanges de délégations, mais sans avancée notable vers une normalisation, le Roi Mohamed VI a accusé l’Algérie de maintenir « l’immobilisme », alors que le Maroc «ne cesse d’appeler à la normalisation, y compris l’ouverture de la frontière, conformément aux vœux d’un certain nombre de pays et d’organisations internationales». Il a déploré que le Maghreb soit « déjà le projet d’intégration régionale le moins avancé à l’échelle du continent africain”.
Le discours du Roi du Maroc a suscité une réponse algérienne d’une rare violence. Un haut responsable algérien, cité par la presse, a déclaré que le souverain marocain est allé « trop loin », et que l’Algérie ne croit désormais plus en lui, car son discours « la sincérité et la bonne foi » font défaut dans sa démarche.
Infiltration « massive » de drogue
Le responsable algérien accuse le Maroc d’avoir « torpillé » un processus de normalisation » alors que l’Algérie « était prête à aller jusqu’à la réouverture des frontières » pour concrétiser une « normalisation totale » des relations bilatérales. Le Maroc a « multiplié les reniements en s’engageant dans des actions incompatibles avec l’esprit de rapprochement publiquement revendiqué», a dit ce haut responsable.
L’Algérie accuse le Maroc d’organiser «l’infiltration massive» de la drogue en territoire algérien, ce qui constitue « une agression à large échelle menée contre » l’Algérie et sa jeunesse. Le trafic «n’a jamais connu une telle ampleur» auparavant, et ne peut être « le fait de trafiquants individuels ».
Ai sujet du Sahara Occidental, l’Algérie accuse le Maroc d’avoir fait volte-face, en brisant un accord entre les deux pays consistant à confier aux Nations-Unies la gestion du dossier. Cette brusque montrée de la tension coïncide d’ailleurs avec la tournée effectuée dans la région par l’américain Christopher Ross, envoyé spécial du Ban Ki Moon pour le Sahara Occidental. M. Ross avait été récusé en mars par le Maroc, qui l’avait accusé de partialité, ce qui avait fortement irrité les Américains. M. Ban Ki Moon lui avait cependant renouvelé sa confiance, ce qui a été considéré comme un camouflet pour le Maroc.
Statu quo
Depuis plusieurs années, le Maroc fait le forcing pour parvenir à la réouverture de la frontière algéro-marocaine, fermées depuis 1994. Les officiels marocains déplorent souvent le statuquo en vigueur, qui coûterait un point de croissance à l’économie marocaine. Mais pour l’Algérie, ces « appels à un nouvel ordre maghrébin, fait de solidarité, de complémentarité d’intégration, relèvent du discours car, ils sont malheureusement dénués de sincérité, d’engagement et de bonne foi.»
En appelant formellement à une normalisation avec l’Algérie, le Maroc répond aux « vœux d’un certain nombre de pays », dont la France et les Etats-Unis, mais dans les faits, c’est « le statu quo qui est l’objectif véritablement recherché » par Rabat, selon ce haut responsable algérien, dont la déclaration est en rupture avec le ton très policé jusque-là en vigueur dans les relations entre les deux pays.
Cet échange houleux risque de mettre fin à un processus laborieux, qui avait permis aux deux pays de défricher le terrain et de renouer le dialogue, après des années de coupure presque totale. Un spécialiste des relations algéro-marocaines estime néanmoins qu’il n’aura pas de conséquence particulière. Selon lui, « le Maroc se crispe toujours quand le dossier du Sahara Occidental occupe l’actualité ». Par contre, pour l’Algérie, c’est un dossier « inopportun », car « il survient au moment où le pays doit faire face à une menace sérieuse au sud, liée à la situation au Mali ».