Comment expliquer qu’un euro se cote en Tunisie 2.21911, et 1.9557 un dollar, le dirham marocain 9,614 pour un dollar et 10.92057 un euro et pour l’Algérie 119.31805 un euro et 105,55 pour un dollar et sur le marché parallèle depuis le début d’octobre 215 fluctuant entre 165/175 dinars un, euro contre 140 dinars un euro avant la chute du cours des hydrocarbures depuis juin 2014 ? Je pense que les dernières mesures bureaucratiques sans vision stratégique, l’illusion tant monétaire que mécanique, dont j’avais mis en garde le gouvernement sur leur manque de cohérence, du Ministère de l’Industrie, des finances et du Ministère du commerce ont eu les effets inverses, ont accru la méfiance vis à vis de la monnaie nationale, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques dévastateurs, accentué par la baisse des recettes des hydrocarbures
1.-Créé en 1964, le dinar algérien était coté avec le franc jusqu’en 1973, 1 dinar pour 1 franc, et par rapport au dollar 1 dinar pour 5 dollars. Depuis 1974, la valeur du dinar a été fixée suivant l’évolution d’un panier de 14 monnaies avec une dépréciation entre 1986/1990 de 4,82 à 12,191 (cours USD/DZD), de 150% suivi d’une seconde dépréciation, de l’ordre de 22% en 1991. Avec la cessation de paiement en 1994 et suite au rééchelonnement et aux conditionnalités imposées par le FMI, il y a eu une nouvelle dévaluation, de plus de 40% par rapport au dollar américain suivi dès 1995/1996 d’une convertibilité commerciale de la monnaie algérienne.
Actuellement la cotation du dinar approche les 105/106 dinars un dollar et 119/120 dinars un euro au cours officiel, un dérapage d’environ 25/30% depuis une année accentuant le coût des matières premières, des équipements et des biens de consommation importés avec le risque d’une inflation à deux chiffres fin 2016, en cas de baisse du cours des hydrocarbures l’Etat ne pouvant plus subventionner. Il existe en Algérie depuis des décennies des distorsions entre le taux de change officiel du dinar et celui sur le marché parallèle. Le square Port Saïd à Alger, certaines places à l’Est et à l’Ouest sont considérées comme des banques parallèles à ciel ouvert fonctionnant comme une bourse où le cours évolue de jour en jour selon l’offre et la demande et les cotations au niveau mondial du dollar et de l’euro.
Deux à trois milliards de dollars au marché parallèle
Ce marché noir joue comme assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. Bien que les données soient souvent contradictoires, certaines sources estiment environ entre deux et trois milliards de dollars qui se seraient échangés, annuellement, sur le marché parallèle algérien entre 2009/2014. Le montant est extrêmement faible en comparaison avec les sorties de devises. Pour preuve en 2014 plus de 71 milliards de dollars de biens et services. La valeur du dinar, fonction de la confiance et d’une économie productive. L’économie algérienne étant une économie fondamentalement rentière, cela contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. En Algérie le dérapage du dinar a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique du fait que l’économie du pays étant dépendante des hydrocarbures à 98% des exportations et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%.
D’une manière générale, les investisseurs tant étrangers que locaux se méfient d’une monnaie stable administrée faible. La valeur réelle de la monnaie, qui n’est qu’un signe, un moyen d’échange (les tribus d’Australie utilisaient les barres de sel comme monnaie d’échange) où nous sommes ensuite passé de la monnaie métallique, aux billets de banques, puis aux chèques et ensuite à la monnaie électronique. Thésauriser ne crée pas de valeur. C’est le travail par l’innovation continue, s’adaptant à ce monde de plus en plus interdépendant, turbulent et en perpétuel bouleversement qui est la source de la richesse d’une Nation. La valeur de la monnaie dépend de la confiance en le devenir de l’économie et du politique, de la production et de la productivité, comme nous l’ont montré les analyses des classiques de l’économie sur » la valeur ».
En fait, l’essence de cette situation réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l’Etat du fait de l’interventionnisme excessif de l’Etat qui fausse les règles du marché ce qui contraint les ménages et opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégal les activités du libre marché, il biaise les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Attention de ne pas se tromper de cibles, les crédits octroyés relèvent à plus de 85% des banques publiques, les banques privées malgré leurs nombres étant marginales. Lorsqu’un gouvernement veut imposer des règles et des lois qui ne correspondent pas à l’état réel de la société, cette dernière enfante ses propres lois qui lui permettent de fonctionner.
Sans confiance pas de développement
Le fondement d’un contrat doit reposer sur LA CONFIANCE sans laquelle d’ailleurs aucun développement réel ne peut se réaliser renvoyant à la crédibilité des institutions et la moralité des personnes chargées de gérer la Cité. Au niveau de la sphère informelle existe des contrats informels plus crédibles que ceux de l’Etat car reposant sur la confiance entre l’offreur et le demandeur. Que l’on visite l’Algérie profonde et on verra des milliers de contrats établis par des notables crédibles au niveau de différentes régions du pays en présence de témoins. Devant le fait accompli, l’Etat officiel a souvent régularisé ces contrats (notamment dans le domaine du foncier et de l’immobilier). L’Etat doit se cantonner sans son rôle de régulateur stratégique et non fausser les règles de libre concurrence. Dans les pays à économie administrée, on délivre des autorisations qui permettent à ceux qui ont des relations de les vendre mais au cours du marché s’alignant sur le cours du marché parallèle donnant à ces personnes qui ont des relations donc des rentes sans contreparties productives. Le marché parallèle de devises n’échappe pas à ces règles générales avec la cotation administrative du dinar. On constate paradoxalement que lorsque le cours du dollar baisse et le cours de l’euro hausse, la banque d’Algérie fait glisser le dinar (évitant de parler de dévaluation) pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que vis-à-vis de l’euro alors que le dinar dans une véritable économie de marché devait s’apprécier par rapport à la monnaie dévaluée. Pourquoi cet artifice comptable ?
La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures qui fluctue, en fonction des cours, entre 60/70% du total fondement d’une économie rentière. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant par exemple de 70 dinars à 105 dinars un dollar actuellement. Il en est de même pour les importations libellées en monnaies étrangères, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l’inflation intérieure. Tout cela voile l’importance du déficit budgétaire et donc l’efficacité réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique et gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens. L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis à vis du dinar algérien où le cours officiel administré se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle qui traduit le cours du marché.
Les sept raisons de la dévaluation du dinar
2- Quelles sont les raisons de la dévaluation du dinar sur le marché parallèle ? J’en recense sept. Premièrement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconversion de l’argent de la corruption, jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l’officiel (vous me facturez 150 dinars un dollar au lieu d’une marchandise achetée 100 avec la complicité d’opérateurs étrangers, opérations plus faciles et plus rapides dans le commerce) montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration permettant des chats d’immobiliers qui expliquent la flambée des prix notamment dans les grandes agglomérations et même dans des zones semi urbaines. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l’offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant donc, comme amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle.
Deuxièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Troisièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge /blanche- marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Car existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers favorisant l’évasion fiscale et la corruption que l’on ne combat pas par des actions bureaucratiques.
Quatrièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc crédit documentaire (expliquant les mesures d’assouplissement) en 2013 qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% dans le PIB). Le Crédoc n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 , a renforcé les tendances des monopoleurs importateurs où selon l’officiel 83% du tissu économique global est constitué du commerce et des petits services à faible valeur ajoutée. Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à 4 millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes de matières premières ou pièces de rechange, mais cela reste insuffisant.
Cinquièmement, beaucoup d’opérateurs étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.
Sixièmement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 5% du PIB et sur ce s5% 95% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcouts dévalorisant indirectement la valeur du dinar. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen n’ayant pas dépassé 3%( il aurait dû dépasser les 1O%) est source d’inflation et explique la détérioration de la cotation du dinar (déséquilibre offre/demande que l’on supplée par une importation massive) sur le marché libre par rapport aux devises que la banque d’Algérie soutient artificiellement grâce aux recettes d’hydrocarbures. Si les réserves de change tendaient vers zéro, l’euro sur le marché libre s’échangerait à plus de 300 dinars et le change officiel fluctuerait entre 200/250 dinars un euro.Avec un retour au FMI, qu’ aucun algérien ne souhaite, l’exigence serait une dévaluation importante du dinar et la fin des subventions.
Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. De nombreux Algériens profitent en effet de la crise de l’immobilier, notamment en Espagne, pour acquérir appartements et villas dans la péninsule ibérique, en France et certains aux USA et en Amérique latine sans compter les paradis fiscaux. C’est un choix de sécurité dans un pays où l’évolution des prix pétroliers est décisive. Face à l’incertitude politique, et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables vendent leurs biens pour acheter des biens à l’étranger. Egalement beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis l’année 2O13, achètent les devises sur le marché informel.( voir étude du professeur Abderrahmane Mebtoul « Essence de la sphère informelle au Maghreb et comment l’intégrer à la sphère réelle » Institut Français des Relations Internationales – IFRI- (Paris- Bruxelles décembre 2013–60 pages).
En résumé, sur le plan strictement économique, la monnaie constitue avant tout un rapport social fonction du niveau de développement économique et social, traduisant la confiance ou pas entre l’Etat et le citoyen, donc le niveau de confiance. Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’un tissu productif local, la rente des hydrocarbures donnant une cotation officielle du dinar artificielle, le marché parallèle informel reflétant sa véritable valeur. Une analyse objective de l’inflation qui a des répercussions sur la valeur réelle du dinar, suppose de saisir les liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales. Celui qui perçoit 200 euros par mois n’a pas la même perception de l’inflation que celui qui perçoit 30.000 euros. Les subventions et la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle avec les pays voisins sont les explications fondamentales des surfacturations et de la fuite des produits hors des frontières, les mesures administratives ne pouvant qu’être ponctuelles sinon il faudrait une armée de contrôleurs.
Le risque est une inflation incontrôlée faute de mesures structurelles supposant un large front national pour permettre l’adhésion les ajustements inévitables. a solution réside en une nouvelle gouvernance, de nouveaux mécanismes de régulation, qui conditionnent tant la cohésion sociale. L’on doit éviter les mesures strictement monétaires, efficaces dans une économie de marché structurée,si l’on veut dynamiser la production locale à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées. Cela passe par des entreprises performantes (coûts –qualité) privées locales/internationales , entreprises publiques sans distinction, , en levant toutes les entraves d’environnement aux libertés d’entreprendre , étant à l’ère de la mondialisation nécessitant de s’insérer au sein de grands ensembles dont les espaces africain et euro-méditerranéen sont les espaces naturels de l’Algérie. Et ce grâce à un co-partenariat gagnant/gagnant (balance devises partagée, accumulation du transfert technologique et managérial local), assouplir la règle des 49/51% reposant sur l’idéologie et l’aisance financière, la ressource humaine étant le pivot essentiel de la coopération. Ce sont les conditions pour améliorer la cotation du dinar, les taxes douanières et les subventions transitoires devant être ciblées.