Le problème du dérapage du dinar sur le marché parallèle ne s’est pas amélioré, au contraire s’est détérioré, contrairement aux discours de certains ministres déconnectés de la réalité. Je pense que les dernières mesures bureaucratiques sans vision stratégique, l’illusion tant monétaire que mécanique, dont j’avais mis en garde le gouvernement sur leur manque de cohérence, de certains membres du gouvernement, ont eu les effets inverses, ont accru la méfiance vis à vis de la monnaie nationale, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. L’économie algérienne étant une économie fondamentalement rentière et dépend du cours du pétrole qui a été coté le 11 février 2016, 27,29 dollars pour le WIT et 31,09 dollars pour le BRENT.
1.-Créé en 1964, le dinar algérien était coté avec le franc jusqu’en 1973, 1 dinar pour 1 franc, et par rapport au dollar 1 dinar pour 5 dollars. Depuis 1974, la valeur du dinar a été fixée suivant l’évolution d’un panier de 14 monnaies avec une dépréciation entre 1986/1990 de 4,82 à 12,191 (cours USD/DZD), de 150% suivi d’une seconde dépréciation, de l’ordre de 22% en 1991. Avec la cessation de paiement en 1994 et suite au rééchelonnement et aux conditionnalités imposées par le FMI, il y a eu une nouvelle dévaluation, de plus de 40% par rapport au dollar américain suivi dès 1995/1996 d’une convertibilité commerciale de la monnaie algérienne.Le 11 février 2016 la cotation du dinar est de 119, 2516 pour un euro et 106/8050 dinars un dollar au cours officiel. Ce dérapage, depuis une année pour ne pas parler de dévaluation accentue le coût des matières premières, des équipements et des biens de consommation importés accentuant l’inflation importée. La cotation sur le marché parallèle fluctue entre 190/193 dinars un euro, s’orientant vers les 200 dinars un euro, 168/170 dinars un dollar, ce marché noir jouant comme assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. C’est que 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15% provient de l’extérieur. En cas de baisse des recettes de Sonatrach hydrocarbures, l’Etat ne pourra plus généraliser les subventions et les transferts sociaux qui représentent presque un tiers du PIB.
Il existe en Algérie depuis des décennies des distorsions entre le taux de change officiel du dinar et celui sur le marché parallèle. Le square Port Saïd à Alger, certaines places à l’Est et à l’Ouest sont considérées comme des banques parallèles à ciel ouvert fonctionnant comme une bourse où le cours évolue de jour en jour selon l’offre et la demande et les cotations au niveau mondial du dollar et de l’euro. Bien que les données soient souvent contradictoires, certaines sources estiment environ entre deux et trois milliards de dollars qui se seraient échangés, annuellement, sur le marché parallèle algérien, montant .certainement sous estimée (voir suite de notre contribution). Car le montant est extrêmement faible en comparaison avec les sorties de devises par le canal officiel: pour preuve en 2014 plus de 71 milliards de dollars de biens et services et environ 65 milliards de dollars en 2015. La compression des importations décidé récemment affaiblira l’offre du fait que les activités productives sont très faibles en Algérie , le secteur industriel représentant moins de 5% du PIB et 83% de la superficie économique étant dominée par les petits commerce et services. Le taux de croissance à 80% est tiré directement et indirectement par la dépense publique via la rente des hydrocarbures en nette diminution.
Ce qui risque d’accélérer le dérapage du dinar sur le marché parallèle. C’est que la valeur du dinar, est corrélée à 70% aux réserves de change provenant des hydrocarbures et non du travail, ce qui accentuera la méfiance et le processus inflationniste du fait qu’existe encore une importante thésaurisation accumulé par le passé, grâce pour partie aux subventions et pour une autre partie aux transfert de rente. Mais cette situation atténuant les tensions sociales n’est que provisoire car si le fonds de régulation des recettes fonds en 2017,n ‘existant plus d’amortisseurs sociaux, cela amplifiera les tensions inflationnistes. Par ailleurs, si les réserves de change tendaient vers zéro horizon 2018/2019, en cas de non relèvement de la production et productivité , et si le cours du pétrole se maintint à moins de 40/50 dollars , l’euro sur le marché officiel sera coté à 200 dinars et à plus de 300 dinars sur le marché parallèle.
2.- La baisse du dinar de 5 dinars un dollars en 1974 à 107 dinars un dollar contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. En Algérie le dérapage du dinar a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique et que les mesures monétaires sans les synchroniser à la sphère réelle seront sans effets, d’où l’importance d’un grand ministère de l’économie couplé avec un grand ministère de l’éducation et de la recherche, pour éviter des dysfonctionnements. Les investisseurs tant étrangers que locaux se méfient d’une monnaie administrée faible. La valeur réelle de la monnaie, n’est qu’un signe, un moyen d’échange (les tribus d’Australie utilisaient les barres de sel comme monnaie d’échange).Posséder du capital argent n’est pas synonyme de création de richesses ( c’est une illusion rentière), devant différencier les marchands et entrepreneurs créateur de richesses. C’est savoir par le travail et l’innovation continue, s’adaptant à ce monde de plus en plus interdépendant, turbulent et en perpétuel bouleversement qui est la source de la richesse d’une Nation. L’histoire économique montre que nous sommes passés de la monnaie métallique, aux billets de banques, aux chèques et ensuite à la monnaie électronique. En fait, l’essence de cette situation réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l’Etat du fait de l’interventionnisme excessif de l’Etat qui fausse les règles du marché ce qui contraint les ménages et opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégal les activités du libre marché, il biaise les relations normales entre acheteurs et vendeurs.
En réaction, les acheteurs et vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Attention de ne pas se tromper de cibles, les crédits octroyés relèvent à plus de 85% des banques publiques, les banques privées malgré leurs nombres étant marginales. Lorsqu’un gouvernement veut imposer des règles et des lois qui ne correspondent pas à l’état réel de la société, cette dernière enfante ses propres lois qui lui permettent de fonctionner.La valeur de la monnaie dépend de la confiance en le devenir de l’économie et du politique, de la production et de la productivité, comme nous l’ont montré les analyses des classiques de l’économie sur la valeur. Le fondement d’un contrat doit reposer sur la confiance sans laquelle d’ailleurs aucun développement réel ne peut se réaliser renvoyant à la crédibilité des institutions et la moralité des personnes chargées de gérer la Cité. Au niveau de la sphère informelle existe des contrats informels plus crédibles que ceux de l’Etat car reposant sur la confiance entre l’offreur et le demandeur. Que l’on visite l’Algérie profonde et on verra des milliers de contrats établis par des notables crédibles au niveau de différentes régions du pays en présence de témoins. Devant le fait accompli, l’Etat officiel a souvent régularisé ces contrats (notamment dans le domaine du foncier et de l’immobilier). L’Etat doit se cantonner sans son rôle de régulateur stratégique et non fausser les règles de libre concurrence. Dans les pays à économie administrée, on délivre des autorisations qui permettent à ceux qui ont des relations de les vendre mais au cours du marché s’alignant sur le cours du marché parallèle donnant à ces personnes qui ont des relations donc des rentes sans contreparties productives.
Le marché parallèle de devises n’échappe pas à ces règles générales avec la cotation administrative du dinar. On constate paradoxalement que lorsque le cours du dollar baisse et le cours de l’euro hausse, la banque d’Algérie fait glisser le dinar (évitant de parler de dévaluation) pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que vis-à-vis de l’euro alors que le dinar dans une véritable économie de marché devait s’apprécier par rapport à la monnaie dévaluée. Pourquoi cet artifice comptable ? La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures ainsi que de la fiscalité ordinaire à travers les taxes des produits importés. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant par exemple de 70 dinars à 10 dinars un dollar actuellement. Il en est de même pour les importations libellées en monnaies étrangères, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l’inflation intérieure.
Cela explique que malgré le bas prix des matières premières au niveau international, importés, cela ne se répercute pas sur les consommateurs et les produits semi finis des entreprises. Tout cela voile l’importance du déficit budgétaire et donc l’efficacité réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique et gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars algériens.L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis à vis du dinar algérien où le cours officiel administré se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle qui traduit le cours du marché.
3.- Je rappelle brièvement les sept raisons de la dévaluation du dinar. Premièrement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 5% du PIB et sur ces 5% 95% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcoûts dévalorisant indirectement la valeur du dinar. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une dépense fonctionnement et équipement évalué à plus de 800 milliards de dollars entre 2000/2015 n’ayant pas dépassé 3% alors qu il aurait dû dépasser les 1O%, est source d’inflation.
Deuxièmement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l’offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant donc, comme amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle.
Troisièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge /blanche- marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Il existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques, expliquant le résultat mitigé pour ne pas dire échec de la mesure de l’actuel ministre des finances d’intégrer ce captal argent au sein de la sphère réelle.
Cinquièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc, instauré en 2009, a pénalisé les petites et moyennes entreprises et n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 ,tout en renforçant les tendances des monopoleurs importateurs. Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à 4 millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes, mais cela reste insuffisant.
Sixièmement, beaucoup d’algériens et d’ étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de eux qui possèdent de grosses fortunes.
Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, achètent les devises sur le marché informel.( voir étude du professeur Abderrahmane Mebtoul « Essence de la sphère informelle au Maghreb et comment l’intégrer à la sphère réelle » Institut Français des Relations Internationales – IFRI- (Paris- Bruxelles décembre 2013–60 pages).
4.-Sur le plan strictement économique, la monnaie constitue avant tout un rapport social fonction du niveau de développement économique et social, traduisant la confiance ou pas entre l’Etat et le citoyen, donc le niveau de confiance. Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’un tissu productif local, la rente des hydrocarbures donnant une cotation officielle du dinar artificielle, le marché parallèle informel reflétant sa véritable valeur. Les subventions et la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle avec les pays voisins sont les explications fondamentales des surfacturations et de la fuite des produits hors des frontières, les mesures administratives ne pouvant qu’être ponctuelles sinon il faudrait une armée de contrôleurs.
L’on doit éviter les mesures strictement monétaires, efficaces dans une économie de marché structurée, si l’on veut dynamiser la production locale à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées. Cela passe par des entreprises performantes (coûts –qualité) privées locales/internationales, entreprises publiques sans distinction en levant toutes les entraves d’environnement aux libertés d’entreprendre, étant à l’ère de la mondialisation nécessitant de s’insérer au sein de grands ensembles dont les espaces africain et euro-méditerranéen sont les espaces naturels de l’Algérie.
Et ce grâce à un co-partenariat gagnant/gagnant (balance devises partagée, accumulation du transfert technologique et managérial local), assouplir la règle des 49/51% reposant sur l’idéologie et l’aisance financière, la ressource humaine étant le pivot essentiel de la coopération. Il s’agit donc d’aller rapidement vers de profondes réformes structurelles évitant ces replâtrages conjoncturelles reportant la résolution ds problèmes dans le temps mais en les amplifiant. Dans l’histoire récente de l’Algérie, la question des réformes indispensables pour éviter un retour au FMI horizon 2018/2019, – quelles soient économiques ou politiques – a donné lieu, en raison des enjeux qu’elles représentent, à l’élaboration de stratégies antagoniques qui œuvrent à la défense et à la promotion de ces dernières ou, au contraire, à leur blocage et, à défaut, à leur perversion ou à leur ralentissement.
Une autre politique s’impose, face à l’épuisement des réserves de change, du fonds de régulation des recettes et aux importantes mutations géostratégiques qui s s‘annoncent décisives dans notre région. La guérison dépend avant tout des Algériennes et des Algériens, impliquant un large Front National sans exclusive, tolérant nos divergences d’idées, source d’enrichissement mutuel. L’Algérie sera ce que les Algériens voudront qu’elle soit. La nouvelle vision stratégique pour éviter le retour au FMI sera de privilégier, l’économie de la connaissance, le développement des LIBERTES fondé sur une nouvelle gouvernance.